Lors de sa dernière réunion, le Conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne a décidé de resserrer davantage sa politique monétaire, portant le taux de rémunération des dépôts à 4,00 %. D’après lui, maintenir les taux directeurs à leurs niveaux actuels, pendant une durée suffisamment longue, contribuera grandement à ramener au plus tôt l’inflation vers sa cible de 2%. Les marchés financiers se sont redressés, convaincus que le pic du cycle des taux directeurs a été atteint. La question est maintenant de savoir pendant combien de temps ils se maintiendront à ce niveau et quel sera le rythme de la détente à venir. La fonction de réaction de la BCE dépend de son évaluation des perspectives d’inflation à la lumière des données économiques et financières disponibles, de la dynamique de l’inflation sous-jacente et de la force de la transmission de la politique monétaire à l’économie. Cela laisse une importante marge d’interprétation et de spéculation aux marchés. Une définition plus claire de la fonction de réaction permettrait d’éviter une volatilité excessive des taux d’intérêt et des marchés financiers en général.
Comme le dit l’adage, une image vaut mieux que de longs discours. À en juger par la réaction des marchés financiers (graphiques 1 à 3) - un repli des rendements obligataires et de l’euro mais aussi un rebond des marchés boursiers -, à l’annonce de la décision du Conseil des gouverneurs du 14 septembre dernier, un événement de taille favorable aux marchés se serait produit.
Manifestement, dans l’univers des banques centrales, les nuances ont leur importance et les graphiques méritent d’être commentés. Certes, les taux directeurs ont de nouveau été relevés – pour la dixième fois d’affilée -, portant le taux de rémunération des dépôts à 4,00 %, un plus haut inédit. Néanmoins, le Conseil des gouverneurs considère à présent « que les taux d’intérêt directeurs de la BCE ont atteint des niveaux qui, maintenus pendant une durée suffisamment longue, contribueront fortement au retour de l’inflation au niveau de notre objectif »[1]. Cela tend à montrer que, sur la base des données actuelles, la politique monétaire est à présent suffisamment restrictive pour atteindre l’objectif d’inflation de la BCE, et qu’il ne sera pas nécessaire de relever de nouveau les taux directeurs à court terme.
Avec le temps, l’impact des hausses de taux passées devrait commencer à se faire sentir, réduisant d’autant la probabilité d’un nouveau relèvement, par l’institution de Francfort, après une pause. En clair, cette annonce signifie que le pic des taux directeurs a été atteint, ce qui explique la réaction du marché. Devant le recul, sinon la disparition totale, du risque de nouvelles hausses des taux, les rendements obligataires se sont repliés. La légère réduction de l’incertitude entourant les perspectives de croissance, induite par ce recul, a provoqué un redressement des marchés boursiers du fait de la baisse de la prime de risque ; le repli des rendements obligataires n’y a pas, non plus, été étranger. Quant à l’euro, il s’est déprécié face au dollar devant la possibilité de nouveaux relèvements des taux directeurs par la Réserve fédérale américaine.
De toute évidence, l’écart est grand entre ce que dit la BCE et l’interprétation qu’en fait le marché. La communication de la Banque centrale européenne doit être suffisamment ambigüe pour laisser au Conseil des gouverneurs toutes les options ouvertes[2] dans le cas où la dynamique de la désinflation décevrait, voire si cette dernière calait. De plus, un message sans équivoque du type « c’est terminé ! » pourrait entraîner une détente durable et significative des conditions financières – baisse des rendements obligataires, hausse des cours des actions, repli de l’euro – qui aurait pour effet de neutraliser une partie de l’effet des taux directeurs élevés sur l’économie. Il est peu probable qu'à ce stade, une majorité suffisante soit trouvée parmi les membres du Conseil des gouverneurs pour envoyer un signal aussi fort.
Certains commentateurs ont néanmoins qualifié cette décision de « relèvement dovish », convaincus que ce devrait être le dernier du cycle. Or, le ton de Christine Lagarde lors de la conférence de presse n’était pas véritablement accommodant[3]. Elle a en effet insisté sur le fait que la décision du Conseil des gouverneur était fondée sur l’évaluation actuelle – celle-ci pouvant ainsi évoluer en fonction des données disponibles – et elle a mis l’accent sur le facteur temps – le maintien des taux à des niveaux élevés pendant une durée suffisamment longue -, ajoutant que si l’on compare les perspectives d’inflation jusqu’en 2025 avec les engagements et l’objectif de 2% de la BCE, sa mission n’est pas encore accomplie. Or, une politique monétaire restrictive peut être néfaste pour l’économie même lorsque les taux se situent sur un plateau.
Compte tenu de la stabilisation attendue des taux directeurs, on pourrait croire que les prochaines réunions du Conseil des gouverneurs seront ennuyeuses. Or, la réalité devrait être tout autre. Pour anticiper le calendrier et le rythme des baisses de taux, les analystes devront s’attacher à comprendre la fonction de réaction de la BCE. La présidente de la BCE a rappelé à plusieurs reprises que les décisions relatives aux taux d’intérêt seraient fondées sur l’évaluation des perspectives d’inflation, qui elles-mêmes tiennent compte des données économiques et financières disponibles, de la dynamique de l’inflation sous-jacente et de la force de la transmission de la politique monétaire. Concernant ce dernier facteur, le Conseil des gouverneurs estime que ce « canal de transmission est solide et plus encore que lors des cycles précédents »[4].
Les deux autres facteurs laissent une importante marge d’interprétation et de spéculation aux marchés : comment les nouvelles données disponibles vont-elles modifier les perspectives d’inflation ? Quel est le bon rythme de désinflation ? Une définition plus claire de la fonction de réaction permettrait d’éviter une volatilité excessive des taux d’intérêt et des marchés financiers en général. Une chose est sûre : quelle que soit la possible stabilisation des taux directeurs, les conférences de presse de la BCE susciteront toujours autant d’intérêt.
William De Vijlder