La croissance économique chilienne s’est normalisée au cours du second semestre 2023, l’inflation a ralenti, le déficit courant a diminué. Le rebond de l’activité attendu en 2024 devrait permettre une croissance proche du potentiel, tirée par la consommation des ménages, l’investissement privé et les exportations minières. Sur le plan politique, les tensions se sont apaisées après la décision de marquer une pause (qui devrait durer plusieurs années) dans le processus d’adoption d’une nouvelle Constitution. Néanmoins, le gouvernement de G. Boric et les partis d’opposition continuent de débattre, notamment sur la réforme fiscale, la réforme des systèmes de retraite et la loi cadre du secteur de l’énergie.
Retour de la croissance
L’investissement et la consommation privée se sont ajustés à la baisse au dernier trimestre 2022 et au premier semestre 2023, après le retrait des mesures exceptionnelles mises en place en 2020-2021 et le PIB réel a reculé sur trois trimestres consécutifs.
L’activité s’est stabilisée à partir du deuxième trimestre 2023 : le PIB réel a progressé de 0,6% et 0,4% en g.a. aux T3 et T4 respectivement. La croissance économique s’est finalement établie à 0,2% pour l’année 2023.
Les perspectives à court terme sont plus favorables. On s’attend à une progression du PIB de près de 2% en 2024, notamment grâce au rebond de la consommation privée et des exportations minières. Le processus rapide de désinflation (l'inflation a ralenti à 7,6% en g.a. en 2023, après 11,6% en 2022 et a encore ralenti au cours des premiers mois de 2024, à 3,2% en g.a. en mars) devrait entraîner une hausse des revenus réels.
Dans le même temps, le cycle (agressif) d'assouplissement monétaire se poursuit (la banque centrale a déjà réduit son taux directeur de 480 pb depuis juillet 2023, à 6,5% début avril, et de nouvelles baisses sont attendues à court terme).
Cela devrait améliorer l’accès au crédit, tant pour les consommateurs que pour les investisseurs. Parallèlement, les investissements et les exportations bénéficieront de la demande croissante de produits miniers chiliens (principalement du cuivre et du lithium) ainsi que d'hydrogène vert. Les risques restent toutefois orientés à la baisse. En particulier, les tensions politiques pourraient conduire à un blocage continu des réformes et peser sur le sentiment des consommateurs et des investisseurs.
Le temps des réformes
Depuis le début du mandat, en mars 2022, le président Boric et son gouvernement ont en effet affirmé leur volonté de mettre en place un grand nombre de réformes. Plusieurs projets ont été initiés (réforme du système des retraites, accélération de la transition énergétique notamment) mais les différents projets constitutionnels ont occupé la place centrale des débats politiques.
Le rejet consécutif de deux propositions pour une nouvelle Constitution (la première, soutenue par le gouvernement mais jugée trop progressiste, a été rejetée au cours du référendum du 4 septembre 2022, par 62% des voix, et la seconde, à l’inverse jugée trop conservatrice, décriée par le gouvernement, a été refusée le 17 décembre 2023 par 55,8% des voix) illustre bien la polarisation de la vie politique dans le pays et les difficultés auxquelles sont confrontés aussi bien le gouvernement que les partis d’opposition. D’un commun accord, le projet constitutionnel est mis en pause pour plusieurs années (pour le moment, c’est donc la Constitution actuelle qui prévaut), afin que les débats politiques puissent se concentrer sur d’autres sujets.
Les tensions politiques devraient rester élevées au cours des prochains mois et les difficultés rencontrées par le gouvernement pourraient se multiplier : les attentes populaires sont nombreuses, mais le président et le gouvernement souffrent d’une popularité faible alors que les partis d’opposition disposent de la majorité au Sénat - ce qui a déjà fortement limité la capacité du gouvernement à réformer depuis le début du mandat.
En outre, le gouvernement ne dispose plus que d’une courte période pour avancer ses principales réformes, avant que les débats politiques ne soient monopolisés par les élections locales et régionales (octobre 2024), puis l’élection générale (présidentielle et législative en novembre 2025). D’une part, une deuxième version de la réforme fiscale (la première a été rejetée en mars 2023) a été présentée au Congrès en janvier 2024. Cette nouvelle version propose une augmentation des revenus fiscaux représentant près de 1,5% du PIB d’ici 2026 (contre 4% du PIB dans le premier projet), obtenue quasi-exclusivement grâce à l’amélioration de la lutte contre l’évasion fiscale (alors que le premier projet de loi envisageait une hausse des impôts sur le revenu et la fortune). Les revenus additionnels devraient être utilisés pour financer de nouvelles dépenses sociales, de sorte que l’effet sur les finances publiques pourrait n’être que marginal. Le projet de loi est actuellement en discussion au Sénat et les débats s’avèrent houleux.
Dans le même temps, le projet de réforme du système des retraites (visant principalement à améliorer le taux de remplacement et la couverture), initialement présenté mi-2022, a été approuvé par la chambre basse du Congrès en janvier 2024, après de nombreux amendements au projet initial. Ce projet est à présent en discussion au Sénat et sa portée pourrait être de nouveau amoindrie. L’augmentation du minimum-vieillesse, adoptée par les députés, ne devrait pas être remise en cause. En revanche, la création d’une agence publique administrative, ne laissant aux AFP (Administradoras de Fondos de Pensiones, les administrations de gestion des fonds de pension) que la gestion financière des retraites, votée par les députés, pourrait être remise en cause par les sénateurs. En outre, alors que le gouvernement a déjà dû accepter que les recettes liées à la nouvelle contribution patronale (représentant 6% du salaire du travailleur) ne soient pas intégralement utilisées pour renforcer le pilier de solidarité, le Sénat pourrait décider que les recettes alimentent uniquement les comptes individuels.
Enfin, les discussions concernant la loi cadre de la transition énergétique se poursuivent. En avril 2023, le gouvernement a présenté au Parlement une Stratégie nationale du lithium particulièrement ambitieuse, visant à améliorer l’efficacité de la production nationale de lithium (y compris l’intégration d’entreprises chiliennes dans la chaîne de valeur du lithium), augmenter les recettes fiscales, tout en instaurant un cadre « socialement et écologiquement » durable. Fin mars 2024, le gouvernement a précisé que l’exploitation des salars « stratégiques » d’Atacama (seul exploité pour le moment) et de Maricunga serait opérée via des partenariats public-privé dont l’État serait majoritaire. Cinq autres salars pourront bénéficier d’une exploitation mixte et enfin 26 autres salars (représentant moins de 20% de la production totale du pays) seront ouverts à l’exploitation privée.
Consolidation budgétaire plus lente que prévu
Dans ce contexte, les objectifs de consolidation budgétaire fixés par le gouvernement (atteindre l’équilibre en 2028) paraissent optimistes. Après un excédent en 2022 (de 1,1% du PIB), le solde budgétaire était de nouveau en déficit en 2023, de 2,5% du PIB : la hausse des revenus liée à l’exploitation du lithium n’a pas suffi à compenser les effets de la baisse de l’activité et du prix du cuivre.
Au total, les revenus ont diminué de près de 8% en g.a. Dans le même temps, les dépenses ont augmenté de près de 10% en g.a. Au cours des deux prochaines années, nous attendons un déficit en légère baisse. En particulier, en dépit d’une reprise de l’activité, les pressions populaires relatives à l’augmentation des dépenses sociales devraient persister.
Cela dit, même si la consolidation budgétaire est plus lente que prévu par les autorités, le risque souverain reste limité. La dette publique a significativement augmenté au cours des dernières années, mais reste modérée (à 39,2% du PIB, alors qu’elle représentait 28% du PIB en 2019). La dette devrait continuer à augmenter progressivement au cours des prochaines années, mais son profil reste favorable ; la maturité reste supérieure à 10 ans, et la dette contingente reste limitée, ce qui reflète une dette peu élevée du secteur public et une régulation prudente et efficace du système financier.
Achevé de rédiger le 23 avril 2024