L’économie allemande est affectée par la transmission du choc inflationniste à la consommation des ménages. Cette sous-performance reflète aussi des difficultés plus structurelles qui renvoient à la problématique du « Standort Deutschland[1] ». Ces difficultés ont débuté peu avant la mise en œuvre des premières réglementations européennes visant à adapter le secteur automobile au changement climatique. Depuis lors, le secteur manufacturier a ainsi vu sa production et ses capacités de production se réduire. Dans un contexte toujours difficile, nous prévoyons une nouvelle récession au 2nd semestre 2023.
L’Allemagne a évité de peu, au T2 2023, un 3e trimestre consécutif de contraction du PIB (0% t/t, après -0,4% au T4 2022 et -0,1% au T1 2023). Sur les trois derniers trimestres, les dynamiques de consommation (privée et publique) ont été très proches de celle du PIB. Si le niveau élevé de l’inflation a affecté la consommation privée, la consommation publique n’a pas pris le relais.
En parallèle, les exportations (qui représentent près de la moitié du PIB allemand) ont diminué de 1,1% t/t au T2 et retombent ainsi à leur niveau du T4 2021.
Au-delà d’une sous-performance à court terme, la croissance allemande déçoit également depuis plusieurs années, et les raisons devraient persister dans les trimestres à venir. Ainsi, le 2nd semestre 2023 verrait une nouvelle récession modérée d’après nos prévisions (-0,1% t/t tant au T3 qu’au T4).
Un cœur industriel qui pâtine et sous-investit
Les principales enquêtes de conjoncture se dégradent de nouveau après un léger mieux au printemps. Dans l’industrie, elles ont reflué en deçà de leur niveau d’octobre 2022 (elles étaient alors pénalisées par un pic d’inflation à 11,6% a/a selon l’indice harmonisé). Contrairement à 2022, d’après l’enquête Ifo, les entreprises sont moins inquiètes concernant l’avenir (composante « anticipations » à 77 en octobre 2022 contre 83 en septembre 2023) mais davantage concernant la situation actuelle : -2 en septembre contre 13 en octobre 2022 dans l’industrie et 9 contre 21 en octobre 2022 dans les services. Dans les deux cas, l’indicateur est à son plus bas depuis le printemps 2010.
Ces difficultés s’expliquent par des nouvelles commandes domestiques à l’industrie à leur plus bas en juillet 2023 (en moyenne sur 6 mois), depuis la récession de 2012-13. De plus, les intentions de dépenses des ménages restent faibles : elles sont pénalisées par la remontée des taux d’intérêt et ne bénéficient donc pas de la relative désinflation (6,4% a/a en août 2023).
La demande est devenue le premier facteur limitant la production (selon la Commission européenne) dans les trois premiers trimestres de 2023 dans l’ensemble des secteurs produisant des biens intermédiaires (chimie, plastiques-caoutchouc, métallurgie, bois-papier), alors que les contraintes d’offre restent très pénalisantes pour les matériels de transport et les machines et équipements. Les pénuries de main d’œuvre affectant moins de secteurs, les créations d’emplois ont diminué (42 000 au T2, après 94 000 en moyenne sur les quatre trimestres précédents).
Les problèmes rencontrés par l’industrie allemande semblent structurels. La production manufacturière a atteint son pic en novembre 2017, peu avant la mise en œuvre des premières normes environnementales européennes dans le secteur automobile (normes WLTP) en septembre 2018.
Au 1er semestre 2023, la production manufacturière était inférieure de 8,3% à son niveau de fin 2017 (-11% dans l’automobile ou la métallurgie, -15% dans la chimie). Au T2 2023, l’investissement en machines et équipement ne dépassait que de 1,3% le niveau de fin 2017 (contre +16% en France). En conséquence, les capacités de production (qui n’ont diminué qu’à partir du Covid) restent au T2 2023 inférieures de 6% à leur niveau antérieur (une situation inédite).
L’industrie représentant près du quart de l’économie allemande, sa sous-performance affecte le PIB : ce dernier dépassait au T2 2023 de seulement +1,3% son niveau de fin 2017, contre +5,1% pour la zone euro et +4,2% pour la France.
Perspectives moroses pour le secteur exportateur ?
Entre la fin 2017 et le T2 2023, les exportations allemandes de biens et services ont augmenté de 4%. Cette progression totale masque une augmentation plus faible pour les seuls biens, de 1,3%, soit la même évolution que le PIB. Or, entre 2012 et 2017, la croissance cumulée du PIB (près de 11%) a été largement soutenue par les exportations (+22%), notamment celles de biens (+19%). Les exportations ont donc perdu leur rôle de moteur de la croissance.
La perte de parts de marché en Chine, notamment dans l’automobile, est l’un des facteurs explicatifs. L’Allemagne représentait 4,2% des importations chinoises sur les douze derniers mois (à fin août 2023), 1 point en deçà de ce qui prévalait encore deux ans auparavant (dans le même temps, la part de marché française est restée stable, à 1,4%).
En matière d’investissement, les dynamiques des principaux concurrents contrastent avec l’atonie observée en Allemagne. Néanmoins, les séries statistiques n’étant pas mesurées de la même façon, la comparaison reste imprécise. En Chine, la croissance de l’investissement (fixed-asset investment ou FAI, qui n’est pas mesurée en termes réels), du secteur manufacturier efface nettement le choc de la pandémie de Covid-19 : dans ce secteur, entre janvier et août 2023, la FAI était supérieure de 37% à son niveau sur la même période de 2017 (135% dans l’électronique, 100% dans les équipements électriques et près de 60% dans la chimie). Aux États-Unis, l’investissement du secteur manufacturier dans la construction (donnée nominale ici encore) a progressé de 76% a/a sur janvier-juillet 2023, et il a plus que triplé dans les équipements électriques, électroniques et informatiques (soutenu par le Chips act). En Allemagne, l’investissement industriel dans les bâtiments a, au contraire, baissé de 1% a/a (et de 6% par rapport à 2017) au T2 2023. Autant d’évolutions qui, bien que difficilement comparables, laissent prévoir une poursuite de l’effritement des parts de marché allemandes.
Achevé de rédiger le 26 septembre 2023