Subianto Prabowo deviendra le nouveau président indonésien le 20 octobre prochain. Il héritera d’une économie solide caractérisée par une croissance robuste et stable (5,1% en moyenne au cours des dix dernières années hors période de Covid-19), un déficit budgétaire et une dette publique maîtrisés, des comptes extérieurs solides. Pour autant, les défis qui attendent le nouveau président sont importants. Dès la prochaine décennie, l’avantage démographique du pays va commencer à s’estomper. Il lui faudra accélérer le rythme d’adoption des réformes pour parvenir à augmenter sensiblement le niveau d’emploi des jeunes et des femmes et attirer davantage les investissements directs étrangers. Sans cela, l’Indonésie deviendra un pays « vieux » avant de parvenir à être un pays à « haut revenu ».
Un président dans la continuité du précédent
Subianto Prabowo, déjà candidat à la présidence en 2014 et 2019, a remporté dès le premier tour les élections présidentielles qui se sont tenues en février dernier.
La politique internationale du futur gouvernement devrait être menée dans la continuité de celle de Joko Widodo. Le futur président Prabowo semble toutefois afficher plus d’ambitions pour son pays tant en matière économique que politique sur la scène internationale.
Cet ancien général, qui n’a pas omis de mettre la « sécurité nationale » en avant pendant sa campagne, devrait poursuivre les programmes de dépenses engagés quand était ministre de la Défense. Il pourrait aussi décider de se montrer plus réceptif aux intérêts des États-Unis en matière de sécurité dans la région, les États-Unis et l’Europe étant ses principaux fournisseurs d’armes. Dans le même temps, le futur président aspire à ce que son pays devienne un acteur économique clé en Asie. Pour ce faire, il cherchera à attirer les investissements en provenance de Chine (son premier investisseur derrière Singapour) et à pénétrer ce marché. Mais ce « multi-alignement » pourrait être difficilement tenable en cas d’affrontements en mer de Chine méridionale car, alors, les objectifs économiques et nationalistes de l’Indonésie s’opposeraient.
Une économie solide
Le gouvernement, qui prendra officiellement ses fonctions à l’automne prochain, va hériter d’une économie solide.
Depuis 2014, en dehors des années de crise liée à l’épidémie de Covid-19, la croissance est restée robuste et stable. Elle a atteint 5,1% par an en moyenne au cours des dix dernières années (hors période de pandémie). En 2024, elle devrait rester dynamique, bien qu’en légère décélération, à 4,9%, avant de rebondir à 5,1% en 2025, une fois que les incertitudes relatives au changement de gouvernement auront été dépassées. À court terme, les principaux risques qui pèsent sur l’économie sont liés à l’environnement international.
La hausse des prix est en légère accélération depuis le début de 2024. Elle s’est élevée à 3% en glissement annuel (g.a.) en mars 2024 contre 2,6% en janvier, un rythme toujours inférieur à la nouvelle cible fixée par les autorités monétaires (2,5% +/- 1pp depuis le 1er janvier 2024). Cette légère accélération s’explique principalement par la hausse des prix alimentaires ainsi que par un léger rebond des prix hors énergie et alimentation (+1,8% en g.a.).
Bien que contenue, l’augmentation des pressions inflationnistes pourrait contraindre la Banque centrale indonésienne dans son désir d’assouplissement monétaire. Sa politique monétaire est déjà contrainte par celle des États-Unis. La perspective d’un report de la décision de la Réserve fédérale américaine (Fed) de baisser ses taux directeurs (initialement attendue en juin 2024) a entraîné des sorties de capitaux et une dépréciation de la roupie face au dollar de 4,6% depuis le début de l’année. L’écart de rendements entre les obligations indonésiennes et américaines s’est réduit sur les trois premiers mois de l’année.
En dépit des récentes tensions sur la roupie, les comptes extérieurs de l’Indonésie sont solides. En 2023, après deux années d’excédent, le solde du compte courant est repassé en territoire négatif en raison d’une baisse de la valeur des exportations de biens en lien avec celle des prix des matières premières exportées (-25,3% pour l’huile de palme, -56,4% pour le charbon).
Le déficit courant est cependant resté très limité, à 0,1% du PIB, en partie grâce à la hausse des recettes touristiques. Par ailleurs, les flux d’investissements directs étrangers (IDE) ont été suffisants pour couvrir l’intégralité du déficit du compte courant. Au cours des trois prochaines années, le déficit devrait se creuser légèrement, à moins que les prix des matières premières exportées par l’Indonésie n'augmentent fortement en raison du contexte géopolitique. Pour autant, les flux d’IDE devraient rester suffisants pour couvrir le déficit courant.
Les récentes tensions à la baisse sur la roupie ne constituent pas une source d’inquiétude. En dépit de leur légère contraction depuis le début de l’année, les réserves de change s’élevaient encore à USD 130,4 mds en février 2024 (soit 5,9 mois d’importations) et couvraient très largement les remboursements de dette extérieure à horizon des 12 prochains mois (USD 69,8 mds). La dette extérieure demeure modeste (29,7% du PIB). Même si le pays reste exposé aux sorties de capitaux volatils, la banque centrale dispose de réserves de change suffisantes pour contenir la dépréciation de la devise indonésienne. En outre, le stock d’investissements de portefeuille détenu par les investisseurs étrangers est aujourd’hui plus modeste qu’il y a cinq ans (20,1% du PIB au T4 2023 contre 26,7% en 2019).
L’un des principaux risques pointés du doigt depuis l’élection de Subianto Prabowo porte sur un dérapage du déficit budgétaire. Le discours de campagne laissait entendre que sa politique budgétaire pourrait être beaucoup moins conservatrice que celle de son prédécesseur. Il a notamment promis d’importantes mesures en faveur des étudiants dont le coût est estimé à 2% du PIB, alors même que les marges de manœuvre budgétaires du pays sont limitées. Les recettes restent modestes (13,3% du PIB) et les charges d’intérêt sur la dette consomment 16,6% des recettes. Le déficit et la dette du gouvernement sont modestes (à respectivement 1,7% et 39,2% du PIB en 2023), mais leur financement est une source de risques. Les marchés domestiques de capitaux restent peu développés et le pays reste structurellement dépendant des financements extérieurs. Bien qu’en forte baisse en raison de la politique d’achat d’obligations sur le marché primaire par la banque centrale sur la période 2020-2022, la part de la dette publique détenue par les étrangers s’élevait encore à 37,4% fin 2023.
Des défis importants pour élever la croissance
Pour parvenir à atteindre l’objectif de 7% de croissance qu’il a défendu pendant sa campagne électorale, le nouveau gouvernement devra poursuivre, et même accélérer, les réformes engagées sous l’ère Widodo. Il doit notamment parvenir à tirer rapidement et pleinement profit de son « dividende démographique » (son ratio de dépendance est inférieur à 50% et la croissance de la population active est supérieure à celle qui est dépendante) qui commencera à s’estomper dès la prochaine décennie. Selon les projections faites par l’Organisation des Nations unies (ONU), la part de la population en âge de travailler commencera à baisser à partir de 2030, le taux de croissance de la population active devenant inférieur à celui de la population dépendante. À partir de 2044, le ratio de dépendance passera sous le seuil des 50% et la croissance de l’économie pourrait alors décélérer avant que le pays ne parvienne à accroître sensiblement le niveau de revenu de la population. Depuis 2014, le PIB par habitant de l’Indonésie en volume (à parité de pouvoir d’achat) a augmenté de 2,9% par an en moyenne. À titre de comparaison, en Corée du Sud, pendant l’ère de son propre dividende démographique (1987-1997), le PIB par tête augmentait de 7,5% par an en moyenne.
Ainsi, même si l’Indonésie est parvenue à intégrer la tranche supérieure du groupe des pays à revenus moyens en 2019, puis à le retrouver en 2023 (elle en était sortie au moment de la crise de la Covid-19), sa croissance économique est aujourd’hui relativement modeste par rapport aux taux de croissance enregistrés par le passé dans d’autres pays d’Asie. Cela traduit le fait que le pays ne profite pas pleinement de son avantage démographique.
Pour capitaliser sur son dividende démographique, un pays doit investir dans le capital humain (éducation, formation) et adopter des politiques économiques i) favorisant l’utilisation intensive de la main d’œuvre (pour répondre à la forte augmentation de l’offre de travail) et ii) visant à attirer les IDE.
Or, à ce jour, le rythme de créations d’emplois chez les femmes et les jeunes reste très insuffisant. Selon l’office statistique national, les taux de chômage des 15-19 ans et des 20-24 ans s’élevaient à respectivement 29,1% et 17% en 2022. Le taux d’emploi des femmes était de 51,7% en 2023 selon l’Organisation internationale du travail alors qu’il s’élevait à 79,1% chez les hommes. En outre, l’agriculture reste le secteur d’activité qui concentre le plus d’employés (28,2% en 2023) alors que la part de l’emploi dans l’industrie est restée stable au cours des dix dernières années, à 13,8% ; c’est à l’image de son poids dans la valeur ajoutée qui est resté modeste (19,7% en 2023) et n’a pas augmenté en dix ans.
Pour accélérer le rythme des créations d’emplois, il faut que le gouvernement parvienne à développer les secteurs industriels à forte intensité de main d’œuvre, ce qui implique d’attirer davantage d’IDE. Or, déjà structurellement faibles, les flux d’IDE ont diminué de 0,4pp en 2023 pour s’établir à 1,6% du PIB, le niveau le plus faible enregistré au cours des cinq dernières années. Ce niveau bas s’explique par des facteurs conjoncturels (la baisse de la liquidité mondiale et l’incertitude liée aux élections de février 2024) mais aussi par la faible intégration de l’Indonésie dans le commerce mondial. Les parts de marché du pays sont faibles (1,1% des exportations mondiales) et ont peu augmenté au cours des vingt dernières années (+0,2pp). La qualité de sa gouvernance reste fragile (elle était classée 107e sur 213 pays en 2023) et les actifs sont insuffisamment formés. Selon l’OCDE, 42% des 25-34 ans ont un niveau inférieur au secondaire. Les dépenses en matière d’éducation restent insuffisantes (3% du PIB contre 4,8% en Corée du Sud). Sur le plan budgétaire, le gouvernement doit optimiser sa structure fiscale et accroître ses recettes pour répondre aux besoins des jeunes et atteindre son objectif de devenir un pays à haut revenu d’ici 2045.
Achevé de rédiger le 26 avril 2024