Le vent tourne aux Etats-Unis et, comme souvent lorsqu’il s’agit de la première économie de marché de la planète, c’est la Bourse qui donne l’alerte. Sur les trois derniers mois de 2018, le cours des actions a chuté de 15% ; à défaut d’un krach, il s’agit d’une correction sérieuse, qui anticipe une normalisation probable des résultats d’entreprises[1].
Retour de flamme
Croissance et inflationIl ne faut pas s’en étonner. Alors que l’effet des baisses d’impôts s’estompe, la guerre commerciale du président Trump fait ses premières victimes dans les rangs américains. En décembre 2018, l’indice des entrées en commande à l’industrie a perdu onze points, subissant sa plus forte baisse depuis celle occasionnée par la faillite de Lehman Brothers, il y a un peu plus de dix ans (graphique 2). Dans la région industrielle et exportatrice de Philadelphie, les enquêtes de la Réserve fédérale (Fed) dénotent des anticipations déprimées.
Avec un baril de brut déprécié de 25%[2], le secteur de l’énergie est moins à la fête. Très endetté, il voit ses conditions de financement se durcir (ses primes de risque s’écarter) et sa valorisation boursière atterrir. Les conséquences immédiates sont un frein sur l’investissement et la production dans les gaz et pétrole de schistes, qui ont battu des records en 2018 ; elles s’apprécieront diversement selon le degré d’attention que l’on porte à la transition énergétique (cf. article en page 24).
Avec la hausse des taux hypothécaires, l’immobilier fléchit. L’indice de la National Association of Home Builders (NAHB) cède du terrain, promettant à terme un recul des mises en chantier et un tassement des prix. Le soutien ne viendra pas du gouvernement fédéral, qui, pour ne rien arranger, est contraint à une fermeture partielle (cf. encadré). Ce shutdown, déjà le plus long de l’histoire, coûterait à l’activité entre 5 et 10 milliards de dollars par semaine[3] ; encore peu visibles fin 2018, ses effets se ressentiraient surtout au premier trimestre de 2019, où la croissance (exprimée en rythme annuel) se verrait amputée de près d’un point.
Changement de ton à la Fed
Coup de froidAprès avoir augmenté neuf fois de suite le loyer de l’argent pour le porter à 2,50% (limite haute), la Réserve fédérale laisse entrevoir une pause. Avant même le shutdown, les membres du Comité de la politique monétaire tempéraient leur diagnostic conjoncturel ainsi que les anticipations de hausse des taux. Leur dernier compte-rendu de réunion (celle du 12 décembre 2018) présage d’un attentisme prudent, face aux remontées de terrain moins sereines émanant des chefs d’entreprise, ou aux impondérables tels le Brexit, que la Fed indique surveiller de près[4].
AplatissementsCe changement de ton n’a pas été sans conséquence sur les marchés ; en 2019, la courbe des forwards de taux d’intérêt n’intègre plus aucun resserrement monétaire, mais plutôt un statu-quo, voire un léger assouplissement ; sur le compartiment des emprunts d’Etat, les rendements obligataires s’affaissent, leur distribution par échéance devenant quasi étale (graphique 3).
Par le passé, cette configuration a toujours conduit à l’atterrissage de l’économie américaine, et il est peu probable qu’il en aille différemment cette fois-ci. L’aplatissement de la courbe des taux alourdit le coût de portage des dettes et contribue à l’inversion de l’effet de levier, auquel les Etats-Unis ont largement eu recours ces dernières années[5]. Voici plusieurs trimestres que le Fonds monétaire international (FMI) alerte sur la plus grande vulnérabilité financière de certains secteurs de l’économie, tels l’énergie, les infrastructures, la santé, les télécommunications (FMI, 2018)[6]. L’Institution relève que la dernière vague d’émission de dette d’entreprise, outre qu’elle marque des records, porte aussi le plus de risques : en 2018, 80% des emprunts souscrits par les investisseurs institutionnels (fonds mutuels ou d’arbitrage, fonds de pensions, assureurs…) étaient « covenant lite », c’est-à-dire pratiquement sans garantie ; la moitié des prêts à effet de levier multipliaient par cinq ou plus les résultats opérationnels annuels.
Creusement du déficit
commercial
Le plus long shutdown de l’histoire - Hélène BaudchonCe sont quelque USD 45 milliards de droits supplémentaires sur les importations annuelles qui s’appliquent depuis 2018. En 2019, l’administration américaine pourrait aller plus loin. Le 17 février, le Département du Commerce livrera ses conclusions quant à « l’atteinte à la sécurité » représentée par les véhicules en provenance de l’Union européenne, ouvrant la voie à une possible surtaxe. Le 1er mars, les droits appliqués à la Chine pourraient être à nouveau relevés. Avec quels résultats ?
Le lien hasardeux entre tarification et équilibre des échanges a déjà été souligné dans ces colonnes[7]. De fait, l’inflation des droits de douanes n’a, pour l’heure, aucunement permis de réduire les déficits. Au contraire, la balance commerciale hors pétrole s’est détériorée sur les derniers mois de 2018 ; elle affichait un déficit annuel de USD 800 milliards en octobre, le plus important jamais mesuré. Ironie de l’histoire, c’est vis-à-vis de la Chine, de loin la plus taxée, que le creusement est le plus marqué. Ce constat pourrait-il dissuader le Président Trump d’aller plus loin dans sa guerre tarifaire ? On peut l’espérer, mais il est permis d’en douter.