Au Maroc, les derniers chiffres de la croissance du PIB et de l’inflation ont été meilleurs qu’attendu, mais le nouvel épisode de sécheresse compromet la reprise économique. L’instabilité régionale constitue un autre risque à prendre en considération. Le pilotage adéquat de la politique économique et les fondamentaux solides du pays restent toutefois des facteurs rassurants de stabilité macroéconomique.
Confrontée à une accumulation de chocs depuis cinq ans, l’économie marocaine s’illustre par sa capacité de résistance. Les autorités maintiennent une politique économique prudente qui ne remet pas en cause la trajectoire de stabilisation en cours depuis la crise du Covid-19.
Plus encourageant, elles ont aussi cherché à tirer les leçons de ces évènements en lançant des réformes ambitieuses à l’image du programme de développement de la région de Marrakech, touchée par un séisme en septembre 2023, qui va bien au-delà de la reconstruction.
De plus, cette année encore verra la mise en place de mesures de renforcement du filet social, à commencer par l’instauration d’une aide directe mensuelle aux familles défavorisées ou la poursuite de la généralisation de la couverture sociale.
Les vents contraires restent puissants. En plus de l’instabilité régionale, le Maroc est de nouveau confronté à une situation de stress hydrique. La chute de la production agricole va peser sur la croissance économique. Néanmoins, les bons fondamentaux macroéconomiques vont permettre à l’économie de traverser cette nouvelle période de turbulence sans trop de dégâts.
La stabilité des comptes extérieurs n’est pas menacée
La dynamique des comptes extérieurs ne soulève pas d’inquiétude majeure. Après s’être creusé en 2022 à 3,6% du PIB, le déficit courant s’est réduit, atteignant 0,6% du PIB en 2023 (voir graphique 1), grâce au reflux des cours mondiaux des principales matières importées par le Maroc et à la bonne tenue des principales sources de devises.
Avec 14,5 millions de visiteurs en 2023 et des recettes dépassant pour la première fois les USD 10 mds (7,4% du PIB), le secteur touristique a, en effet, connu une année record, tout comme les transferts financiers de la diaspora marocaine en hausse de presque 6% (USD 11,4 mds, soit 8,1% du PIB).
Sur le plan des exportations, la performance d’ensemble a été plus mitigée (+0,2%). Mais le fait que les ventes d’automobiles (+27,4%) aient compensé la chute de 34% des exportations de phosphates et produits dérivés est révélateur du renforcement de la capacité de résistance de l’économie à des chocs extérieurs. En l’espace d’une dizaine d’années, la production de voitures a quasiment quintuplé pour atteindre 536 000 unités l’an dernier, faisant du secteur la première source d’exportation du pays (+77% entre 2019 et 2023). Combiné à l’essor d’autres niches industrielles (électronique, aéronautique), ce développement soutenu a réduit la vulnérabilité de l’économie aux fluctuations des termes de l’échange et à la demande de ses principaux partenaires commerciaux. Le Maroc n’a cessé de gagner des parts de marché sur le continent européen. Malgré une hausse des importations, liée à la progression de l’investissement et au surcroît des besoins alimentaires en raison de la chute de la production agricole, le déficit courant devrait rester contenu à moins de 3% du PIB cette année.
La couverture des besoins de financements extérieurs restera gérable. À rebours de la tendance mondiale, les entrées nettes d’investissements directs étrangers (IDE) ont progressé de 60% entre 2020 et 2022 pour atteindre 1,6% du PIB. Elles sont tombées à 0,7% du PIB en 2023 sous le double effet d’investissements importants à l’extérieur du Maroc et d’une baisse de 18% des flux entrants. Ces derniers devraient néanmoins rebondir dès cette année au regard de la multiplication des projets annoncés. Par ailleurs, le pays dispose d’un bon accès aux marchés financiers internationaux, son endettement extérieur est modéré (il est inférieur à 50% du PIB) et les réserves de change sont confortables (5,9 mois d’importations de biens et services). Dans un environnement encore instable, la mise à disposition d’une ligne de crédit modulable de USD 5 mds par le FMI rassure également.
Consolidation budgétaire : le cap est maintenu
La crédibilité de la stratégie de consolidation budgétaire du gouvernement est un autre facteur de stabilité macroéconomique. Malgré un montant record d’investissement public de 7,7% du PIB, le déficit budgétaire s’est contracté de 0,7 point en 2023, à 4,5% du PIB, grâce à de bonnes rentrées fiscales et à la baisse de 1,1 point de PIB des subventions énergétiques et alimentaires, qui a fait suite à la normalisation des cours mondiaux des matières premières (après leur hausse brutale en 2022). Le gouvernement table sur un déficit de 4,3% du PIB en 2024 (hors recettes des privatisations) avant de le ramener à son niveau pré-pandémie de 3 à 3,5% du PIB à horizon 2025-2026. La volatilité de la conjoncture et la mise en place de mesures coûteuses constituent des sources potentielles de dérapage, mais le risque apparaît maîtrisé.
Pour y parvenir, les autorités comptent notamment sur une réforme de la TVA visant à simplifier le système et à élargir son assiette fiscale. Surtout, les charges de compensation (gaz butane, blé, sucre) sont attendues en forte baisse pour n’atteindre que 0,5% du PIB en 2026 contre 2,1% en 2023 une refonte du système de subventions, ce qui permettra à la fois d‘absorber le surcoût généré par la mise en place d’aides directes aux ménages mais aussi de réduire la volatilité inhérente à ce poste budgétaire. L’absence de tensions sur le marché mondial du gaz, qui constitue l’essentiel du coût supporté par la caisse de compensation, demeure propice à la mise en place de cette réforme socialement sensible. Un recours accru aux partenariats public-privé sera enfin privilégié pour rationaliser les dépenses d’investissements publics et les maintenir au-delà de 6% du PIB.
Dans ce contexte, la dette du gouvernement devrait continuer de baisser pour passer sous la barre des 70% du PIB en 2025. Cela reste 10 points au-dessus de son niveau de 2019 mais sa structure favorable offre des marges de manœuvre. Libellée aux trois quarts en monnaie locale et détenue par des investisseurs résidents, elle est peu sensible aux aléas externes. De plus, le resserrement de la politique monétaire est resté modéré, ce qui a permis de contenir les charges d’intérêt à moins de 10% des recettes budgétaires. Or, il y a peu de raison que cette situation se dégrade à l’avenir compte tenu de la dissipation du choc inflationniste.
Baisse de l’inflation, statu quo monétaire
Le reflux de l’inflation est spectaculaire. En février 2024, l’indice des prix à la consommation (IPC) ne progressait plus que de 0,3% en glissement annuel contre un pic de 10% début 2023. Pour l’essentiel, c’est la baisse de l’inflation alimentaire qui explique cette dynamique (voir graphique 2).
Mais le ralentissement est généralisé avec une hausse de l’IPC hors alimentation de seulement 0,9% en février. Cette décrue de l’inflation valide la stratégie prudente des autorités monétaires qui ont attendu le mois de septembre 2022 pour commencer à relever les taux, et ce pour une amplitude totale modérée de 150 pb. À 3%, le taux directeur est ainsi resté longtemps sous l’inflation.
Ce n’est plus le cas. La question d’un assouplissement pourrait donc se poser. Néanmoins, plusieurs facteurs laissent penser que le statu quo prévaudra cette année. En particulier, le relèvement annoncé des prix du gaz butane et la chute de la production agricole vont créer des tensions inflationnistes dans les mois à venir. L’impact devrait être a priori modeste. L’inflation moyenne est attendue à 2,4% en 2024 contre 6,1% en 2023. Mais tant que le risque n'est pas maîtrisé, la banque centrale restera vigilante. Dans un contexte de fort différentiel de taux entre l’Europe et le Maroc, il est aussi important de préserver l’attractivité financière du pays, notamment auprès de la diaspora marocaine dont le poids dans les dépôts bancaires est prépondérant (18%). Enfin, au regard du regain de dynamisme de l’investissement, l’économie semble s’accommoder des conditions monétaires actuelles.
Reprise contrariée, un espoir pour la suite
Avec une croissance de 4,1% au T4 2023 contre 3,3% initialement estimée, la vigueur de l’activité économique a surpris. Après une hausse de 11,6% au T3, l’investissement a poursuivi sa bonne dynamique (+19,6%), et la consommation des ménages (+3%) a retrouvé quelques couleurs grâce à la baisse des tensions inflationnistes. Avec une croissance de 1% en moyenne sur l’ensemble de l’année, après s’être contractée de 0,7% en 2022, elle demeure néanmoins en berne. Sur le plan sectoriel, ce sont surtout les activités industrielles qui ont tiré la croissance vers le haut au T4.
Les perspectives pour 2024 sont mitigées. Hors agriculture, la croissance devrait se consolider à 3,3% (2,8% en 2023), tirée une nouvelle fois par l’investissement, tandis que le redressement de la consommation restera timide en raison du niveau élevé du chômage. Celui-ci atteint désormais 13%, soit presque 3 points de plus que son niveau pré-pandémie. De plus, le marché de l’emploi va de nouveau pâtir de la contre-performance du secteur agricole. Selon la banque centrale, la production céréalière devrait chuter de moitié, à 25 millions de quintaux, en raison de mauvaises conditions climatiques. Le secteur pèse pour 10% du PIB et 30% de l’emploi. Une contraction sévère de la valeur ajoutée agricole aura de multiples conséquences sur l’économie. Les prévisions de croissance ont ainsi été rabaissées de presque 1 point à 2,4%.
En revanche, la croissance du PIB pourrait rebondir à presque 4% en 2025 sous réserve d’une normalisation de la production agricole. Cette volatilité n’est pas nouvelle mais la répétition des épisodes de sécheresse ces dernières années soulève de nombreux défis. Des projets de désalinisation d’eau de mer ont été lancés pour y répondre. Surtout, le Maroc table sur ses avantages comparatifs indéniables pour bénéficier des processus de nearshoring industriel et de décarbonation, et donc continuer à se diversifier. Combiné au renforcement des filets sociaux, les autorités espèrent ainsi relever le potentiel de croissance économique à 5-6% contre 3,5% aujourd’hui. L’explosion des projets d’IDE greenfield, passés de moins de USD 4mds en 2021 à USD 38 mds en 2023 laisse penser que le pays est sur la bonne voie.
Achevé de rédiger le 08 avril 2024