L’activité en zone euro devrait progressivement se renforcer au cours de l’année 2024, portée par l’amélioration du pouvoir d’achat des ménages et la baisse des taux d’intérêt. Le secteur industriel en zone euro fait toutefois face à des problèmes structurels importants, que la baisse des taux directeurs de la BCE n’endiguera pas (ou peu). La montée en puissance du fonds de relance européen permettrait théoriquement aux pays du sud de la zone euro, qui en sont les principaux bénéficiaires, de surperformer à nouveau en 2024. Néanmoins, à ce stade, ses effets ont été relativement limités et les problèmes d’implémentation – mis en évidence dans un rapport récent de la Commission européenne – ne se dissiperont pas totalement cette année.
Les risques baissiers sur la croissance de la zone euro se concentrent sur le secteur industriel, dont la baisse de l’activité n’a montré aucun signe de stabilisation cet hiver. La production industrielle a largement reculé en janvier pour atteindre son plus bas niveau en trois ans et demi tandis que les indices PMI pour le secteur se maintenaient nettement en zone de contraction (45,7 en mars). Le sous-indice sur l’emploi est retombé en mars à son plus bas niveau depuis août 2020, ce qui laisse craindre un retournement plus important des dynamiques de recrutement dans ce secteur. Avant de redresser l’emploi industriel en zone euro, il faudrait déjà endiguer sa baisse, ce qui n’est pas encore le cas : l’emploi manufacturier a plafonné aux deuxième et troisième trimestres 2023, avant de reculer de 0,1% t/t au dernier trimestre. La part de l’emploi manufacturier en zone euro a ainsi atteint son plus bas niveau historique, à 12,8% au dernier trimestre 2023.
Les créations de poste sont toutefois restées dynamiques dans un certain nombre de secteurs des services (information et communication, commerce, hôtellerie-restauration, fonction publique) ainsi que dans la construction. Les tensions sur le marché du travail devraient rester élevées en 2024, en témoigne le taux d’emplois vacants en zone euro qui, bien qu’en baisse à 2,8% au T4 2023, se maintenait encore à un niveau nettement supérieur à l’ère pré-Covid.
Après une stabilisation, l’inflation en zone euro est repartie à la baisse en mars, à 2,4% en g.a. selon l’estimation préliminaire d’Eurostat, et devrait se rapprocher de la cible des 2% au deuxième trimestre 2024, ce qui donnerait plus de latitude à la BCE pour amorcer une première baisse de ses taux directeurs en juin. Celle-ci serait suivie de deux autres baisses d’ici à la fin de l’année 2024, un rythme d’assouplissement modéré et qui se poursuivrait au premier semestre 2025.
Néanmoins, les membres de la BCE tentent de conserver une ligne assez ferme quant à leur objectif de stabilité des prix en mettant davantage l’accent sur l‘évolution des coûts unitaire du travail (CUT) comme un facteur décisionnel important[1]. Les CUT sont déterminés par l’évolution des salaires mais aussi par les autres éléments constitutifs de la rémunération des employés (dont les cotisation sociales employeurs) ainsi que par les gains de productivité. C’est donc un indicateur plus précis que les salaires pour évaluer la pression sur les marges des entreprises et leur capacité à absorber une hausse de leurs coûts. Or, la productivité horaire du travail en zone euro a baissé de 1,0% en moyenne annuelle en 2023, selon les données d’Eurostat, ce qui a conduit à une accélération des CUT (+5,8% en g.a. au T4 2023 contre 4,6% au T4 2022) quand l’inflation harmonisée a, inversement, nettement ralenti (2,6% en g.a. au T4 2023 contre 8,0% au T4 2022). Les marges des entreprises qui, dans leur ensemble, avaient fortement augmenté en 2021-2022, se sont progressivement réduites au cours de l’année 2023. Et si cette tendance venait à se poursuivre, cela contraindrait plus d’entreprises à procéder à un ajustement par les prix, alimentant ainsi un surcroit d’inflation, à supposer toutefois que l’environnement de demande le leur permette.
Par ailleurs, les effets positifs du déploiement des aides dans le cadre de la Facilité pour la Reprise et la Résilience (FRR) européenne tardent encore à se manifester sur le terrain. L’investissement hors logements en zone euro a certes progressé de 3% en 2023, mais il reste 5% en dessous du niveau prépandémique. La Commission européenne souligne dans une évaluation de mi-parcours[2] certains blocages dans le déploiement de ces fonds sur le terrain (complexités administratives, coûts de fonctionnement, centralisation de la décision et manque de consultation de toutes les parties prenantes). Le rapport indique également des risques de substitution entre le FRR et d’autres programmes européens, notamment la « Politique de Cohésion » (Cohesion Policy). Une montée en puissance du FFR est attendu cette année, mais le risque que ses effets se trouvent in fine atténués par un manque de synergie entre les budgets européens et nationaux ne doit pas être écarté.
Achevé de rédiger le 3 avril 2024