Après avoir stagné au deuxième semestre 2023, l’activité économique se raffermit depuis quelques mois, soutenue entre autres par la résilience de l’emploi. Ce bon début d’année ne s’imposait pourtant pas comme une évidence au vu de la divergence de nombreux indicateurs. Le rythme des baisses des taux devrait ralentir au deuxième semestre 2024. En effet, l’assouplissement monétaire se heurte à une désinflation plus lente qu’anticipé et à des risques haussiers sur les anticipations d’inflation. Ces dernières sont écornées par la révision des objectifs budgétaires pour 2025-28 et un interventionnisme plus prononcé de l’État, soucieux de relancer l’investissement. Le sommet annuel du G20 en novembre prochain et la tenue de la COP30 l’année prochaine donneront l’occasion au Brésil de renforcer son leadership du Sud global en soutien des questions environnementales, de lutte contre la pauvreté et de redistribution.
La conjoncture déjoue les attentes (une fois de plus)
Comme au cours des trois dernières années, les indicateurs d’activité du premier trimestre ont été beaucoup mieux orientés qu’anticipé : dans le sillage du rebond engagé en décembre dernier, l’indicateur avancé du PIB (IBC-Br) a continué de progresser en janvier et février 2024, tandis que les enquêtes PMI du mois de mars indiquent une expansion de l’activité dans les services et le secteur manufacturier.
Ces données conjoncturelles ont mis à mal le scénario d’un ralentissement de l’économie auguré par la stagnation du PIB au deuxième semestre 2023. L’épidémie record de dengue que traverse le pays (plus de 3 millions de cas recensés) ne semble pour l’instant pas peser significativement sur la croissance du PIB.
La consommation a été le moteur de la reprise économique soutenue par la hausse de transferts[1] et la bonne tenue de l’emploi. Contrairement aux anticipations, le marché du travail ne montre toujours pas de signes d’essoufflement. Corrigé des variations saisonnières, le chômage a sensiblement reflué au premier trimestre tandis que les revenus moyens (en termes réels) ont continué de progresser (9e mois consécutif de hausse en février). Ces évolutions favorables expliquent la solide progression des ventes de détail ainsi que celle des activités de services.
Pourtant, la lecture de certains indicateurs pouvait laisser douter de la vigueur du raffermissement de l’activité : baisse de la production industrielle, repli de la confiance des ménages (en janvier et février), tassement des exportations de biens en volume au T1 (+0,9% vs. T4 2023). L’octroi de crédit n’a pas connu de sursaut particulier (en glissement annuel, la progression du crédit en termes réels est stable autour de 3,5% depuis septembre 2023). En parallèle, le marché boursier (-15% en dollar) et la monnaie (-7,5% contre le dollar) ont connu des déconvenues depuis le début de l’année – au point de sous-performer la plupart des grands pays émergents et autres exportateurs nets de pétrole. Sur les deux premiers mois de l’année, Le marché actions a notamment enregistré près de USD 3,6 mds des sorties nettes de capitaux de la part des non-résidents.
Des soutiens budgétaires multiformes
La bonne tenue de l’activité au T1 nous a conduit à réviser à la hausse notre prévision de croissance du PIB pour cette année (2,2% contre 1,8% prévu précédemment).
Ce faisant, elle profite aux comptes publics (le gouvernement a déjà enregistré un surplus de BRL 5 mds de recettes fiscales par rapport aux prévisions sur les deux premiers mois de l’année). Cette situation devrait permettre d’atteindre les objectifs de solde primaire (hors intérêts de la dette) fixés par le nouveau cadre budgétaire (objectif de déficit zéro en 2024 avec une tolérance de 0,25 point de PIB).
Pour autant, Lula – dont la popularité s’effrite depuis quelques mois et qui, en octobre, fera face à un premier test électoral avec les élections municipales – souhaite stimuler la demande interne[2]. Le chef de l’État a d’ores et déjà annoncé i/ un nouveau programme de financement pour soutenir les microentreprises et microentrepreneurs (Programa Acredite), ainsi ii/ qu’un programme de subventions (Mover) destiné à l’industrie automobile pour stimuler, entre autres, la production nationale de véhicules électriques (neuf constructeurs automobiles ont déjà annoncé des investissements à hauteur de USD 17 mds à horizon 2030.) Le gouvernement œuvre aussi au déploiement d’une aide pour les factures d’électricité des ménages.
Néanmoins, en dehors de l’instauration d’une taxe sur les fonds d’investissement offshore, le gouvernement peine pour l’instant à accroître durablement les recettes. Plusieurs initiatives du gouvernement ont été retoquéees par le Congrès ou suspendues jusqu’après les élections (e.g. création d’une taxe sur les dividendes ou modification de l’impôt sur le revenu). Le ministère de la Planification et du Budget a ainsi annoncé, fin mars dernier, le gel de BRL 2,9 mds (USD 581 mn) de dépenses discrétionnaires. Les objectifs budgétaires fixés dans le cadre de la première version du projet de loi d’orientation budgétaire pour 2025 ont aussi été revus afin de dégager des marges de manœuvre supplémentaires : des ajustements à la baisse, de respectivement 0,5 et 0,75 point de PIB, ont été apportés aux excédents primaires ciblés en 2025 et 2026 (initialement 0,5% et 1% du PIB). L’objectif de réaliser 1% d’excédent a finalement été reporté à 2028.
Compte tenu de ces obstacles, Lula renoue depuis quelques mois avec un interventionnisme plus marqué au sein de grands groupes (Petrobras, Vale, Braskem) avec l’espoir de relancer l’investissement[3]. Par exemple, le gouvernement, qui détient environ 37% du capital de Petrobras, a souhaité que l’entreprise renonce au paiement de dividendes pour être en meilleure capacité d’investir mais aussi de maintenir des prix bas à la pompe (en absorbant la hausse des prix du pétrole.)
Baisse des taux moins rapide que prévu
En dépit de la baisse des taux directeurs cumulée de 300 points de base depuis août 2023, et des baisses à venir cette année, la politique monétaire devrait demeurer en territoire restrictif[4] – du moins tant que les anticipations d’inflation de moyen terme des opérateurs privés demeurent au-dessus de la cible de la BCB.
L’ambiguïté du gouvernement par rapport à ses objectifs budgétaires et l’ingérence renouvelée de Lula dans certaines grandes entreprises pèsent en effet sur les anticipations mais aussi sur la monnaie - qui souffre, de surcroît, du renforcement du dollar. L’affaiblissement de la monnaie (et l’inflation importée), l’escalade des tensions géopolitiques et leurs effets sur les prix des matières premières ainsi qu’un assouplissement monétaire plus lent dans les pays avancés contraignent la fonction de réaction des autorités monétaires brésiliennes. Ces considérations s’ajoutent à des facteurs locaux et ralentissent le processus de désinflation : effet prolongé d’El Niño sur les prix alimentaires, accélération de l’inflation dans les services, persistance des pressions salariales et taux de chômage ancré en dessous du taux NAIRU[5].
Au vu de ce contexte, et pour se donner davantage de marges de manœuvre, la BCB a raccourci l’horizon au cours duquel elle fournissait des indications sur l’orientation future de sa politique monétaire (forward guidance). Elle a annoncé une nouvelle réduction du taux SELIC d’un demi-point au cours de la prochaine réunion en mai, sans se positionner au-delà. Les opérateurs de marché anticipent désormais des baisses de taux moins importantes au deuxième semestre. Le changement de profil du conseil de politique monétaire de la BCB (le COPOM) en fin d’année (nomination par Lula du nouveau gouverneur notamment) devrait, par ses effets sur les anticipations d’inflation, constituer un autre point de vigilance des marchés au S2.
Le Brésil, sous le feu des projecteurs
Le Brésil exerce la présidence tournante du G20 et organisera son sommet annuel en novembre 2024 à Rio de Janeiro. Un an plus tard, le pays organisera la conférence mondiale sur le climat (COP 30) à Bélem en Amazonie. Outre les questions de décarbonation des économies, ce sont surtout les thèmes de lutte contre la pauvreté et les inégalités, la réforme de la fiscalité internationale et la représentation du Sud global dans la gouvernance financière internationale qui devraient occuper l’ordre du jour. Parmi les initiatives déjà proposées, on compte la formation d’une alliance mondiale contre la faim et la pauvreté, et la proposition de mise en place d’une taxe globale sur la fortune. Dans sa quête à définir les contours d’une nouvelle mondialisation plus redistributive, le Brésil aura la lourde de tâche de créer du consensus dans un contexte de divergences croissantes sur le plan géopolitique.
Achevé de rédiger le 23 avril 2024