Dans la lignée des mois précédents, le redressement de l’impulsion du crédit au secteur privé s’est poursuivi au premier trimestre 2024 dans la zone euro, après le creux enregistré au troisième trimestre 2023. Cette reprise se fait néanmoins à un rythme légèrement moins élevé qu’à la fin de 2023 et l’impulsion reste, en outre, négative.
L’impulsion du crédit aux entreprises est traditionnellement plus volatile au cours du cycle que celle du crédit aux ménages. Les évolutions récentes ne dérogent pas à la règle : à l’automne 2023, alors que les effets du resserrement de la politique monétaire culminaient, l’impulsion du crédit aux ménages n’a pas atteint, en termes absolus, des niveaux aussi bas que pour les entreprises. Depuis, elle tend, a contrario, à se redresser moins vigoureusement. Si l’on se place dans une perspective plus longue, une nuance mérite d’être introduite : l’impulsion du crédit aux ménages se situe encore à des niveaux voisins du creux historique du début de 2009, alors que celle du crédit aux entreprises ne s’en est jamais rapprochée depuis.
Le PIB en volume et les encours de crédit ont, au demeurant, évolué de façon relativement synchronisée. Le premier a enregistré une reprise modeste au premier trimestre (+0,4% en glissement annuel) après deux trimestres de croissance annuelle tout juste positive aux troisième et quatrième trimestres 2023 (+0,1% dans les deux cas). Dans le même temps, et pour la première fois depuis l’été 2022 et le début du relèvement des taux directeurs de la BCE, les encours de crédit au secteur privé ont cessé de ralentir (+0,6% en glissement annuel en décembre 2023, +0,8% en mars 2024). Mais ces évolutions d’ensemble sont à relativiser. En effet, elles sont exclusivement imputables aux prêts au secteur financier, les encours des prêts aux ménages (+0,4% et +0,2%, respectivement) et, dans une moindre mesure, des prêts aux sociétés non financières (+0,5% et +0,4%) ayant poursuivi leur freinage, certes moins appuyé qu’au cours des trimestres précédents.
Les 157 banques interrogées par la BCE durant la première quinzaine de mars, dans le cadre de sa « Bank Lending Survey », ont déclaré n’avoir que très légèrement resserré les critères d’octroi des prêts aux entreprises au premier trimestre 2024 et, surtout, moins que ce qui était anticipé lors de la précédente enquête. Elles ont, dans le même temps et pour la première fois depuis plus de trois ans, relâché leurs conditions d’octroi des prêts à l’habitat. Simultanément, elles poursuivaient le resserrement des critères d’octroi des prêts à la consommation, dont la part jugée plus risquée de la production nouvelle a augmenté. Globalement, la hausse du risque perçu a encouragé le resserrement des conditions, tandis que l’intensification de la concurrence et, dans le cas particulier des prêts à l’habitat, la plus grande tolérance au risque ont, au contraire, favorisé la détente des conditions pratiquées.
La baisse de la demande de prêts et de tirage de lignes de la part des entreprises a surpris par son ampleur, alors que les banques tablaient, en moyenne, sur une stabilisation lors de l’enquête conduite au quatrième trimestre 2023. La demande de prêts à l’habitat a connu un recul plus modéré. Pour sa part, la demande de prêts à la consommation s’est, peu ou prou, maintenue. À l’instar des trimestres précédents, la demande de financements bancaires a été négativement affectée par des taux d’intérêt plus élevés, une baisse des dépenses d’investissement productif de la part des entreprises et par la faiblesse de la confiance des ménages.
Les banques ont également fait état d’une moindre capacité à collecter des ressources auprès de la clientèle de banque de détail, mais aussi d’un meilleur accès à la dette obligataire et, dans une moindre mesure, au marché monétaire. La poursuite de la réduction du portefeuille de titres de l’Eurosystème a eu des effets négatifs sur les conditions de financement et les positions de liquidité au cours des six derniers mois, ce qui a contribué au durcissement des conditions et à la contraction de la production nouvelle. Les banques estiment que ce processus n’a pas encore eu d’incidence sur les critères d’octroi mais que ceux-ci pourraient en être affectés au cours des six prochains mois.
Les remboursements des TLTRO III ont continué de peser négativement sur les positions de liquidité des établissements de crédit. Cependant, du fait des remboursements importants réalisés depuis novembre 2022 et de l’encours résiduel désormais modeste de ces opérations, l’impact sur leurs propres conditions de financement est jugé négligeable et celui sur les conditions appliquées à la clientèle est jugé neutre.
Enfin, les banques témoignent de l’impact positif du relèvement des taux directeurs sur les marges d’intérêt au cours des six derniers mois, qui devrait s’amoindrir d’après elles au cours des six mois suivants. Elles en soulignent, à l’inverse, l’effet modérateur sur les volumes de financements, qu’elles voient persister au cours des six prochains mois. Enfin, elles considèrent l’effet global de ce relèvement des taux sur la rentabilité bancaire négatif au même horizon, du fait de l’accroissement du coût du risque. Cette appréciation vaut pour les systèmes bancaires où la part des prêts à taux variables est relativement importante (Portugal, Finlande et, dans une moindre mesure, Italie et Espagne), ce qui n’est pas le cas en France, en Belgique ou en Allemagne.
Pour le deuxième trimestre 2024, les banques anticipent un recul modéré de la demande de financement émanant des entreprises et une hausse de la demande exprimée par les ménages. Elles envisagent un resserrement modéré des conditions (taux, garanties, etc.) pour les prêts aux entreprises et leur maintien s’agissant des prêts aux ménages. À notre sens, la demande de prêts demeurerait contrainte par des coûts de financement durablement plus élevés que ceux qui prévalaient avant 2022 et serait pénalisée par les anticipations d’ajustement des marchés immobiliers. Cela conforterait, parmi d’autres facteurs, la tendance désinflationniste à l’œuvre dans la zone euro (taux d’inflation annuel stable à +2,4% en mars et en avril, contre 2,9% en décembre 2023) et ouvrirait la voie à une première baisse des taux directeurs de la BCE dès le mois prochain.