Le message de la Réserve fédérale à l’issue de la réunion du comité directeur des 30 avril-1er mai, était sans équivoque. Il faudra attendre encore avant d’acquérir le degré de confiance suffisant sur les perspectives d’inflation qui justifierait une baisse des taux des fonds fédéraux. Voici donc le retour d'un scénario « High for longer » (l’hypothèse que les taux restent élevés plus longtemps que prévu) pour les taux des fonds fédéraux, comme à l'automne 2023. En l'état actuel des choses, la grande question consiste à savoir dans quelle mesure l’économie peut rester résiliente si les Fed funds demeurent à leur niveau actuel jusqu'à l’automne, voire au-delà, ou si le risque d'un atterrissage brutal s’est accru. Le dernier rapport de la Réserve fédérale sur la stabilité financière est quelque peu réconfortant (les bilans du secteur privé sont sains) mais il comporte également un avertissement sur la capacité à assurer le service de la dette des plus petites entreprises, exposées à des risques plus élevés, en cas de décrochage brutal de l'activité économique. Les indicateurs économiques seront plus que jamais à surveiller, notamment ceux en lien avec l’inflation - compte tenu de l’influence de celle-ci sur les perspectives de politique monétaire – et, pour juger de la résilience de l’économie, de la demande et de l'activité.
Tôt ou tard dans un cycle de politique monétaire, le mot « confiance » s'arroge un rôle central dans la communication et les conférences de presse des banques centrales : confiance que la politique monétaire restrictive permettra de juguler l'inflation, confiance dans la marge de manœuvre dont disposera la banque centrale pour baisser ses taux. Aux États-Unis, lors des conférences de presse de Jerome Powell à l'issue des réunions du comité directeur de la Réserve fédérale (FOMC), le nombre de références au terme « confiance » - par les journalistes mais aussi par le président de la Fed - a bondi cette année (graphique 1). Cette forte augmentation traduit l'anticipation que, la fourchette cible des Fed funds ayant été relevée il y a plus de 6 mois pour se situer désormais entre 5,25 % et 5,50 %[1], il serait bientôt temps pour la Réserve fédérale de commencer à abaisser ses taux. La déclaration de janvier 2024 du FOMC laissait présager une telle évolution[2], d’où les nombreuses questions des journalistes dans l’assistance sur la date à laquelle le FOMC pensait acquérir une confiance suffisante dans la baisse de l'inflation justifiant un abaissement du taux directeur, et sur les fondements de cette confiance. En mars, les commentaires de Jerome Powell devant le Comité bancaire du Sénat ont conforté la conviction que les baisses des taux étaient imminentes.[3] Plus récemment, toutefois, la publication de chiffres de l'inflation décevants a donné lieu à un retour de balancier. Lors de la conférence de presse organisée le 20 mars à l'issue de la réunion du comité directeur de la Réserve fédérale, un journaliste a demandé si les chiffres de l'inflation publiés récemment avaient entamé la confiance de la Fed dans la poursuite de la baisse de l'inflation. Sans surprise, le président de la Réserve fédérale a répondu : « Cette évolution n'a assurément pas accru notre confiance — ni celle de quiconque ».[4] Le message formulé à l'issue de la réunion du FOMC des 30 avril - 1er mai, était plus explicite encore : « Nous avions déclaré qu'il nous fallait être plus confiants. Or, aujourd'hui, mes collègues et moi-même avons indiqué que nous n'avions observé aucun progrès au premier trimestre. J'ai donc déclaré qu'il semble qu'il nous faudra attendre plus longtemps pour atteindre ce degré de confiance. J'ignore combien de temps cela prendra. Tout ce que je peux dire est que lorsque nous aurons atteint ce degré de confiance, alors les baisses des taux seront envisagées, mais j'ignore la date exacte à laquelle cela se produira ».[5]
Par conséquent, nous avons renoué avec un environnement « high for long » (des taux des fonds fédéraux durablement élevés), comme à l'automne 2023, période à laquelle, les marchés estimaient que les taux directeurs avaient sans doute atteint le haut de cycle mais qu'il faudrait sans doute très longtemps avant qu'un assouplissement monétaire puisse être envisagé.[6] On a le sentiment d'assister au deuxième acte d’une pièce de théâtre , en se posant la question de savoir s’il sera à la hauteur du premier. Aux États-Unis, la première phase de l'environnement « high for longer » s’est caractérisée par la résilience de l'économie -marché du travail, croissance du PIB au quatrième trimestre 2023. Dans la situation actuelle, toutefois, la question clé, qui n'a pas été soulevée lors de la dernière conférence de presse, est de savoir si l’économie conservera sa résilience dans l’éventualité où les Fed funds demeurent à leur niveau actuel jusqu'à l’automne, voire au-delà, ou si le risque d'un atterrissage brutal s’est accru. Dans une large mesure, la réponse à cette question dépend de la sensibilité aux taux d’intérêt de l’économie américaine, laquelle est elle-même influencée par le niveau d'endettement des entreprises et des ménages. Il s’agit également de savoir si les taux sur cette dette sont fixes ou variables, et de connaître le niveau de résilience des résultats des entreprises et des revenus des ménages. Le Rapport de la Réserve fédérale sur la stabilité financière publié en avril est quelque peu rassurant ( « les bilans des entreprises non financières et des ménages sont restés sains ») mais il comporte également un avertissement, indiquant qu’ « un décrochage brutal de l'activité économique pèserait sur les résultats des entreprises et sur le revenu des ménages et pourrait réduire la capacité à assurer le service de la dette des plus petites entreprises, qui sont exposées à des risques plus élevés compte tenu de ratios de couverture des intérêts déjà faibles, ainsi que des ménages dont la situation financière est particulièrement difficile ».[7] Les indicateurs économiques seront plus que jamais à surveiller, notamment ceux en lien avec l’inflation - compte tenu de leur l’ influence de celle-ci sur les perspectives de politique monétaire - et, pour juger de la résilience de l’économie, de la demande et de l'activité.