L’économie américaine poursuit sa croissance ; elle continue ainsi de repousser une récession toujours probable, mais qui n’interviendrait pas en 2023 et dont l’ampleur serait limitée. Si la consommation des ménages a, pour l’heure, résisté au resserrement monétaire, l’effet cumulatif et retardé de celui-ci devrait finir par impulser une dynamique récessive. Les premiers effets sont déjà visibles sur le secteur de l’immobilier, tandis que le marché de l’emploi montre des signes de ralentissement. Les hausses de taux sont probablement terminées, ce qui est loin d’être le cas de l’approche restrictive de la politique monétaire dans son ensemble.
Le PIB réel des États-Unis a crû de 0,5% (t/t) au T2, une progression importante portée par celle de l’investissement non-résidentiel (+1,8% t/t) à relier à la mise en œuvre de l’Inflation Reduction Act et du CHIPS Act.
Bien que moins élevée au T2 qu’au T1, la contribution de la consommation des ménages reste significative (+0,1 pp contre +0,6). Si le taux de croissance devrait s’améliorer au T3 (+0,9% t/t selon nos prévisions), nous anticipons un ralentissement net au T4 (+0,1% t/t) avant une entrée en récession au premier semestre 2024. Les excès d’épargne de l’ère pandémique et la résilience du marché de l’emploi ont jusqu’ici contribué à ajourner la récession attendue. Mais l’atténuation de ces facteurs de soutien et l’effet cumulatif et retardé du resserrement monétaire devraient finir par avoir raison de la croissance américaine et entraîner une contraction du PIB aux T1 (-0,3% t/t) et T2 (-0,1% t/t) 2024.
Le marché de l’emploi montre quelques signes de détente, à l’image du rebond du taux d’activité (62,8% en septembre 2023, un plus haut depuis février 2020) et de la décélération des créations d’emplois salariés non-agricoles (+189k entre juin et août 2023 contre +238k entre février et mai), cette dernière étant toutefois contrebalancée par une hausse notable en septembre (336k, le plus haut niveau depuis janvier). Nous voyons la tendance se poursuivre et le taux de chômage remonter à 4,7% (3,8% en août 2023) d’ici à la fin-2024, consécutivement à l’entrée en récession anticipée au premier semestre 2024. Cela pourrait s’apparenter à un soft landing : les États-Unis expérimenteraient certes une contraction du PIB accompagnée d’une hausse du chômage, mais dans une ampleur limitée au regard du resserrement opéré depuis février 2022 (+525 pb, un record depuis les +1005 pb de Paul Volcker en 1980 – 1981).
Une exposition directe de l’immobilier au resserrement monétaire
Les taux hypothécaires à 30 ans s’établissent actuellement autour de 7,3% selon Freddie Mac, un plus haut depuis 2001, contre environ 3,5% à l’aube du resserrement monétaire en mars 2022. En plus de l’impact sur la demande immobilière, cela a pour conséquence d’assécher l’offre de logements existants, les vendeurs potentiels ne souhaitant pas basculer dans un régime de service de la dette bien plus important. En conséquence, les ventes de logements existants ont reculé de façon presque ininterrompue depuis février 2022. Elles s’élèvent en moyenne mensuelle à 4,23 millions (annualisé) depuis le début de l’année 2023, contre 5,46 millions entre janvier et août 2022. Dans le même temps, les mises en chantier ont atteint en août un point bas depuis juin 2020 (1,283 million) tempéré, néanmoins, par la hausse mensuelle notable du nombre de permis de construire (+6,9% m/m).
Le secteur de l’immobilier neuf bénéficie dès lors d’un effet de report et s’est redressé à partir de novembre 2022 (en moyenne mobile sur trois mois) avant de refluer en août (699 000 ventes de logements neufs en rythme annualisé, -12k sur le mois). Cela devrait soutenir la croissance du PIB au T3 par le biais de la progression de l’investissement résidentiel (hausse estimée de 1,3% t/t selon le GDPnow de la Fed d’Atlanta, mettant fin à neuf trimestres consécutifs de contraction). Cependant, cela ne suffira probablement pas à soutenir le secteur immobilier dans son ensemble, notamment du fait de la taille relative du secteur du neuf par rapport à l’ancien (8,5 fois moins de transactions en moyenne depuis 2007). En outre, l’indice NAR d’accessibilité au financement immobilier continue d’évoluer à des niveaux dégradés inédits depuis le milieu des années 80 (87,7 en août).
Plus haut pour plus longtemps
La réunion de septembre du FOMC s’est conclue par un maintien de la cible de taux à 5,25% - 5,50% après une hausse de 25 pb en juillet, en dépit du rebond hausse estival de l’inflation (+3,7% a/a pour la mesure CPI en août, contre +3,1% en juin). La décision de taux s’est accompagnée de la mise à jour trimestrielle des projections économiques médianes du comité. Celles-ci voient une dernière hausse de 25 pb avant la fin de l’année, suivie d’une baisse de 50 pb en 2024 – soit une révision à la hausse du taux attendu pour la fin 2024. Notre scénario central, selon lequel le resserrement monétaire de jure serait achevé, ne s’en trouve pas affecté en dépit de risques orientés à la hausse. Le ton général de la Réserve fédérale reste hawkish et, si la notion d’équilibre des risques revêt une importance grandissante, le maintien du taux d’intérêt à un niveau nominalement stable équivaut à un resserrement monétaire de facto en termes réels, à condition que l’inflation recule.
En définitive, nous notons quelques points de tension à surveiller. Le niveau général de la consommation pourrait pâtir, d’une part, de la reprise des paiements relatifs aux prêts étudiants à partir du mois d’octobre et, d’autre part, des développements des prix du pétrole (le cours du Brent a approché les USD 100 en septembre avant de se replier autour de 85). Cette hausse générerait, par ailleurs, inéluctablement des pressions haussières sur le niveau général des prix et pourrait menacer l’ancrage des anticipations d’inflation. À cela s’ajoutent la possibilité d’un nouveau shutdown en l’absence d’un accord sur le budget d’ici au 17 novembre et les conséquences incertaines de l’action de grève conduite par le syndicat United Auto Workers.
Achevé de rédiger le 6 octobre 2023