Après une croissance soutenue au premier semestre 2023, tirée par la demande extérieure, l’économie japonaise entame un ralentissement. La demande privée (consommation des ménages, investissement des entreprises) offre peu de soutien à l’activité. L’inflation s’est certes stabilisée autour de 3% mais elle rogne le pouvoir d’achat des ménages, qui ne bénéficie toujours pas de hausses des salaires notables. Les profits des entreprises ont pourtant atteint, selon les données du ministère des Finances, un nouveau record au T2. Favoriser une meilleure redistribution des profits vers les salaires reste une priorité pour le gouvernement de Fumio Kishida, qui prépare une nouvelle salve de mesures budgétaires en octobre. La Banque du Japon, qui scrute également l‘évolution des salaires, ne devrait pas procéder à des ajustements majeurs de sa politique monétaire avant les résultats des négociations salariales annuelles (Shunto) au printemps prochain. Des ajustements sur la politique de contrôle des taux d’intérêt ne sont néanmoins pas à exclure d’ici là.
Au premier semestre 2023, l’économie japonaise a pu encore bénéficier d’effets de rattrapage favorables liés à la suppression tardive (mai 2023) des dernières restrictions aux frontières mises en place durant la crise sanitaire. Cela a entraîné un rebond important des exportations de services, elles-mêmes tirées par l‘afflux de touristes dans le pays. Le PIB japonais est ainsi repassé, au T2 2023, au-dessus du pic d’activité pré-Covid.
Néanmoins, cette dynamique masque une fragilité persistante de la demande privée. La consommation des ménages et l’investissement des entreprises accusent encore un déficit significatif par rapport à 2019, de l’ordre de 3% chacun, l’écart s’est même accru au deuxième trimestre. La croissance du PIB réel pour le T2 a en effet été révisée à la baisse, de 1,5% t/t initialement à 1,2% t/t, en raison principalement d’une contraction plus importante de ces deux composantes, qui est venue partiellement compenser la hausse des exportations nettes[1].
Nous nous attendons désormais à un net ralentissement de la croissance japonaise au cours des prochains trimestres, à commencer par le T3 (+0,1% t/t) et le T4 (+0,3% t/t). En moyenne annuelle, la croissance devrait s’établir à 2,0% en 2023 grâce aux acquis de croissance favorables enregistrés au premier semestre.
Les pénuries de main d’œuvre sur le marché du travail japonais et les difficultés de recrutement des entreprises (notables dans l’enquête du Tankan), ne suffisent pas à alimenter une croissance des salaires suffisante pour soutenir la consommation. Les salaires nominaux enregistraient une progression de 1,1% a/a au mois de juillet après des hausses supérieures à 2% aux mois de mai et juin (ministère du Travail), soit un rythme inférieur à l’inflation ; les salaires réels n’ont, par conséquent, pas connu de croissance positive en glissement annuel depuis début 2022. L’appel répété de Kazuo Ueda, le gouverneur de la Banque du Japon, pour que les entreprises accordent des hausses de salaires plus importantes est surtout un cheval de bataille pour Fumio Kishida. Le Premier ministre japonais, qui a procédé à un léger remaniement ministériel mi-septembre, dévoilera un nouveau paquet budgétaire au mois d’octobre.
Ce débat sur les salaires n’est pas sans fondement. Les entreprises japonaises se portent bien dans leur ensemble. Selon l’enquête trimestrielle du ministère des Finances (MoF)[2], les profits ont progressé à nouveau fortement au T2 (+9,5% t/t), pour atteindre des niveaux records, aussi bien en niveau (JPY 26,9 tr) que rapportés au PIB (18,2%). Le modèle d’activité des firmes nippones, qui repose en grande partie sur le dynamisme des filiales implantées à l’étranger, continue de montrer ses forces.[3] La dépréciation importante du yen en 2023 a permis de gonfler les profits rapatriés depuis l’étranger, mais les entreprises profitent aussi de leur large déploiement à l’international pour optimiser leur process de production et se rapprocher des différents marchés domestiques. Le climat des affaires de l’enquête Tankan pour le troisième trimestre corrobore ce constat avec un indice de diffusion à 10 contre 8 au T2. Cette évolution positive est particulièrement marquée pour les grandes entreprises (+4 points à 17), tandis que l’indice progresse plus modestement pour les entreprises de taille moyenne (+1 point à 12) et se stabilise à 5 pour les petites entreprises.
Le défi pour le Japon réside donc dans le fait de favoriser une inflation endogène, au travers de la boucle inflation-salaire, tout en limitant le risque d’inflation importée. Pour l’heure, cette dynamique est toujours grippée bien que les problèmes de recrutement s’intensifient comme le montre l’indice d’emploi du Tankan qui affiche au T3 un solde d’opinion à -33, contre -32 au trimestre précédent. En outre, la prévision pour le trimestre suivant (-37), si elle se vérifie, serait la plus dégradée depuis 1991. Le début de normalisation de la politique monétaire japonaise n’est donc pas attendu, selon nos anticipations, avant les prochaines négociations salariales collectives (Shunto) au printemps 2024, une échéance qui devrait coïncider avec la publication de la grande revue de politique monétaire, annoncée par le gouverneur Ueda en juillet dernier.
Achevé de rédiger le 29 septembre 2023