L’économie espagnole a bien résisté, jusqu’à cet été, au choc des taux d’intérêt. La consommation privée et l’investissement ont progressé respectivement, sur un an, de 2,7% et 2,0% au deuxième trimestre 2023. L’élan du marché du travail et l’épargne accumulée durant la pandémie ont soutenu les dépenses des ménages, tout comme le recul de l’inflation qui a permis au pouvoir d’achat de se stabiliser. Toutefois, ces soutiens s’estompent. Sans marquer le pas, l’activité ralentira au second semestre 2023. Néanmoins, avec une croissance anticipée à 2,2% sur l’ensemble de 2023, l’Espagne restera cette année encore l’un des moteurs de la zone euro.
La fin d’année sera rythmée par l’actualité politique avec la tentative de formation d’un nouveau gouvernement de coalition. Alberto Núñez Feijóo, le chef du Parti populaire (PP), arrivé en tête du scrutin législatif du 23 juillet (137 sièges), n’est pas parvenu à obtenir la majorité des 176 sièges lors des votes qui se sont tenus les 26 et 27 septembre dernier au Parlement. La balle est désormais dans le camp du parti socialiste (PSOE) et du premier ministre actuel, Pedro Sánchez, qui a jusqu’au 27 novembre pour réussir, avant un nouveau vote au Parlement.
Si un accord entre le PSOE (121 sièges) et le nouveau parti Sumar de Yolanda Diaz (31 sièges) est probable, le ralliement des partis indépendantistes (ERC, Junts, Parti démocrate européen catalan DeCAT), qui s’étaient unis au PSOE pour former une coalition en 2019, s’annonce délicat : il impliquerait que Pedro Sánchez fasse un pas en avant et décide d’amnistier certains dirigeants indépendantistes catalans. La gauche espagnole est divisée à ce sujet. En cas d’échec, de nouvelles élections législatives se tiendront le 14 janvier 2024.
Si scrutin il y avait, il se tiendrait dans un contexte économique moins porteur qu’en juillet. Les créations d’emplois stagnent désormais, avec un gain de seulement 0,1% entre mai et août[1] après une très forte progression au premier semestre. La dégradation de la conjoncture en Europe ainsi que la hausse du coût du travail, estimée par l’INE à 5,7% a/a au T2, commencent à peser sur la dynamique de recrutement des entreprises. Certaines industries continuent toutefois d’embaucher, à la faveur d’une demande structurellement en hausse. C’est le cas des secteurs de l’information et de la communication (+5,8% a/a), de la santé (+3,2% a/a), du transport et de la logistique (+4,3% a/a).
L’inflation, après avoir atteint un point bas à 1,9% en juin, est repartie à la hausse, poussée notamment par le renchérissement du prix du pétrole. Celui-ci se transmet rapidement aux prix des carburants, qui ont déjà bondi de 5,7% m/m en août. Des effets de base défavorables jouent également.
Le rythme de désinflation des prix énergétiques devrait nettement ralentir au cours de la seconde moitié de l’année. Par ailleurs, l’inflation dans les services ne décélère pas (4,7% a/a en août, hors loyers) et la progression des salaires de base, bien que relativement contenue, dépasse désormais l’inflation. Sur la base des rémunérations moyennes obtenues dans les accords de branche, la hausse s’élevait à 3,4% en glissement annuel en août.
Le marché immobilier résiste mieux qu’attendu à la hausse des taux et les prix progressent encore à un rythme soutenu (+5,3% a/a en août selon Tinsa). La remontée des taux d’emprunts s’est poursuivie pour atteindre un niveau moyen de 4% cet été. Ce niveau reste très inférieur à celui atteint lors de la dernière phase de remontée des taux d’intérêt en 2006-2008, période au cours de laquelle le seuil des 6% avait été franchi (INE). Les crédits aux ménages se contractent toutefois de manière constante depuis près d’un an, mais les prêts non performants et, a fortiori, les saisies immobilières se maintiennent à des niveaux historiquement bas. Bien qu’elle tarde à se matérialiser, une dégradation de la situation est à craindre du fait du décalage de l’effet du resserrement monétaire sur l’économie.
Néanmoins, cette dernière apparaît aujourd’hui plus résistante au choc de taux qu’il y a 15 ans. L’endettement des ménages a fortement reflué depuis cette époque, et il a poursuivi son déclin après un rebond observé durant la crise sanitaire : à 83,4% du revenu disponible au T1 2023, il se situait au niveau le plus bas depuis dix ans et plus de 50 points de pourcentage en dessous du pic de 2008 (135,5%).
En conséquence, la croissance espagnole ne devrait ralentir que modérément au second semestre 2023, avec une hausse attendue aux T3 et T4 de respectivement 0,3% t/t et 0,2% t/t. Par ailleurs, l’INE a procédé, à la mi-septembre, à des révisions du PIB pour la période 2020-2022. La croissance de l’activité a été réhaussée, à 6,4 % en 2021 et 5,8 % en 2022 contre une hausse de 5,5 % initialement rapportée pour les deux années. Sans être significatifs, ces ajustements indiquent que le rebond d’activité post-Covid a été soutenu et permettent de réconcilier un peu mieux les chiffres d’activité avec ceux de l’emploi.
Achevé de rédiger le 29 septembre 2023