Plages de sable blanc, étendues bleues à perte de vue, palmiers et la sensation pure de tranquillité, nous faisons aujourd’hui une escale estivale dans un bout de paradis sur terre, les Caraïbes. Et pourtant ce paradis est en péril. Urgence climatique, surendettement et problèmes de financement – autant de sujets qui bouleversent les économies de la zone et que nous passerons en revue dans ce nouveau numéro d’EcoTV Week.
L’espace des Caraïbes comprend plus de 700 iles repartis entre 13 états souverains et 17 territoires d’outre-mer avec des liens à la France, au Royaume-Uni, à la Hollande ou encore aux Etats-Unis.
Les économies de la zone ont principalement 3 moteurs de croissance :
- Le tourisme
- Les services financiers offshore spécialisés
- L’agriculture et la pêche
Certaines économies ont en plus un tissu industriel :
- C’est le cas de Puerto Rico qui a un secteur manufacturier important notamment dans le domaine pharmaceutique.
- C’est aussi le cas de Trinidad et Tobago qui a des industries dans l’énergie – le pays étant producteur du pétrole et fait partie des plus gros exportateurs mondiaux de gaz naturel liquéfié.
Les pays de la zone font partie des pays qui subissent le plus les effets du changement climatique alors qu’elles y contribuent le moins avec des émissions de gaz à effet de serre de moins de 1% au niveau mondial.
- Le FMI estime ainsi que l’impact économique du changement climatique dans la zone est 6 fois plus élevé que dans d’autres régions du monde.
Les ouragans représentent les menaces les plus sévères, capables d’effacer l’équivalent d’une année de PIB en quelques heures – un problème d’autant plus prégnant que i/ la zone est 7 fois plus vulnérables au risque d’Ouragan que le reste du monde et que ii/ les données montrent que les ouragans sont de plus en plus intenses.
Pour se rendre compte de l’urgence climatique qui guette ces économies, il suffit de prolonger les lignes des scénarios du réchauffement climatique :
- Dans le cas d’une montée globale des températures entre + 1,5 °C à + 4 °C, la montée des eaux pourrait être comprise dans une fourchette allant 3 à 10 mètres au cours des prochains siècles – ce qui pose un risque existentiel pour plusieurs îles d’autant que 65% de la population de la région vit à moins de 3 km des côtes et qu’environ 1/3 vit à moins de 10 mètres au-dessus du niveau de la mer
- L’élévation du niveau de la mer, outre ses effets sur l’érosion des côtes, provoquerait aussi des infiltrations d’eau salée dans les nappes phréatiques – ce qui occasionnerait, en plus des épisodes de sécheresse, des manques d’eau douce pour les habitants et l’irrigation agricole.
Ainsi l’association des Etats de la Caraïbes craint aujourd’hui que des millions d’habitants de la zone ne deviennent des réfugiés climatiques, d’ici 2050.
Pour s’adapter au changement climatique et accroitre la résilience de leurs économies, les pays des Caraïbes doivent aujourd’hui procéder à d’importants investissement estimés à environ USD 100 mds par le FMI.
Le problème c’est qu’actuellement les capacités financières des états sont fortement contraintes par :
- Des marchés locaux très peu profonds.
- Par des profils de croissance faibles, souvent erratiques avec des reprises elles-mêmes tronquées par des événements climatiques répétés.
- Cette situation pèse sur les dynamiques de dette dans une région du monde déjà fortement surendettée – compliquant d’autant plus l’accès aux marchés financiers internationaux.
- Pour rappel, 6 des 10 pays les plus endettés au monde par rapport à la taille de leur économie se situent dans les Caraïbes – et la Covid-19 n’a fait qu’accentuer les problèmes d’endettement puisque les pays de la zone ont connu des contractions de leurs économies en moyenne 3 fois supérieur au reste du monde.
Donc sur quelles sources de financement ces économies vont-elles pouvoir compter ?
- Une option serait d’accroître l’offre de financement de la part d’organismes internationaux et régionaux. Pour l’instant, ces sources sont tout à fait insuffisantes en dépit de la mise en place de nouveaux programmes de financement (e.g IMF Resilience and Sustainability Trust).
- Par ailleurs beaucoup de pays des Caraïbes ne sont pas éligibles à des financements concessionnels à faible coût en raison de leur statut de pays à revenu intermédiaire.
2. D’autres options de financement s’appuyant sur le développement de mécanismes de solidarité Nord-Sud ont fait l’objet d’intenses échanges dans le cadre du sommet pour un nouveau pacte financier ayant eu lieu à Paris au moins de juin
- On retrouve ici de nouveaux mécanismes d’allègement de dette, une hausse de l’aide au développement des pays riches, une réallocation des droits de tirages spéciaux du FMI et aussi de nouvelles taxes (par exemple sur les émissions de Co2 dans l’aviation ou le transport maritime, sur les transactions financières ou bien l’extraction des énergies fossiles)
3. Enfin d’autres options proviennent des financements de marché – et on a vu au cours des dernières années émerger quelques solutions prometteuses – profitant de l’appétit des investisseurs pour les investissements de type ESG.
- Belize et à la Barbade en 2021 et 2022 ont eu recours à des échanges de dette contre protection de la nature (ou “Debt for nature swap”) qui ont permis à ces pays de rediriger des fonds initialement destinés au service de la dette vers des projets de développement durable et de conservation marine.
- D’autres économies ont eu recours à des émissions d’obligations bleues (blue bonds) garanties en partie par des organismes supranationaux. Les Bahamas ont eu recours à cet instrument en juin 2022 avec une garantie partielle de la banque interaméricaine de développement (BID) lui permettant ainsi d’avoir accès à des financements de marché à plus faible coût.
- La Barbade et Grenade ont, dans le cadre de leurs restructurations de dette en 2015 et 2019, mis en œuvre de clauses suspensives leur permettant de retarder le remboursement de leur dette en cas de catastrophes naturelles ou la matérialisation de risque de pandémie
- La Jamaïque en 2021 a, par ailleurs, émis au travers de la banque mondiale un CAT bond, (une « obligation catastrophe » ) lui permettant de s’assurer contre les risques d’ouragans pendant une période de trois ans.
- Enfin, un autre moyen de financement qui pourrait être amené à se développer, c’est la vente de crédits carbone « bleu ». Nombre de pays ont en effet des algues et autres herbiers marins capables de capter et stocker des centaines de millions de tonne de gaz à effet de serre de manière beaucoup plus efficace que les forêts tropicales. Ainsi en cartographiant ces prairies sous-marines via des images satellites, certains pays pourraient avoir la capacité de vendre des crédits carbone bleu avec trois principaux objectifs : 1) lever du financement pour investir dans leur propre résilience 2) permettre à des pays de compenser leur empreinte carbone 3) avoir des fonds nécessaires pour protéger cette flore marine qui malheureusement disparait chaque année. Ce marché, qui n’est pas encore opérationnel et est quelque peu controversé, a récemment été estimé à plus de USD 50 mds au Bahamas.