L’économie des Émirats arabes unis reste l’une des plus dynamiques de la région. Ces bonnes performances sont liées à la diversification sectorielle des émirats et à l’attractivité persistante de Dubaï pour les touristes et les investisseurs. Malgré un environnement géopolitique tendu, les perspectives sont favorables à court terme : la production d’hydrocarbures devrait croître et la croissance soutenue des services et de l’immobilier se maintenir. Néanmoins, le risque géopolitique, les incertitudes du marché pétrolier et la politique monétaire américaine sont autant de facteurs susceptibles de remettre en cause ce scénario. À plus long terme, l’incertitude quant au rythme et à l’intensité de la transition bas-carbone rend les perspectives beaucoup plus incertaines. La stratégie de la fédération est de continuer de développer sa capacité de production d’hydrocarbures pour profiter de conditions de production favorables, et de diversifier les exportations.
Dynamisme des secteurs hors hydrocarbures
En 2023, la croissance économique des Émirats arabes unis (EAU) – +3,1% selon les estimations de la banque centrale – a été parmi les plus fortes de la région en raison du dynamisme des secteurs non pétroliers (+5,9%) et de la baisse relativement modérée du PIB lié aux hydrocarbures (-3,3%). L’activité a progressé de 3,1% à Abu Dhabi (environ 60% de l’économie de la fédération), soutenue principalement par le secteur de la construction et les services financiers. Le secteur des hydrocarbures (environ 47% du PIB) s’est replié de 2,9% en raison de la décision de l’OPEP de limiter la production afin de soutenir les prix.
À Dubaï (environ 22% du PIB de la fédération), le dynamisme du secteur des services devrait permettre une croissance de 3,5% environ du PIB. Ce sont les secteurs de la logistique et des transports, et dans une moindre mesure le commerce de détail, qui ont été les principaux moteurs de la croissance en 2023.
À court terme, les perspectives des secteurs hors hydrocarbures sont positivement orientées. L’immobilier résidentiel devrait continuer de progresser, même si un ralentissement est prévu à Dubaï après un rythme de construction soutenu depuis 2020. Plus généralement l’attractivité de l’émirat pour les touristes et entrepreneurs étrangers soutient le secteur de l’immobilier.
Ainsi, le régime des visas a été récemment assoupli et les entrepreneurs étrangers sont maintenant autorisés à détenir jusqu’à 100% du capital d’une entreprise domiciliée aux Émirats. La fréquentation touristique devrait continuer de progresser, mais à un rythme moins soutenu qu’en 2023. En effet, une partie de la forte hausse du nombre de visiteurs enregistrée en 2023 (+19% à Dubaï) est due à l’organisation de la COP28.
Les perspectives du secteur pétrolier sont plus mitigées à court terme. Même si on constate certains signes de reprise de la demande de pétrole au niveau mondial, les pays de l’OPEP+ seront prudents avant de s’engager dans une hausse de la production. Aux EAU, nous anticipons une augmentation de la production pétrolière d’environ 1,7% en 2024.
Au total la croissance devrait atteindre 3,9% en 2024 et accélérer vers 5,4% en 2025, grâce notamment à l’augmentation attendue de la production pétrolière.
Risques potentiels sur la croissance
L’évolution du marché du pétrole reste un déterminant important de l’activité malgré la diversification de l’économie par rapport aux standards régionaux. Depuis quelques années, la hausse des capacités de production pétrolières sur l’ensemble du continent américain contraint l’influence du cartel sur le marché pétrolier, ce qui peut freiner l’augmentation des quotas de production des pays de l’OPEP.
Le maintien de taux d’intérêt élevés aux États-Unis constitue une autre contrainte, l’ancrage du dirham émirati au dollar US imposant à la banque centrale des EAU de suivre la politique monétaire de la Réserve fédérale américaine (Fed).
Même si la baisse des taux américains devrait être amorcée cette année, elle se fera vraisemblablement à un rythme modéré étant donnée la vigueur de l’activité économique aux États-Unis.
L’environnement géopolitique peut avoir des conséquences négatives majeures aux Émirats compte tenu de l’importance du secteur des services, traditionnellement plus sensible au risque politique que l’industrie, et de la dépendance de la fédération vis-à-vis des routes commerciales maritimes. Un blocage du détroit d’Hormuz limiterait fortement les capacités d’exportation de pétrole. En effet, l’oléoduc reliant les champs pétroliers d’Abu Dhabi au port de Fujairah a une capacité de 1,5 mb/j tandis que les exportations atteignent en moyenne 2,6 mb/j. En revanche, les perturbations dans la circulation des navires en mer Rouge ont des conséquences très limitées sur les exportations pétrolières, l’Asie étant de loin le principal marché d’exportation. Aussi, paradoxalement, l’augmentation du risque géopolitique peut avoir des conséquences positives sur l’activité aux Émirats, et plus particulièrement à Dubaï, pays d’accueil de ressortissants de pays soumis à des tensions géopolitiques au cours des dernières années.
Solidité des finances publiques et externes
Les indicateurs de liquidité et de solvabilité publics et externes sont solides si l’on considère les Émirats dans leur ensemble. Les revenus budgétaires non liés aux hydrocarbures représentent environ 45% des revenus gouvernementaux totaux. Ils sont issus de taxes et de dividendes provenant d’entreprises à participation publique majoritaire. De leur côté, les dépenses du gouvernement croissent à un rythme modéré. Dans ce contexte, le prix du baril de pétrole qui équilibre le budget est inférieur à 60 USD/b, ce qui permet aux comptes publics de dégager un excédent. La dette du gouvernement est modérée (27% du PIB en 2023) et orientée à la baisse. Le gouvernement est très largement créditeur net étant donné que les actifs détenus par les fonds souverains équivalent à au moins deux fois le PIB.
La dette contingente des membres de la fédération (définie comme celle des conglomérats non bancaires dont le gouvernement détient une majorité du capital) est élevée (29% du PIB d’Abu Dhabi et 38% du PIB de Dubaï), mais elle ne représente pas un risque de nature systémique.
Les Émirats Arabes Unis dans la transition bas-carbone
La dépendance aux hydrocarbures (les recettes issues des hydrocarbures représentent environ 40% des revenus d’exportation hors réexportations et 55% des revenus du gouvernement) accentue les incertitudes liées à la transition bas-carbone. Le risque est à la fois celui de voir les actifs hydrocarbonés perdre de leur valeur (de devenir des « stranded assets ») et donc de ne plus générer suffisamment de revenus pour les économies concernées, et celui d’être insuffisamment engagé dans la diversification économique. Si la transition bas-carbone est un objectif partagé par un grand nombre de pays, son rythme et ses conséquences économiques sont pour l’instant très incertains. Néanmoins, pour les producteurs de pétrole le risque de devoir faire face à de graves difficultés économiques dans un horizon relativement court (deux décennies) n’est pas négligeable selon le FMI[1].
Dans ce contexte, les EAU développent une double stratégie : continuer de valoriser les ressources d’hydrocarbures, en développant les capacités de production, et préparer l’ère post-hydrocarbures en accélérant la diversification de l’économie. Contrairement à d’autres producteurs dans la région, les EAU ambitionnent d’augmenter leur capacité de production pétrolières à moyen terme. Elle est actuellement estimée à un peu plus de 4 mb/j et l’objectif est de l’augmenter à 5 mb/j d’ici 2027. En parallèle, l’extraction de gaz devrait s’accroître afin que le pays devienne exportateur net de gaz d’ici 2030. Actuellement, une partie de la consommation intérieure est couverte par des importations provenant du Qatar. En parallèle, les objectifs en matière de décarbonation du mix énergétique sont ambitieux. Ils consistent, d’une part, à électrifier plus de 50% du mix énergétique d’ici 2050 (20% actuellement), et, d’autre part, à décarboner la production d’électricité. En 2022, environ 18% du mix électrique est non carboné si on inclut l’énergie nucléaire (13% du mix électrique). Les ambitions en termes d’énergie renouvelable (uniquement solaire étant données les caractéristiques climatiques) sont très importantes : tripler la capacité de production entre 2022 et 2030.
Le défi de la diversification des exportations
Concernant la diversification de l’économie, la transition énergétique impose un nouveau processus. Depuis plus d’une vingtaine d’années, la diversification des économies du Golfe a eu pour principal objectif de créer des emplois grâce au développement du secteur privé. Comme le souligne le rapport du FMI, la transition impose une autre diversification : celle des exportations qui permettra de faire face aux conséquences de la baisse de la rente liée aux hydrocarbures. Pour le moment, la diversification a surtout concerné des secteurs à productivité limitée (tourisme) ou ceux de biens non exportables (immobiliers), mais relativement peu de biens ou de services exportables et à haute valeur ajoutée (à l’exception de la logistique et des secteurs industriels intensifs en énergie tels que la pétrochimie ou l’aluminium).
Les Émirats disposent d’un certains nombre d’atouts pour mettre en œuvre cette nouvelle diversification. Ils disposent de moyens financiers très importants qui leur permettent notamment des investissements internationaux dans les énergies renouvelables (Masdar) ou des prises de participation dans des entreprises innovantes. Par ailleurs, les dépenses en recherche et développement sont assez élevées par rapport aux standards régionaux (environ 1% du PIB en moyenne entre 2000 et 2018 contre moins de 0,5% pour les autres pays du Golfe). Néanmoins, dans la recherche de nouveaux secteurs exportateurs, les EAU font face à une forte concurrence internationale, notamment celle visant à attirer des entreprises innovantes et de la main d’œuvre qualifiée. Ainsi, dans le secteur de l’intelligence artificielle (IA), des moyens importants sont mis en œuvre pour accroître les capacités des data center indispensables au développement du secteur de l’IA. Pour le moment, la croissance de ce secteur reste trop limitée pour avoir un impact économique réel. Au total, même si les EAU semblent les mieux placés régionalement pour mettre en œuvre la deuxième vague de diversification, et si celle-ci est a priori trop récente pour en mesurer les effets, leur capacité à maintenir le niveau de développement économique actuel, dans le cadre de la transition bas carbone, reste très incertaine.
Achevé de rédiger le 19 avril 2024