L’économie allemande sous-performe de façon notable depuis un peu plus de 6 ans par rapport à la moyenne de la zone euro et à ses standards passés. Il se pourrait même que le pays ait de nouveau été en récession au T4 2023 et au T1 2024. L’Allemagne aura-t-elle alors touché le fond ? D’un point de vue conjoncturel c’est probable car l’accès de faiblesse, enregistré cet hiver, résulte pour partie d’effets exceptionnels. D’un point de vue structurel, l’économie allemande devrait continuer d’enregistrer une croissance modérée, qui ne lui permettrait pas de retrouver son statut de moteur de la croissance européenne.
Les données récentes n’incitent pas à l’optimisme. Le PIB allemand s’est contracté de 0,3% t/t au 4e trimestre 2023 et de 0,1% en moyenne sur l’ensemble de l’année 2023. Le début de l’année 2024 n’a pas montré de signe de reprise. La production manufacturière a, certes, progressé de 1% m/m en janvier mais elle demeure inférieure de 1,5% à son niveau de novembre dernier. L’automobile est en cause, avec une production, en janvier, près de 10% inférieure à son niveau de novembre. La suppression des aides gouvernementales à l’achat de véhicules électriques a pesé à partir de décembre, et les difficultés d’approvisionnement dues à la crise en mer Rouge ont pesé sur le secteur à partir de janvier (avec notamment des fermetures d’usines).
Ainsi, l’indice lié à la situation contemporaine de l’IFO (ISC-IFO) et celui de la confiance des ménages (GFK) ont connu un accès de faiblesse en janvier et février 2024, atteignant des niveaux en-deçà de ceux de fin 2023 : 86,9 en moyenne pour l’ISC-IFO contre 88,5 en décembre ; -29,2 en moyenne pour l’indice GFK contre -25,4 en décembre. Tous ces éléments laissent entrevoir une croissance de nouveau négative au 1er trimestre 2024 (-0,1% t/t d’après nos prévisions), et donc une récession de l’Allemagne.
Le rebond conjoncturel prend corps pour le T2
Pour autant, l’économie allemande pourrait bien avoir touché le fond au 1er trimestre 2024. La parenthèse de janvier-février semble s’être refermée en mars. L’ISC-IFO (88,1) et la confiance des ménages (-27,4) se sont rapprochés de leur niveau de décembre 2023. Cette embellie transparaîtrait également dans la production, notamment automobile, qui devrait rebondir après les difficultés d’offre au T1.
Le rebond de la croissance anticipé au 2e trimestre (+0,1% t/t) s’expliquerait donc, pour l’heure, davantage par la fin d’un accès de faiblesse conjoncturel que par une amélioration durable des fondamentaux. La concommittance de contraintes de demande et d’offre continue de caractériser l’économie allemande. Les nouvelles commandes à l’industrie, qui n’ont enregistré aucun signe de rebond au cours des derniers mois, témoignent d’une demande anémiée.
L’Allemagne devrait toutefois bénéficier, au cours de l’année 2024, de vents porteurs : une première baisse de taux de la BCE anticipée pour juin et un rebond de la croissance dans le reste de la zone euro. La croissance allemande resterait cependant inférieure à celle de la zone euro en 2024 (0% contre 0,7%) comme en 2025 (1,4% contre 1,7%).
Une période de transition qui devrait durer
La sous-performance de la croissance allemande n’en est pas à ses débuts. Entre le T4 2017 et le T4 2023, le PIB allemand a progressé de 1,2% contre 5,5% pour la zone euro. Cela tranche avec la période précédente (T4 2009 – T4 2017) où la situation était inverse : +19,6% pour l’Allemagne contre +11,8% pour la zone euro. Auparavant le pays avait déjà connu une période de retard de croissance, consécutive à la réunification, jusqu’en 2005 (époque où l’Allemagne avait été qualifiée d’« homme malade » de l’Europe), avant que sa croissance rejoigne celle de la zone euro (entre 2005 et 2009).
Les années 1990 avaient débuté par une période de transition coûteuse puisqu’il avait fallu absorber le coût de la réunification. Des inquiétudes sur le statut de l’Allemagne en tant que site de production s’étaient également fait jour (thématique du standort deutschland). Par ailleurs, du point de vue des finances publiques, la dette publique et le déficit public allemands étaient voisins de ceux de la France. De profondes réformes ont in fine permis de clore par le haut cette période : les réformes Hartz (2003-05) ont transformé le marché du travail allemand, tandis que les finances publiques ont été régies par la règle du frein à l’endettement, votée en 2009, qui limite le déficit budgétaire structurel à 0,35% du PIB. L’Allemagne a également profité de l’intégration des pays d’Europe centrale et orientale à l’Union européenne en 2003 pour y externaliser une partie de sa production, tandis que ses exportations ont bénéficié du développement de la Chine (entrée à l’OMC en 2001).
L’Allemagne est aujourd’hui de nouveau engagée dans une transition qui revêt deux facettes : l’adaptation au changement climatique et la prise en compte de la montée en puissance de la politique industrielle en Chine et aux États-Unis. Ce n’est pas un hasard si 2018 a été la première année à voir la croissance allemande décrocher par rapport à celle de la zone euro : la production automobile a atteint son pic en 2017, juste avant l’adoption des premières normes européennes plus contraignantes pour les constructeurs (normes WLTP entrées en application en septembre 2018).
L’industrialisation rapide de la Chine constitue un autre défi : la densité en termes de robots industriels du pays est passée en 2017 d’un rapport de 1 à 3 vis-à-vis de l’Allemagne à une quasi parité en 2022, selon l’International Federation of Robotics. Cette montée en puissance de la Chine a déjà commencé à affecter la part de marché de l’Allemagne dans le commerce mondial (6,6% en 2022 contre 7,8% en 2019 selon l’OMC), un recul qui pourrait se renforcer. Les deux transitions engagées se traduisent par une remise en cause de l’avantage compétitif de l’Allemagne. La perte d’activité relative devrait se poursuivre à mesure que ces transitions continueront de produire leurs effets.
Achevé de rédiger le 4 avril 2024