En marge des questions relatives à la réglementation et à la supervision bancaires, le rôle joué par les Federal Home Loan Banks (FHLB) en amont de la ruée bancaire du printemps 2023 est âprement discuté. Désireux de corriger les distorsions associées à leur statut et de recentrer les FHLB sur leur mission première, leur régulateur, la Federal Housing Finance Agency (FHFA), a proposé plusieurs pistes de réforme. Entraver la capacité des FHLB à soutenir la liquidité des banques pourrait toutefois avoir des effets importants sur les marchés monétaires et accroître structurellement les besoins des banques en monnaie centrale.
Les FHLB forment un réseau de 11 coopératives de crédit privées. Elles ont été créées dans le cadre du Federal Home Loan Bank Act de 1932 au lendemain de la Grande Dépression. Leur principale mission consiste à soutenir le financement du marché immobilier résidentiel par le biais de prêts sécurisés (ou « advances »), à taux modérés, aux établissements membres de leur réseau (banques commerciales, coopératives de crédit, caisses d’épargne, compagnies d’assurance).
Leur utilité comme vecteur de soutien à la liquidité des banques (en particulier pour celles de taille modeste n’ayant pas, ou peu, d’accès aux marchés de capitaux) n’est pas remise en cause. La FHFA déplore toutefois que les FHLB aient endossé, en amont de la ruée bancaire de mars 2023 comme à l’orée de la grande crise financière de 2008, un habit taillé bien trop grand pour elles, celui de «?prêteur d’avant-dernier ressort?» (Ashcraft, Bech et Frame, 2008[1]). Le triplement des advances entre mars 2022 et mars 2023 (graphique 1) aurait ainsi partiellement bénéficié à des banques quasi-illiquides et parfois très éloignées du marché hypothécaire. La FHFA a proposé plusieurs pistes de réforme[2] visant notamment à recentrer les FHLB sur leur mission première, à mieux évaluer la situation financière de leurs emprunteurs ou encore à limiter leurs appels au marché.
De profondes transformations dans le mode de financement du marché hypothécaire
Afin de s’assurer que les advances servent les missions des FHLB, la FHFA prévoit de durcir les critères d’éligibilité au réseau en imposant aux établissements de crédit de consacrer au moins 10% de leur bilan à des prêts à l’immobilier résidentiel ou à des actifs servant des missions équivalentes (et non plus uniquement au moment de l’entrée dans le réseau). L’ambition de la FHFA est d’exclure du réseau des membres tels que Silvergate Bank[3].
Au regard des spécificités du mode de financement de l’immobilier résidentiel américain et du poids des garanties fédérales sur ce marché, la pertinence de la mission première des FHLB peut toutefois poser question. D’abord car 60% des prêts au logement sont originés par des sociétés de crédit hypothécaire qui n’ont pas le statut d’institutions de dépôts et ne sont donc pas éligibles au réseau des FHLB. Ensuite, car la titrisation de créances, largement répandue aux États-Unis grâce aux garanties publiques déployées, sert déjà d’instrument de refinancement. On estime ainsi qu’environ 70% de l’encours de prêts résidentiels sont titrisés, majoritairement par le biais d’une agence fédérale (Fannie Mae, Freddie Mac ou Ginnie Mae). Les institutions de dépôts américaines ne portent, quant à elles, qu’un quart des prêts au logement à leur bilan.
Un aléa moral néfaste à la discipline de marché
Il est reproché aux FHLB d’avoir, en 2022 comme en 2007, maintenu à flot des banques en grande difficulté financière, d’avoir ensuite empêché la Réserve fédérale (Fed) de jouer pleinement son rôle de prêteur en dernier ressort et, in fine, d’avoir alourdi le coût des faillites bancaires.
De fait, les prêts garantis que les FHLB octroient à leurs membres sont non seulement sur-collatéralisés (la valeur des actifs apportés en collatéral excède largement le montant de l’advance) mais bénéficient, de surcroît, d’un rang de remboursement supérieur à celui de toute autre créance (« blanket lien »)[4]. L’aléa moral qui en découle les désincite à s’assurer de la bonne santé de leurs emprunteurs puisqu’en cas de faillite de l’un d’entre eux, elles sont intégralement remboursées. Il expose en revanche l’agence fédérale de garantie des dépôts (FDIC) à des coûts accrus en cas de mise en résolution d’une banque. Certains déplorent que ce manque de précaution ait pu encourager certaines banques emprunteuses à une prise de risque excessive, retarder la révélation, dès 2022, des difficultés de refinancement de certaines banques et, en mars 2023, empêcher la mise en place d’un prêt d’urgence de la Fed qui aurait permis de procéder à une résolution plus ordonnée. A défaut de modifier les caractéristiques intrinsèques des advances, la FHFA recommande aux FHLB de collaborer plus étroitement avec les superviseurs bancaires afin de mieux évaluer la situation financière de leurs emprunteurs.
Les FHLB, en soutien des ratios de liquidité bancaires
Le traitement très favorable que la réglementation bancaire accorde aux titres de dette émis par les FHLB et aux prêts sécurisés qu’elles accordent leur confère de facto un rôle unique parmi les acteurs privés et incite les banques à y faire appel.
Les FHLB partagent en effet le même statut que Fannie Mae et Freddie Mac, les deux grandes agences de refinancement hypothécaire (Government-Sponsored Enterprise, GSE). Elles bénéficient à ce titre de la garantie effective du Trésor américain (depuis le placement sous tutelle des deux grandes GSE en 2008). Cette garantie leur offre plusieurs avantages. D’abord, elle leur permet de se financer à des taux modérés, proches des taux d’emprunt de l’État fédéral. Elle leur assure, ensuite, une large base d’investisseurs puisque les régulateurs considèrent les titres de dette que les FHLB émettent[5], d’une part, comme des actifs liquides de haute qualité (HQLA) dans le cadre des règles de liquidité bâloises imposées aux banques[6] et, d’autre part, éligibles aux achats des fonds monétaires spécialisés dans la dette publique (government money market funds)[7]. Le gonflement de leurs ressources (et donc des advances) a ainsi largement coïncidé avec la réforme des fonds monétaires de 2014 (graphique 2) et l’introduction de la norme de liquidité bâloise Liquidity Coverage Ratio (LCR) aux États-Unis en 2015. Enfin, en vertu de cette garantie, les régulateurs bancaires considèrent les prêts garantis que les Federal Home Loan Banks accordent aux banques comme des financements stables[8].
La stigmatisation associée aux guichets d’urgence de la Fed
La FHFA entend établir une distinction claire entre le rôle des FHLB qui, par le biais de leurs prêts garantis, répondent aux besoins de financement des banques « à travers le cycle » et celui de la Fed qui peut fournir un financement d'urgence aux institutions financières confrontées à un besoin immédiat et important de liquidités. En pratique, les liquidités fournies ne sont pas de même nature. La banque centrale crée de la monnaie centrale ex nihilo qu’elle prête aux banques tandis que les FHLB, via les advances, prêtent les ressources (la monnaie secondaire) qu’elles lèvent sur les marchés. Or, la capacité des investisseurs à absorber leurs émissions sur une courte période de temps est limitée, en particulier lorsqu’elles sont volumineuses et qu’elles interviennent en fin de journée lorsque les marchés de dette se ferment[9]. La FHFA recommande aux FHLB, d’une part, de s’assurer que leurs principaux emprunteurs ont pris les dispositions nécessaires pour utiliser la fenêtre d’escompte de la Fed en cas d’urgence et, d’autre part, de nouer des accords avec les Réserves fédérales régionales afin de permettre un transfert rapide des collatéraux pré-positionnés[10]. Comme les enquêtes et les épisodes de stress l’ont révélé, la stigmatisation associée aux guichets d’urgence de la Fed décourage toutefois largement les plus grandes banques à y faire appel, de sorte que les advances des FHLB apparaissent comme une alternative, certes imparfaite, mais opportune.
Restreindre la capacité des FHLB à offrir des prêts sécurisés aux banques pourrait affecter les marchés monétaires
La FHFA impose aux FHLB de détenir suffisamment d’actifs liquides pour assurer le renouvellement des prêts sécurisés octroyés même en cas de fermeture des marchés de dette, pendant une période définie (entre 10 et 30 jours). Ces avoirs peuvent être déposés sur des comptes rémunérés auprès des banques (IBDA), prêtés, au jour le jour, sur les marchés non garantis (marché des fonds fédéraux) ou garantis (marché de mises en pension) ou encore investis en Treasuries notamment (graphique 3). Or, l’encours global des avoirs liquides des FHLB dépend étroitement du volume de dette levée sur les marchés par les FHLB (graphique 4). Dès lors, restreindre l’accès des banques aux prêts garantis des FHLB (critères plus stricts, limites posées aux émissions de dette) aurait pour effet de réduire les levées de dette des FHLB et, plus généralement, les autres modalités de refinancement offertes par les FHLB aux banques (dépôts et prêts hors advances).
Assécher le marché des fonds fédéraux
L’effet pourrait être particulièrement perceptible sur le marché des fonds fédéraux. Certes, depuis 2008, pour diverses raisons, les volumes échangés sur ce marché sont relativement modestes[11]. Les FHLB y occupent toutefois une place prépondérante en qualité de prêteurs (graphique 5). Si les succursales américaines de banques étrangères constituent traditionnellement les principaux emprunteurs (graphique 6)[12], les banques américaines ont tendance à y recourir plus largement lorsque la monnaie centrale se raréfie. Ce fut le cas, en particulier, des banques régionales à la fin 2018 (premières manifestations des tensions provoquées par le resserrement quantitatif de la Fed engagé en novembre 2017). D’ailleurs, d’après l’enquête de novembre 2022 de la Fed auprès des trésoriers de banques[13], plus de 70% des banques américaines interrogées (et près de 90% des succursales de banques étrangères) jugeaient probable, voire très probable, un emprunt sur le marché des fonds fédéraux pour reconstituer ou maintenir au niveau désiré leur matelas de réserves en banque centrale[14]. Contrarier l’offre de fonds fédéraux des FHLB assècherait non seulement le marché mais dégraderait de surcroît la pertinence (déjà assez faible) du taux effectif des fonds fédéraux comme indicateur de la transmission de la politique monétaire.
Les prêts de fonds fédéraux des FHLB devraient en outre être pénalisés par l’ambition de la FHFA de relever les limites d’exposition par contrepartie appliquées aux comptes de dépôts des FHLB au même niveau que celles fixées pour les prêts de fonds fédéraux. Cette harmonisation pourrait conduire les FHLB à privilégier les dépôts, mieux rémunérés (graphique 7), et se traduire ainsi par un renchérissement des ressources bancaires. Point positif, cette évolution pourrait aider les très grandes banques américaines à satisfaire leurs exigences de liquidité spécifiques[15]. La rapidité avec laquelle les dépôts des FHLB se sont constitués courant 2018 puis courant 2022 (graphique 3) et la rémunération offerte en contrepartie (qui a pu excéder celle des réserves des banques auprès de la Fed IORB, graphique 8) laissent en effet imaginer qu’ils améliorent, contrairement aux financements de gros, les positions de liquidité intra-journalières et quotidiennes des plus grandes banques. Leur gonflement aux mois de décembre 2018 et 2023 à la veille de deux épisodes de tension intense sur la liquidité (septembre 2019 et mars 2023), bien que de natures différentes, suggère, en outre, qu’ils constituent des indicateurs avancés pertinents.
Augmenter structurellement la demande de réserves en banque centrale
Certes, certaines propositions de réforme nécessiteront probablement un vote du Congrès, que les échéances électorales de cet automne pourraient décaler dans le temps. Pour autant, l’anticipation d’une moindre disponibilité des prêts garantis des FHLB risque d’inciter les banques à accroître, par précaution, leur demande structurelle de réserves en banque centrale et, donc, de contrarier le programme de réduction du bilan de la Réserve fédérale. La demande de monnaie centrale des banques est certes principalement déterminée par les exigences relatives aux stress tests de liquidité et par les besoins liés aux règlements et paiements anticipés. Toutefois, d’après l’enquête de mai 2023 de la Fed[16], plus de 57% des banques américaines considéraient leur capacité à mobiliser des actifs non HQLA pour se fournir en liquidités (i.e. la disponibilité des advances) comme un facteur important, voire très important, du niveau minimum de réserves désiré (niveau en-deçà duquel elles envisageraient de prendre des mesures correctrices). En comparaison, seules 26% des banques interrogées jugeaient l’accès à la fenêtre d’escompte ou à la facilité de mises en pension de la Fed comme un facteur important ou très important. Plus de 90% des banques américaines interrogées (et 100% des succursales de banques étrangères) considéraient, par ailleurs, comme probable, voire très probable, de solliciter des advances pour reconstituer ou maintenir au niveau désiré leur matelas de réserves en banque centrale alors que 74% des banques jugeaient le recours à la fenêtre d’escompte comme très improbable.