Les projections économiques médianes des membres du comité de politique monétaire maintiennent, au premier trimestre, le scénario de trois baisses de taux pour l’année 2024. « Attendre » est désormais le maître-mot de la Réserve fédérale : attendre des données, attendre d’autres données, attendre les pleins effets du resserrement, attendre que les éléments démontrant que l’inflation est définitivement sur le chemin des 2% se fassent plus conséquents. En ce sens, le premier trimestre 2024 s’est révélé décevant. De l’autre côté de la balance des risques, l’activité demeure dynamique et n’appelle pas à une accélération du calendrier. Ainsi, l’éventualité d’un abaissement du taux directeur retardé et de moindre ampleur a gagné en crédibilité, et nous voyons désormais deux baisses de taux en 2024, débutant en juillet, portant le taux directeur à +4,75 % - +5,00% en fin d’année.
La croissance économique des États-Unis devrait faire l’objet d’un ralentissement marginal au premier trimestre 2024 et s’élever, selon notre estimation, à +0,7% t/t. Les enquêtes d’activité rapportent une évolution notable, avec le retour, en mars 2024, de l’indice ISM du secteur manufacturier en zone d’expansion, à 50,3 (+2,5pp), mettant ainsi un terme à une période longue de 16 mois en territoire négatif, un signal récessif par le passé mais qui ne semble pas s’être propagé, pour l’heure, au reste de l’économie. La pérennité de ce redressement de l’ISM manufacturier sera scrutée avec attention lors des prochaines publications. La dernière révision du PIB du T4 2023 a confirmé le taux de croissance trimestriel de +0,8% t/t, mais se caractérise par une consommation des ménages et un investissement non-résidentiel plus dynamiques qu’initialement estimés , contre des révisions à la baisse sur les stocks et le commerce extérieur. La robustesse de l’économie américaine fin 2023 dote celle-ci d’un acquis de croissance significatif (+1,5pp), qui devrait contribuer à une accélération de la croissance du PIB en moyenne annuelle en 2024, que nous escomptons à +2,8% après +2,5% en 2023.
Le sentiment des consommateurs s’était redressé de façon assez sensible en décembre 2023 et janvier 2024, aidé en cela par des surprises positives sur le plan de la croissance économique et, surtout, de l’inflation (+3,2% a/a au T4). Ce redressement était apparent tant pour l’enquête du Conference Board (110,9 en janvier 2024, contre 99,1 en octobre 2023) que de l’Université du Michigan (79,0 en janvier 2024, contre 61,3 en novembre 2023). Mais cette amélioration a, depuis, laissé la place à une stagnation de l’indice du Michigan (79,4 en mars) et à une dégradation de celui du Conference Board (104,7) au cours du T1 2024, des résultats faisant écho à des chiffres d’inflation jugés décevants (voir ci-après).
A contrario, le sentiment des chefs d’entreprise, mesuré par le Conference Board, est sur une pente ascendante après avoir atteint, au T4 2022, un plus bas depuis la grande crise financière (indice à 29, contre 24 au T4 2008). L’indice s’élève à 53 au premier trimestre 2024, avec des résultats équilibrés au niveau des sous-composantes (évaluation des conditions actuelles et attentes, niveau sectoriel et agrégé). Cela ouvre la voie à une amélioration de l’investissement non-résidentiel – déjà relativement résistant face au resserrement monétaire – en 2024, au fur et à mesure de l’assouplissement graduel attendu des conditions financières.
Surveillance de la trajectoire de désinflation
La seconde réunion du FOMC de 2024 a résulté en un maintien de la cible de taux à +5,25 - +5,5%, le quatrième statu quo de rang depuis la dernière hausse, en juillet 2023 (+25 pb). Surtout, les attentes médianes des membres du comité (les dot plots) sont apparues stables pour 2024, avec toujours trois baisses de taux envisagées, pour un total de -75 pb. Ceci est advenu en dépit des révisions à la hausse des projections médianes de croissance du PIB (+2,1%, contre +1,4% dans les projections de décembre) et de l’inflation sous-jacente mesurée par le PCE (+2,6%, contre +2,4%) pour l’année 2024 ; et des déceptions sur les premiers chiffres d’inflation de l’année.
Pourtant, mesurée par l’IPC, l’inflation totale s’élevait encore à +3,2% a/a en février, après des réaccélérations mensuelles en janvier (+0,3% m/m, +0,1pp) et février (+0,4% m/m), tandis que l’inflation sous-jacente était à +3,9% a/a, au-dessus des attentes du consensus (+3,7%). Ces éléments semblaient toutefois avoir été pris en compte, en filigrane, dans les projections médianes, au regard de la modification des attentes pour 2025 (trois baisses de taux contre quatre auparavant) et de la distribution des projections pour 2024. Ainsi, si la projection médiane est stable, il suffirait d’un seul membre supplémentaire tablant sur deux baisses pour que le dot plot de 2024 se translate vers le haut.
De son côté, le gouverneur Powell avait plaidé pour une appréciation équilibrée, voire une prise de distance vis-à-vis des chiffres de janvier et février, indiquant que, à son sens, ceux-ci ne venaient pas « réellement changer la vision d’ensemble », à savoir celle d’une « inflation diminuant graduellement, sur un chemin parfois mouvementé vers les 2% ». Puis, les données du mois de mars ont également surpris défavorablement, avec une hausse de +0,4% m/m de l’IPC comme de l’IPC sous-jacent, portant le glissement annuel des deux indicateurs à, respectivement, +3,5% et +3,8%, sur fond de forte inflation des services hors-logement. Par conséquent, d’après les implied rates en date du 10 avril 2024, les marchés ne pricent plus qu’1 à 2 baisse(s) de taux cette année, contrastant avec les 6 à 7 anticipées en début d’année.
Nous estimons désormais que la Réserve fédérale procédera à deux baisses de taux en 2024 (en juillet et en décembre). La proximité temporelle entre la première baisse de taux, au mois de juillet selon notre scénario central, et l’élection présidentielle ne manquera pas de susciter des commentaires, en dépit du strict refus de Jerome Powell d’intégrer la dimension politicienne dans l’action de son institution, dont il souhaite préserver l’indépendance, le caractère non-partisan ; ainsi qu’au regard de la nature cumulative et retardée de l’effet des décisions de politique monétaire. Enfin, au niveau politique, il est désormais acquis que l’élection présidentielle verra s’affronter le président sortant, Joseph Biden (D), et son prédécesseur, Donald J. Trump (R), sauf événement contraire imprévu.
Achevé de rédiger le 11 avril 2024