La Banque du Japon a pris la décision, certes attendue mais historique, de mettre un terme à sa politique caractéristique de taux d’intérêt négatifs, sur fond de hausse du niveau général des prix se situant de façon durable à des standards presque inédits. La normalisation monétaire sera toutefois un processus incrémental, la faiblesse actuelle de l’activité, illustrée par un taux de croissance négatif attendu au premier trimestre 2024 et de faibles attentes pour l’ensemble de l’année, ne permettant pas de resserrement significatif.
Le taux de croissance annuel moyen du PIB japonais s’est élevé à +1,9% en 2023, après +0,9% en 2022. Ce chiffre, que l’on peut évaluer comme robuste, tient toutefois principalement à l’acquis de croissance issu de l’année précédente (+0,5pp) et à un premier trimestre dynamique – le glissement annuel du PIB au T2 2023 s’élevait à +2,3% a/a. Néanmoins, le second semestre 2023 s’est caractérisé par un repli sensible de l’activité économique, le Japon n’échappant que de peu à la récession technique, avec une croissance trimestrielle de +0,1% au T4 faisant suite à une contraction de -0,8% au T3.
Cette détérioration tient à la faiblesse de la demande intérieure, elle-même liée à la hausse des prix (voir ci-après) et des taux d’intérêt. En effet, la consommation privée et l’investissement résidentiel se sont contractés lors des deux derniers trimestres, pesant sur la croissance de concert avec la diminution de l’investissement public. En revanche, le regain du commerce extérieur, permis par une hausse de +2,6% t/t des exportations au T4 2023, a apporté +0,15pp au taux de croissance trimestriel, évitant ainsi la récession technique au pays[1].
Selon nos prévisions, le PIB japonais devrait légèrement se contracter au premier trimestre 2024 (-0,2% t/t), sous l’effet du tremblement de terre du 1er janvier et des perturbations relatives à la production automobile. Par la suite, la reprise économique sera probablement modérée, les problèmes d’offre, notamment sur le marché du travail, s’ajoutant à la problématique de l’atonie de la demande intérieure. En mars 2024, le taux de chômage reste bas, à 2,6%, tandis que le taux d’activité est de 62,8%, un chiffre globalement en progrès mais marqué par un affaissement du nombre de participants au marché du travail en valeur absolue. Nous escomptons dès lors un taux de croissance annuel moyen de +0,4% en 2024, bien en-deçà du niveau de l’année précédente.
Un moment historique de la politique monétaire japonaise
La Banque du Japon (BoJ) a, conformément à nos attentes, décidé du relèvement de son taux directeur, l’uncollateralized overnight call rate, lors de la réunion de politique monétaire du mois de mars. Ainsi, en portant la cible du taux d’intérêt de court terme à +0,0 - +0,1%, l’institution a procédé à son premier mouvement de taux depuis 2016. Cette hausse revêt un caractère historique puisqu’elle met un terme à la politique de la « NIRP » qui avait cours depuis 17 ans : le Japon était le seul pays se caractérisant encore, début 2024, par un taux directeur négatif. Dans le même temps, il a été mis fin à la politique de contrôle de la courbe de taux. La BoJ estime que, se profilant l’atteinte de l’objectif d’un taux d’inflation à 2% de manière stable et soutenable, les deux outils mentionnés ont rempli leur rôle.
Ces changements interviennent dans un contexte de changement drastique du régime d’inflation au Japon. De fait, la mesure-clé de l’inflation sous-jacente (excluant la nourriture transformée) a atteint +2,3% en 2022 et +3,1% en 2023 en moyenne annuelle, dépassant ainsi la cible d’inflation (relevée de 1% à 2% en 2013) pour la première fois depuis 2014, une année qui dénotait déjà grandement par rapport aux standards nationaux en la matière. Par ailleurs, le chiffre de +4,2% a/a de janvier 2023 constituait un record depuis 1981. Enfin, nous avons revu à la hausse nos prévisions d’inflation sous-jacente pour l’ensemble de l’année 2024, à +2,9% contre +2,4% précédemment.
Ceci est, d’une part, la conséquence des décisions gouvernementales qui sont de nature à soutenir l’inflation énergétique, à savoir la révision à la hausse du levier sur l’énergie renouvelable, à savoir une contribution à la transition énergétique prélevée sur les factures d’électricité, et le non-prolongement du subventionnement de l’électricité et du gaz à partir de l’été. D’autre part, la confédération syndicale Rengo a annoncé une augmentation salariale moyenne de +5,3% a/a, dépassant les attentes et constituant une progression record depuis plus de 30 ans, ce qui est susceptible de nourrir et de mutuellement alimenter l’inflation et les anticipations d’inflation. Ceci est en ligne avec l’objectif de la BoJ, pour laquelle un cercle vertueux entre salaires et prix doit permettre d’atteindre l’objectif d’inflation, mais peut laisser craindre l’apparition d’une rigidité de l’inflation au-dessus des 2%.
Cette première étape passée, la normalisation de la politique monétaire japonaise devrait toutefois se révéler très graduelle. Le résumé des opinions de la BoJ, consécutif à la réunion du mois de mars, fait état de l’affirmation selon laquelle l’économie n’est actuellement pas dans une situation appelant à de rapides hausses de taux d’intérêt. La fin des taux d’intérêt négatifs n’est pas non plus présentée comme une transition vers le resserrement monétaire. Ceci fait écho aux déclarations du gouverneur Kazuo Ueda, ayant suivi la réunion de la BoJ, selon lesquelles les conditions financières doivent demeurer accommodantes pour l’heure.
Dès lors, nous tablons sur des hausses semestrielles, portant le taux directeur à +0,25% à la fin 2024 et +0,75% à la fin 2025. Les risques autour de ce scénario sont toutefois orientés à la hausse, au regard des prévisions d’inflation et de la faiblesse actuelle du Yen. Au 3 avril 2024, la parité USDJPY s’élevait à 151,9 contre environ 115 début 2022 et 130 début 2023. Cette faiblesse du Yen n’est pas sans nourrir des craintes sur l’inflation importée, bien qu’ayant récemment soutenu les profits des entreprises. La devise s’est notamment quelque peu dépréciée à la suite de la dernière réunion de politique monétaire, ce qui peut être attribué au discours de la BoJ relatif à la nécessité de maintenir les conditions financières souples. Une poursuite de la tendance pourrait appeler à des mouvements plus amples ou plus rapides de la part de la banque centrale et/ou à des interventions sur le marché des changes.
Achevé de rédiger le 3 avril 2024