Eco Perspectives

2019 : une année plus incertaine

24/01/2019

Ralentissement de la croissance au T3 2018

Au troisième trimestre 2018, la croissance économique russe a décéléré à 1,5% en glissement annuel (g.a.) après 1,9% au trimestre précédent. Elle a atteint 1,6% sur les trois premiers trimestres de l’année 2018. La production de pétrole a rebondi de 5%, reflet de la hausse progressive des quotas (+4% au deuxième semestre) mais l’activité s’est contractée dans le secteur agricole, la croissance dans l’industrie a légèrement décéléré alors qu’elle a fortement augmenté dans les services. Les indicateurs avancés dans le secteur manufacturier comme dans les services restent favorables mais la décélération du pouvoir d’achat des salaires enregistrée depuis le mois d’août et la hausse du taux de TVA, de 18% à 20%, le 1er janvier devraient peser sur la consommation des ménages.

Croissance et inflation

Depuis le début du deuxième semestre 2018, l’inflation a accéléré pour atteindre +3,8% en g.a. en novembre contre 2,3% en moyenne sur les six premiers mois de l’année. Pour l’instant, elle reste en deçà de la cible de 4% fixée par les autorités monétaires. Cette accélération reflète l’augmentation des prix des produits alimentaires, non alimentaires et des services. Elle s’explique par trois facteurs : des effets de base défavorables (en 2017 la récolte agricole avait été particulièrement bonne et ainsi favorisé une détente des prix alimentaires), la hausse des prix de l’essence qui s’est traduite par une hausse des coûts de transport et la dépréciation du rouble. A horizon des deux prochaines années, les perspectives de croissance restent modestes et les risques qui pèsent sur l’économie sont élevés. En premier lieu, la Russie s’est engagée en décembre 2018 à réduire sa production de pétrole de 230 000 barils par jour (l’équivalent de 2% de la production actuelle) à partir du mois de janvier 2019. Par ailleurs, l’activité domestique devrait être pénalisée par la hausse de la TVA et les effets de second tour qu’elle pourrait générer. A ce jour, la Banque centrale russe estime que la hausse des prix sur l’ensemble de l’année 2019 devrait être comprise entre 5% et 5,5% pour revenir à 4% en 2020 en moyenne. Néanmoins, le risque inflationniste pourrait être revu à la hausse si le Congrès américain décidait d’imposer des sanctions supplémentaires à l’encontre de la Russie, lesquelles pourraient alors générer de nouvelles pressions à la baisse sur le rouble. Pour contenir les risques de dérapage inflationniste, les autorités monétaires ont relevé de 25 points de base leurs taux directeurs en décembre dernier, à 7,75%, et annoncé d’ores et déjà de possibles nouvelles hausses de taux. Le durcissement de la politique monétaire pourrait pénaliser l’investissement, dont la croissance a déjà commencé à décélérer au deuxième trimestre.

A plus long terme, la Banque mondiale estime que la croissance potentielle de la Russie continuerait de s’éroder de 1,5% en 2017 à 1,3% d’ici 2022. L’institut estime néanmoins qu’elle pourrait être relevée à 3% si d’importantes réformes étaient mises en oeuvre[1] afin d’accroître la population active (relèvement de l’âge de départ à la retraite, politique en faveur de l’immigration) et favoriser la diffusion du progrès technique

Une politique budgétaire pour soutenir la croissance

Ralentissement de la croissance au T3 2018

Les finances publiques russes se sont sensiblement consolidées sur les onze premiers mois de l’année 2018 conjointement à la forte hausse des revenus et à la bonne maîtrise des dépenses publiques. Néanmoins, le gouvernement a provisoirement abandonné son objectif d’équilibrer le solde primaire pour les six prochains exercices budgétaires et prévoit désormais un déficit primaire de 0,5% du PIB. Le gouvernement s’est, en effet, engagé à accroître les dépenses structurelles afin de soutenir la croissance. Ce « dérapage » devrait toutefois être contenu.

Sur les 11 premiers mois de l’exercice 2018, l’excédent budgétaire du gouvernement fédéral a atteint 3,7% du PIB alors qu’en 2017 à la même époque, il affichait un déficit de 0,7%. Dans le même temps, le déficit hors revenus pétroliers et gaziers a été ramené à 4,9% du PIB, soit un point de pourcentage de moins qu’en 2017, reflet de la baisse du ratio des dépenses rapportées au PIB. Le solde primaire du gouvernement et des administrations a enregistré un excédent de plus de 3% sur les 10 premiers mois de l’année.

En 2018, la consolidation des finances publiques devrait permettre de réduire le ratio de la dette publique rapportée au PIB avant qu’il n’augmente progressivement au cours des six prochaines années suite à la hausse des dépenses publiques à partir de 2019.

En mai 2018, le gouvernement a annoncé plusieurs mesures visant notamment à inverser la dynamique démographique, élever le PIB potentiel, réduire la pauvreté, et allonger la durée de vie, à l’horizon 2024. Pour ce faire, le ministère des finances s’est engagé à augmenter les dépenses dans de nombreux domaines (’éducation, santé, infrastructures, soutien aux PME, etc.). Le coût de ces dépenses est estimé à 1,1% du PIB par an au cours des six prochaines années. Le gouvernement prévoit de les financer en partie par la hausse de la TVA (laquelle devrait générer une hausse des recettes de 0,5 à 0,6 point de PIB tous les ans) et par une rationalisation de la fiscalité sur le secteur pétrolier d’ici 2024. Le solde serait financé par des émissions de dette sur le marché domestique. La hausse de la dette publique resterait néanmoins limitée à cinq points de pourcentage de PIB.

Le secteur bancaire toujours fragile

Le secteur bancaire reste fragile car exposé au risque de crédit, d’une part, et au risque de taux d’intérêt, d’autre part. Néanmoins le soutien du gouvernement, l’amélioration des fondamentaux macroéconomiques et les mesures prises par les autorités monétaires sont favorables à sa consolidation.

Au cours des douze derniers mois, la qualité des actifs bancaires ne s’est pas améliorée, en dépit d’une meilleure situation financière des entreprises depuis la reprise de l’activité économique (les entreprises reçoivent 70% des prêts bancaires). La part des créances douteuses dans l’ensemble du secteur bancaire est restée quasiment stable à 10,7% au T3 2018 selon le FMI contre 10,2% fin 2017). En revanche, la part des prêts en défaut ou sur le point de l’être[2], a continué d’augmenter, selon la banque centrale russe, atteignant 11,9% en octobre contre 10,5% fin 2017). Les secteurs d’activité les plus fragiles sont ceux de la construction et de l’immobilier où la part des crédits risqués a continué d’augmenter au cours des douze derniers mois. Les entreprises endettées en devises pourraient voir leur situation se dégrader encore davantage suite à la dépréciation du rouble.

Le rouble reste déconnecté du pétrole depuis 2017

La forte accélération du crédit aux ménages au cours des douze derniers mois pourrait devenir une source de préoccupation. Elle a atteint +22,5% en octobre en g.a. (vs 10,7% il y a un). Jusqu’à présent, la baisse des taux d’intérêt sur les crédits aux ménages à plus d’un an (-165 pb en un an) avait permis de contenir partiellement la hausse de leur charge d’endettement. Néanmoins, la croissance du crédit étant supérieure à celle des revenus des ménages, le ratio de dette rapportée à leur revenu a augmenté, même s’il reste encore très modéré autour de 25%. A ce jour, les arriérés de paiement sur les crédits à la consommation ou sur les crédits hypothécaires n’ont pas augmenté. Cependant, pour contenir les risques, la banque centrale a pris en mai et en septembre 2018 des mesures visant à renforcer la pondération des crédits à la consommation et des crédits hypothécaires (pour ceux avec des acomptes minimes) dans le calcul des actifs pondérés à risque afin d’inciter les banques à réduire leur exposition aux ménages. Fin octobre 2018, les ratios de solvabilité des banques étaient satisfaisants. Le CAR et le Tier-1 CAR atteignaient respectivement 12,4% et 9,5% en octobre 2018.

La hausse du risque de taux d’intérêt est l’autre source d’inquiétude. Selon la banque centrale, l’exposition des banques au risque de taux d’intérêt s’est accentuée en raison des déséquilibres croissants d’échéances entre leurs avoirs (longs) et leurs engagements (courts). En octobre 2018, leurs avoirs à moins d’un an ne couvraient que 61% de leurs engagements à moins d’un an (contre 63% en janvier 2018).

[1] Russia, Economic Report, November 2018.

[2] Catégorie IV et V. Ces statistiques intègrent les mauvaises créances détenues par les banques publiques recapitalisées en 2017 Promsvyazbank, Otkritie, B&N.

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