L’économie française connait une dichotomie entre les ménages et les entreprises. Si la consommation et l’investissement des premiers ont diminué en volume (-1,4% et -6,6% au T2 par rapport au T4 2021), l’investissement des secondes a progressé (+6,7% entre le T4 2021 et le T2 2023). Cet élément et la réduction des contraintes sur la production de matériels de transport ont soutenu la croissance au T2 (0,5% t/t) et devraient continuer de le faire à moyen terme. Dans les prochains trimestres, la croissance serait contrainte par la baisse de la demande due, en particulier, à une épargne des ménages élevée.
La croissance du PIB a surpris à la hausse au T2 2023, atteignant 0,5% t/t. Cette performance est due à l’augmentation des exportations de matériels de transport (automobile, aéronautique, naval) et de l’investissement des entreprises (+0,5% t/t au T2). A contrario, la consommation et l’investissement des ménages se sont contractés, affectés par l’inflation encore élevée (bien qu’en baisse) et les taux d’intérêt toujours en hausse.
Cette divergence, constatée depuis début 2022, entre une partie de la demande qui tient et une autre qui se replie, a affaibli la croissance sans toutefois la faire disparaître. La dynamique favorable des entreprises a également permis la poursuite des créations d’emplois, lesquelles sont moins soutenues (21 000 créations nettes au T2, contre près de 94 000 en moyenne au cours des quatre trimestres précédents). L’érosion des facteurs de résilience existants devrait peser tant sur la croissance du PIB que sur celle de l’emploi au 2nd semestre.
Des revenus qui croissent davantage que le PIB
Pourtant, la dynamique des comptes d’agents (ménages et entreprises non financières) a été plutôt positive au 1er semestre 2023. Il est vrai que les ménages ont subi une baisse de leur pouvoir d’achat au 1er semestre 2022, les hausses de revenus étant survenues après : les EUR 20 mds de la loi sur le pouvoir d’achat votée en juillet 2022 et les hausses de rémunérations (hors du SMIC) intervenues au 2nd semestre 2022 (primes dans un premier temps, puis hausses de salaires début 2023).
Toutefois, au T2 2023, le revenu disponible brut nominal (RDB, +9,1% g.a.) a davantage crû que le déflateur de la consommation (+7% a/a). Si les rémunérations n’ont pas encore comblé tout leur retard (+6,6% a/a) sur l’inflation, les revenus du capital (+20,8% a/a) et ceux de la redistribution (les prestations croissent davantage que les prélèvements) ont permis un gain de pouvoir d’achat (+2% a/a). Au T2 2023, le taux de marge des entreprises non financières a augmenté, à 33,2% (32% en moyenne sur 20 ans), reflétant la capacité de ces entreprises à transmettre la hausse des coûts aux prix de vente.
Au global, la dynamique de revenus s’est améliorée et aurait pu générer une croissance supérieure. Mais si les entreprises investissent, les ménages manquent toujours à l’appel.
Les entreprises continuent d’investir
L’investissement des entreprises est l’un des soutiens les plus constants à la croissance française au cours des derniers trimestres. Le taux d’investissement a atteint 26,1% de la valeur ajoutée brute sur les 12 derniers mois contre 20% dans les années 90. La différence s’explique, pour plus de la moitié, par la croissance de l’investissement en information et communication (26% de l’investissement total au cours des 12 derniers mois contre 16% en 2000). Une accélération de l’investissement en construction et en machines et équipements explique aussi cette hausse de l’investissement des entreprises, singulièrement à partir de 2016-17. Cela a permis à l’économie de rompre avec la baisse de ses capacités de production industrielles observée après 2000. Début 2023, la bonne tenue des capacités financières des entreprises les autorise, par ailleurs, à autofinancer une partie de leur investissement, limitant l’impact de la hausse des taux d’intérêt. Toutefois, cette dernière pèse sur la demande (en particulier sur celle des ménages). Or, le manque de débouchés devrait finir par peser sur l’investissement.
Une demande latente des ménages ? Pas encore
Au T2, l’épargne des ménages a atteint 18,8% de leur RDB, un plus haut depuis 1979 (hors période de Covid-19). Or, cette épargne élevée pourrait signaler une demande latente. Notons que depuis la fin des restrictions liées à la pandémie, le taux d’épargne n’a pas retrouvé son niveau pré-Covid. Pour un ménage, l’épargne a deux visées : investir ou constituer une épargne financière. Or, l’investissement dans le logement diminue depuis plusieurs trimestres : à 9,8% du RDB au T2 2023, il est 4 points en deçà de son niveau de 1979. Ainsi, l’épargne financière mobilise environ 8% du RDB en moyenne en 2023, un niveau relativement inédit : jamais les ménages français n’ont si peu dépensé leur RDB.
Dans les années 70, la forte progression des salaires et du pouvoir d’achat (clauses d’indexation) a incité les ménages à s’endetter (malgré les taux très élevés de l’époque). En effet, la dynamique des revenus a rapidement permis d’alléger le poids des mensualités dans leur RDB. Or, la dynamique du pouvoir d’achat des ménages depuis fin 2021 diffère de celle des années 70, et le caractère moins durable de l’inflation ne devrait pas permettre de réduire aussi nettement qu’à l’époque le poids de la dette dans le budget des ménages.
En outre, le niveau élevé des taux d’intérêt freine les ménages dans leurs achats de biens durables. Cela entraîne, avec l’offre limitée de véhicules électriques et leur prix, une épargne qui sonne comme le résultat d’un manque d’opportunités. La demande pourrait se libérer mais pas à court terme : le repli de l’investissement des ménages ne devrait pas s’interrompre avant 2025, tandis que la consommation des ménages retrouverait une croissance normale (de l’ordre de 0,3% t/t par trimestre) en 2024, mais sans effet de rattrapage par rapport à 2022-23.
Achevé de rédiger le 26 septembre 2023