Depuis les élections municipales du 31 mars dernier, les conditions financières se sont stabilisées. Les marchés ont réagi favorablement à la défaite du parti au pouvoir au niveau local. Le résultat des élections ne devrait pas modifier le programme de stabilisation économique du ministre de l’Économie Mehmet Simsek. Le comité de politique monétaire a maintenu son taux directeur lors de sa dernière réunion en avril, taux qu’il avait encore relevé en mars. La consommation des ménages continue de tirer la croissance, qui restera soutenue cette année, à moins que la politique budgétaire ne devienne très restrictive, ce qui est peu probable. Le rééquilibrage des composantes de la croissance est en cours, même s’il n’est pas encore suffisant pour infléchir la balance courante hors facture énergétique.
Apaisement des marchés financiers après les élections
Depuis les élections municipales qui se sont déroulées le 31 mars dernier, les conditions financières se sont stabilisées en Turquie. Le cours USDTRY est stabilisé autour de 32, alors qu’il s’était déprécié de 9% entre janvier et mars. Le principal indice de la bourse d’Istanbul (BIST 30) a gagné 9% (en monnaie locale) depuis la fin mars. Le CDS spread de maturité 5 ans est resté stable en dessous de 300 points de base, un niveau qui témoigne d’une confiance de la part des investisseurs pour le risque souverain turc supérieure à ce que l’appariement avec les notations d’agences suggèrerait.
Seuls les rendements des obligations d’État à 10 ans (26%) restent toujours aussi élevés qu’avant les élections. Mais cela s’explique par une inflation encore très forte (68,5% sur un an en mars 2024) et le durcissement monétaire ; le taux directeur de la banque centrale (TCMB) ayant été porté à 50% le 22 mars (contre 8,5% le 22 juin 2023).
L’AKP, le parti du Président R.T. Erdogan, se trouve affaibli à l’issue des élections locales. Le parti kémaliste CHP, principal parti d’opposition, a recueilli 37,7% des suffrages contre 35,5% pour l’AKP. Les grandes métropoles (Ankara, Istanbul) sont restées dans le giron du CHP et le nombre de municipalités contrôlées par l’AKP s’est réduit de trente-neuf à vingt-quatre.
Les marchés ont donc réagi favorablement à cette défaite du parti au pouvoir au niveau local. Le résultat des élections ne devrait pas modifier le programme de stabilisation économique du ministre de l’Économie Mehmet Simsek. De plus, le comité de politique monétaire de la BCRA a maintenu son taux directeur lors de sa dernière réunion en avril. Dans ce contexte, le rééquilibrage des composantes de la croissance est en cours, même s’il n’est pas encore suffisant pour infléchir la balance courante hors facture énergétique.
La croissance économique fait mieux que résister
Au T4 2023, la croissance était encore dynamique à 1,0% T/T (4,8% en glissement annuel), grâce principalement à une consommation des ménages soutenue (3,6% en g.a.) malgré l’accélération de l’inflation. Le solde des échanges extérieurs a également contribué à la croissance, quoique légèrement (+0,3 point de pourcentage).
L’investissement, en revanche, a marqué le pas (-0,8%), mais après une très forte progression sur T1-T3 2023 (+11%) ainsi qu’au cours des années précédentes.
Rappelons que les investissements de machines et biens d’équipement (mesurés à prix constants) et les importations de biens d’investissement hors automobiles (mesurées en dollars) étaient supérieurs de 80% fin 2023 par rapport à la fin 2019, une performance inégalée parmi les pays de l’OCDE.
Au T1 2024, la croissance a très bien résisté. En moyenne sur jan-février, la production manufacturière est en hausse de 3,5% par rapport au T4 2023 (après +2,5% en 2023 en moyenne annuelle) et, sur jan-mars, celle des automobiles a progressé de près de 6% (après +8,6% en 2023 en m.a.). Les paiements par cartes de crédit, qui ont largement contribué au dynamisme des achats des ménages depuis la mi-2021 (cf. graphique 1), affichaient encore une progression spectaculaire de 40% sur un an en termes réels. De plus, d’après la statistique officielle de salaire horaire moyen pour l’ensemble de l’économie, le rattrapage du pouvoir d’achat depuis 2023 s’est poursuivi avec une nouvelle très forte revalorisation du salaire minimum[1]. Parallèlement, la consommation et/ou l’investissement publics pourraient avoir de nouveau contribué à la croissance (cf. infra). En revanche, les exportations, mesurées en dollars, se sont tassées de 1% T/T et l’investissement privé en équipement devrait s’être de nouveau contracté. La correction à la baisse des importations de biens d’équipement s’est en effet poursuivie sur janvier-février et l’indice des intentions d’investissement de l’enquête de la TCMB a continué de s’éroder, même s’il reste à un niveau historiquement élevé.
Au final, la croissance sera selon toute vraisemblance toujours positive au T1. Aussi, en moyenne sur l’ensemble de l’année, dans un scénario de décrue de l’inflation mensuelle déjà observé (3,3% en mars contre 4,3% en janvier)[2] et de stabilisation de la livre autorisant la banque centrale à desserrer un peu son étreinte, la croissance du PIB devrait être d’au moins 3%, sauf si la politique budgétaire devient très restrictive, ce qui est peu probable.
Dérapage budgétaire contrôlé
Le dérapage budgétaire anticipé tout au long de l’année passée suite à la révision du budget en juin 2023 et de la publication du plan économique à moyen terme (MTEP) en septembre, n’est finalement intervenu qu’en toute fin d’année. Le déficit du gouvernement central s’est établi à 5,2% du PIB en décembre contre encore seulement 2,7% en septembre. Fin mars et en cumul sur douze mois, il a atteint 5,4%. C’est malgré tout deux fois moins élevé que ce qu’un institut de recherche sérieux comme le TEPAV craignait il y a un an. Qui plus est, les comptes publiés par le ministère des finances sont en termes de droits et charges constatés (accrual basis) et non pas effectivement payés (cash basis). Ils tiennent compte des engagements de dépenses au titre de 2023, décaissés ou non. L’exécution budgétaire publiée par le Trésor, qui est, à l’inverse, sur base de décaissements effectifs, montre également un dérapage, mais à partir d’un niveau bien plus faible (de 2,4% fin 2023 à 3% en mars). Au T1 2024, les dépenses hors intérêts ont progressé de 16% en termes réels par rapport au T1 2023. Mais il n’y a pas d’accélération par rapport à l’ensemble de l’année 2023, mois de décembre exclu.
Pour 2024, l’objectif du MTEP est de 6,4% (dépenses liées au tremblement de terre comprises). Cet objectif est a priori tout à fait crédible. Il y a deux réserves cependant quant à l’évolution des métriques de finances publiques. Premièrement, le poids des intérêts de la dette a sensiblement augmenté, de 1,9% du PIB (11% des revenus) en mars 2023 à 2,7% (resp. 13,6%) un an plus tard. Cette dégradation n’est pas inquiétante pour autant. Deuxièmement, la dette du gouvernement central ne tient a priori pas compte des dépenses engagées au titre du tremblement de terre (puisqu’elles n’ont pas été décaissées).
Fin mars, la dette ne représentait plus que 25% du PIB. Si l’on ajoute les 2,4 points de PIB d’écart entre le déficit en base d’engagements et celui en base de caisse et, compte tenu de notre prévision du déficit pour 2024 (4,8%), d’une hypothèse de croissance du PIB nominal de 60% et d’une appréciation du taux de change réel de la livre d’un peu plus de 20% (contre un panier USD-EUR), le ratio resterait inchangé à 25% du PIB. Pour 2025, l’assainissement budgétaire serait plus marqué, avec un solde primaire ramené à l’équilibre contre encore -1,8% du PIB en 2024.
Stabilisation encore inachevée des comptes extérieurs
Les réserves de change de la BCRA se sont stabilisées depuis les élections municipales (cf. graphique 2). Elles s’étaient érodées sur les trois premiers mois de l’année non en raison d’une détérioration de la balance des paiements mais sous l’effet d’une plus forte demande de dollars de la part des résidents et d’une réduction de la position de swaps de change créditrice des banques commerciales auprès de la Banque centrale.
En février et en cumul sur 12 mois, le déficit de la balance courante s’est réduit à USD 32 mds (2,8% du PIB), une division par deux par rapport à son pic du printemps 2023. Cette amélioration s’explique uniquement par un moindre déficit de la balance des postes « or & énergie », qui s’est rétracté de 10% à 6% du PIB. Toutefois, la balance commerciale des autres produits, celle des services (dominés par les recettes du tourisme qui ont atteint USD 40 mds sur 12 mois) et celle des revenus, restent, agrégées, largement excédentaires.
L’excédent de la balance des investissements de portefeuille a permis de compenser la baisse attendue du poste erreurs & omissions. En revanche, au T1 2024, les dépôts des résidents couverts par le mécanisme de protection contre le risque de change (KKM) ont été transféré très majoritairement vers des dépôts en dollars malgré la hausse des taux d’intérêt sur les dépôts en TRY. Mi-avril, il restait encore l’équivalent de USD 70 mds de dépôts encore non transférés (et donc encore tenus en TRY). Avec la saison touristique, le déficit courant devrait pouvoir se stabiliser autour 2,5% du PIB. Si tel est le cas, cela devrait conforter la stabilité récente de la livre et favoriser les transferts de dépôts KKM vers des dépôts en TRY.
Achevé de rédiger le 30 avril 2024.