Eco Perspectives

OCDE : Fin probable des hausses de taux mais pas de la restriction monétaire

13/10/2023
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Le cycle de hausses des taux touche à sa fin. La poursuite de l’affaiblissement de l’activité économique et de la baisse de l’inflation, que nous anticipons à l’horizon de la fin de l’année, devrait inciter la Fed, la BCE et la BoE à ne plus relever leurs taux directeurs. Un resserrement supplémentaire ne peut toutefois être écarté. Les hausses de taux ne seraient pas suivies tout de suite d’un assouplissement : pour continuer de lutter contre l’inflation, l’action monétaire passerait par le maintien des taux directeurs à leur niveau actuel jusqu’à la mi-2024 d’après nos prévisions. Les premières baisses de taux interviendraient alors pour accompagner le reflux plus net de l’inflation et neutraliser son effet haussier sur les taux directeurs réels. De ce point de vue, la politique monétaire resterait restrictive jusqu’à la fin 2024.

En septembre 2023, sur un échantillon d’une quarantaine de banques centrales, seule une petite dizaine a procédé à une hausse de ses taux directeurs, dont la Banque centrale européenne (BCE). Après le mouvement généralisé de resserrement monétaire engagé fin 2021, un tel geste relève plus de l’exception que de la règle (graphique 1). Si la BCE a remonté ses taux directeurs au lieu de les laisser inchangés comme nous l’attendions, elle se distingue surtout de la Réserve fédérale américaine (Fed) et de la Banque d’Angleterre (BoE) qui ont opté pour le statu quo en septembre (fourchette des Fed funds maintenue à 5,25-5,50% côté américain et bank rate inchangé à 5,25% côté britannique). Cette décision était attendue pour la Fed, elle l’était moins pour la BoE. Ce n’était, en tout cas, pas notre scénario. Le vote a d’ailleurs été très serré avec quatre membres du comité sur les dix en faveur d’une hausse de 25 points de base à 5,5%.

TAUX DIRECTEURS DES BANQUES CENTRALES :
NOMBRE DE HAUSSES VERSUS NOMBRE DE BAISSES

Les hausses de taux relèvent désormais plus de l’exception que de la règle

S’agissant de la BCE, sa décision était entourée d’une assez grande incertitude, entre les arguments en faveur d’une nouvelle hausse (inflation encore très élevée et désinflation insatisfaisante) et ceux plaidant pour un statu quo (détérioration de l’offre et de la demande de crédit, effets retardés du resserrement monétaire, baisse de régime de la croissance). Nous pensions que les craintes entourant la croissance du PIB l’emporteraient sur celles portant sur l’inflation et que la BCE opterait pour le statu quo ; en augmentant encore, au contraire, une nouvelle fois ses taux directeurs, la BCE a montré que la situation sur le front de l’inflation restait plus problématique à ses yeux. Ce n’est pas foncièrement surprenant au regard de sa fonction de réaction, qui dépend de son évaluation des perspectives d’inflation à la lumière des données économiques et financières disponibles, de la dynamique de l’inflation sous-jacente et de la force de la transmission de la politique monétaire à l’économie[1].

Autant la BCE reconnaît la bonne transmission du resserrement monétaire à l’économie via le canal du crédit, autant les progrès sur le front de la désinflation apparaissent encore insuffisants, et le chemin à parcourir pour revenir à l’objectif de 2% demeure long. La BCE prévoit certes que l’inflation totale soit proche de 3% a/a à l’horizon de la fin de l’année, un chiffre nettement en retrait par rapport au pic atteint un an auparavant (10% a/a au T4 2022), mais le reflux est nettement moindre du côté de l’inflation sous-jacente, anticipée encore à 4,1% a/a au T4 2023, soit seulement 1 point de pourcentage plus bas qu’au T4 2022. En 2024, les progrès supplémentaires attendus resteraient limités. L’inflation totale ne perdrait que 0,4 point entre le T4 2023 et le T4 2024 (à 2,9% a/a). Et si la baisse anticipée de l’inflation sous-jacente est plus importante (-1,6 point), elle resterait significativement supérieure à 2% (2,5% au T4 2024). Ce n’est que fin 2025 que l’inflation serait de retour à la cible : légèrement en dessous pour l’inflation totale (1,9%), légèrement au-dessus pour l’inflation sous-jacente (2,1%). Nos propres prévisions d’inflation à l’horizon 2024 sont proches de celles de la BCE[2]. Celles sur la croissance le sont désormais également, la BCE ayant nettement révisé en baisse son scénario pour la zone euro entre juin et septembre[3], une révision dont nous pensions qu’elle l’amènerait à privilégier le statu quo.

La Fed et la BoE sont, dans les grandes lignes, confrontées au même arbitrage et au même numéro d’équilibriste que la BCE : lutter contre l’inflation en limitant les effets négatifs sur l’économie. Néanmoins, leur décision de statu quo monétaire en septembre a pu être facilitée par une désinflation un peu plus avancée aux États-Unis et des risques baissiers sur la croissance jugés plus prononcés au Royaume-Uni. La BCE ayant, en outre, moins augmenté, jusqu’ici, ses taux directeurs en cumulé (450 pb entre juillet 2022 et septembre 2023 contre 525 pb pour la Fed entre mars 2022 et juillet 2023 et 515 pb pour la BoE entre décembre 2021 et août 2023), cela lui donne une latitude supplémentaire pour éventuellement parachever son cycle de hausse, toutes choses égales d’ailleurs. Si l’on compare également le degré de restriction monétaire, mesuré par les taux directeurs déflatés de l’inflation instantanée en glissement annuel, la Fed est en territoire restrictif depuis le printemps 2023. Or, ce n’est pas encore le cas ni de la BCE ni de la BoE. De ce point de vue, ces deux banques centrales pourraient ne pas en avoir terminé avec les hausses de taux, contrairement à la Fed.

Fin des hausses de taux mais pas de baisses attendues avant la mi-2024

Selon nos prévisions, la Fed, la BCE et la BoE ne devraient plus augmenter leurs taux directeurs ni les modifier avant la mi-2024 qui devrait marquer les premières baisses de taux. À noter le décalage de la Banque du Japon (BoJ) qui amorcerait son resserrement monétaire en avril 2024, tandis que la question de la détente monétaire commencerait à se poser plus nettement pour la Fed, la BCE et la BoE.

La fin du cycle de hausses des taux n’est cependant pas encore certaine compte tenu de l’inflation qui demeure élevée et du ralentissement contenu de l’économie au moment où nous écrivons ces lignes. Le statu quo de la Fed en septembre a d’ailleurs été caractérisé de « hawkish pause »[4], expression qui vaut aussi pour la BoE. Mais, plutôt que de décider de nouvelles hausses de taux, l’action de la politique monétaire pourrait passer désormais par le maintien des taux directeurs à leur niveau élevé actuel pendant un temps prolongé. C’est un axe de communication important des banques centrales dernièrement, comme l’illustre par exemple l’accent mis sur la persévérance par le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, dans un discours récent[5].

Nous défendons cette thématique du high for long depuis quelques temps déjà. La « longueur » se traduit, concrètement, dans nos prévisions, par des taux maintenus à leur niveau actuel pendant 8 mois pour la Fed, la BCE comme la BoE (d’octobre 2023 à mai 2024). Cette longue durée ne l’est toutefois pas autant que la précédente période de high for long qui a duré 15 mois, de juin 2006 à août 2007 aux États-Unis (avec des Fed funds au niveau de 5,25% correspondant à la fourchette basse actuelle). Toutefois, contrairement à cette époque (qui a été suivie d’une crise financière brutale et d’une récession majeure), notre scénario central actuel n’anticipe pas une telle dégradation de la situation économique, loin de là.

Les baisses de taux envisagées à partir de la mi-2024 ne répondent pas à un retournement du cycle : elles accompagnent surtout la baisse instantanée de l’inflation, afin de neutraliser son effet haussier sur les taux directeurs réels. Nous anticipons des baisses de taux régulières du côté de la Fed et de la BoE (cinq, 25 pb à chaque réunion) et plus progressives du côté de la BCE (trois baisses de 25 pb). Cette normalisation ne fait qu’éviter un durcissement supplémentaire de la politique monétaire par ce biais ; il n’y a pas véritablement d’assouplissement du côté de la Fed et de la BCE, c’est un peu moins le cas pour la BoE compte tenu de nos prévisions d’inflation (graphique 2). De ce point de vue, la politique monétaire resterait restrictive jusqu’à la fin 2024.

TAUX DIRECTEURS RÉELS*

Nous souhaitons attirer l’attention sur l’écart important qui existe entre notre scénario de taux pour la Fed et celui de la Réserve fédérale. D’après ses projections de taux d’intérêt (dot plot) de septembre, l’estimation médiane des Fed funds intègre une nouvelle hausse de 25 pb d’ici la fin de l’année et seulement 50 pb de baisse en 2024. Cet écart s’explique en partie par l’optimisme des prévisions de croissance de la Fed, dont le scénario révisé s’approche beaucoup du soft landing espéré. Par rapport aux prévisions économiques de juin, la croissance anticipée a été nettement rehaussée en 2023 (+1,1 point, à 2,1% en glissement annuel au T4 2023) et en 2024 (+0,4%, à 1,5%), le taux de chômage a été abaissé pour les deux années (-0,3 point à 3,8% au T4 2023, -0,4 point à 4,1% au T4 2024) ainsi que l’inflation sous-jacente en 2023 (-0,2 point, à 3,7% en glissement annuel au T4 2023). Même le FMI, dans son World Economic Outlook d’octobre 2023, tout juste publié, considère que la probabilité d’un soft landing a augmenté, au sens d’un recul de l’inflation sans retournement majeur à la baisse de l’activité et à la hausse du taux de chômage.

NOMBRE D’OCCURRENCES DES TERMES
«SOFT LANDING» ET «RÉCESSION»*

Cette appréciation plus optimiste de la situation économique, américaine en particulier, se retrouve également dans les recherches faites sur Google de l’expression « soft landing » qui ont bondi récemment et ont supplanté celles du mot « récession » (graphique 3). Nous ne partageons pas tout à fait cet optimisme et continuons de penser que les États-Unis n’échapperont pas à la récession du fait du resserrement de la politique monétaire. Le durcissement récent des conditions monétaires et financières, via la hausse des taux longs combinée à celle des prix du pétrole et à l’appréciation du dollar, tend à renforcer ce scénario et à fragiliser celui d’un soft landing. Mais, au regard des chocs, la faible ampleur de la récession que nous anticipons pourrait la faire passer pour une sorte de soft landing.

Achevé de rédiger le 11 octobre 2023


[1] Cf. William de Vijlder, édito Ecoweek du 18 septembre 2023 : BCE : au point haut du cycle (bnpparibas.com).

[2] À l’exception de l’inflation totale à l’horizon de la fin 2024 que nous prévoyons moins élevée (2,3%).

[3] En juin 2023, la BCE prévoyait une croissance de 0,9% en moyenne annuelle en 2023 et de 1,5% en 2024 ; en septembre 2023, ces chiffres ont été abaissés à, respectivement, 0,7% et 1%.

[4] Cf. William de Vijlder, édito Ecoweek du 25 septembre 2023 : Réserve fédérale américaine : des taux (plus) hauts plus longtemps (bnpparibas.com)

[5] La politique monétaire dans la zone euro : avons-nous agi trop tard ? Ou se pourrait-il que nous en fassions trop aujourd’hui ? | Banque de France (banque-france.fr), 25 septembre 2023, Conférence BCE – CEPR – Banque de France, Paris

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