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Transition "verte" : ce qu'il en coûte

16/01/2024

Dans ce troisième et dernier podcast consacré à la transition écologique Jean-Luc Proutat discute de son financement. De quel type de dépenses parle-t-on ? Dans quel secteur l’effort financier sera le plus important ? Comment mobiliser cet argent au niveau des États et des financements privés ?

Transcription

Bonjour et bienvenue, vous écoutez en Eco Dans Le Texte, le podcast des Études Économiques du groupe BNP Paribas. Je suis Claire d’Izarny, membre de l’équipe Information et Communication des Études Économiques de BNP Paribas et je reçois aujourd’hui Jean-Luc Proutat, responsable des projections économiques de BNP Paribas.

Bonjour Jean-Luc,

Bonjour Claire, bonjour à tous

Merci de revenir pour ce troisième et dernier podcast de la série consacré à la transition énergétique. Dans les deux précédents podcasts vous nous aviez parlé du pacte vert européen et de comment se situe l’Europe par rapport à ses engagements climatiques, dans le deuxième podcast nous avons discuté de la neutralité climatique et des moyens à mettre en œuvre pour y arriver. Aujourd’hui pour ce dernier podcast vous allez nous parler du financement de la transition écologique.

Nous venons d’écouter un extrait du discours d’Antonio Guterres secrétaire général des Nation-Unis, du 11 décembre dernier à la Cop28 qui souligne l’importance du financement de la transition écologique notamment en ce qui concerne l’adaptation

Lorsque l’on parle de financer la transition écologique, la plus petite unité de mesure est le milliard de dollars (ou d’euros) et les montants évoqués sont, tout de suite, très impressionnants ; en outre, ils peuvent faire l’objet d’appréciations diverses.

Alors, Jean-Luc, première question : de quelles dépenses parle-t-on précisément, et que représentent-elles, au moins dans les grandes masses ?

Jean-Luc Proutat

- Vue sous l’aspect financier, la transition écologique renvoie surtout aux moyens décarboner les modes de production et de consommation, alors que le champ d’action est potentiellement plus vaste, puisqu’il peut englober par exemple la restauration les espaces naturels ou l’accompagnement du changement des pratiques agricoles.

- Les chiffrages qui circulent correspondent donc plutôt à un minimum, et recouvrent trois grands types de dépenses.

- Il s’agit d’abord de remplacer les systèmes de génération d’énergie assis sur le fossile (comme les centrales à gaz ou à charbon) par des technologies renouvelables (comme le solaire et l’éolien) ou bas carbone, comme le nucléaire.

- Il s’agit ensuite d’investir dans les réseaux de transports (comme les voies ferrées, les bornes de recharge…) ou d’électricité (comme les lignes à très haute tension, les transformateurs…).

- Il s’agit enfin, au stade final des usages, de réduire le bilan carbone de la consommation (en investissant par exemple dans les véhicules électriques ou les pompes à chaleur) et d’améliorer l’efficacité thermiques des bâtiments, via leur rénovation ou l’utilisation de nouveau matériaux au stade de la construction.

Claire d’Izarny

Avons-nous une idée des sommes qui ont été consacrées au financement de la transition écologique cette année ?

Jean-Luc Proutat

- En s’appuyant sur les chiffres de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) on peut estimer qu’entre 1.800 et 1.850 milliards de dollars auront été consacrés dans le monde à ce type de dépenses, en 2023.

Claire d’Izarny

Ce qui peut paraître important dit comme cela mais qui, à l’échelle de la planète et compte tenu des enjeux, n’est pas si considérable...

Jean-Luc Proutat.

-Effectivement, puisque les investissements dits « verts » représentent 1,7 à 1,8 point de PIB au niveau mondial, c’est à dire moins que ce qui est consacré, par exemple, aux dépenses militaires.

- Cela étant, leur courbe décolle, surtout depuis la guerre en Ukraine. Depuis 2015, qui marque la conclusion des accords de Paris sur le climat, les investissements annuels dans la décarbonation ont pratiquement doublé en dollars constants.

-Ils dépassent désormais ceux consacrés à l’exploitation de nouveaux gisements fossiles, qu’il faudrait dans l’idéal et dès à présent ramener à zéro.

- On ne peut donc pas nier qu’il y ait un effort, mais celui-ci reste très en deçà de ce que nécessiterait une économie mondiale climatiquement neutre à horizon 2050.

Claire d’Izarny

A combien évalue-t-on précisément cet effort ? On imagine, en outre, qu’il n’est pas le même pour tout le monde…

Jean-Luc Proutat.

- Toujours selon l’Agence internationale de l’énergie et toujours en dollars constants, il faudrait au minimum tripler l’effort pour espérer rester dans le cadre des accords de Paris et viser la neutralité climatique à horizon 2050 ; en outre, il faudrait agir vite.

- Au niveau mondial, cela veut dire investir, non plus 1.800 milliards de dollars par an, mais plutôt 5.300 milliards de dollars par an dans la décarbonation des économies, et ce dès 2035.

- Mesuré en point de PIB et moyennant une hypothèse de croissance conservatrice, l’effort devrait encore être multiplié par deux ; il faudrait ainsi viser un ratio de 3,5 points de PIB investis chaque année dans la transition écologique pour espérer infléchir la course du réchauffement climatique.

- Nous en sommes loin et, en outre, et comme vous l’avez souligné, l’effort à mener est très inégalement réparti.

- Certains pays ou régions du monde partent avec quelques longueurs d’avance, qui rendent l’objectif de neutralité climatique, sinon facile atteindre, du moins concevable.

Et dans l’Union Européenne qu’en est-il ?

- C’est par exemple le cas de l’Union européenne, qui a déjà réduit de 30% ses émissions de gaz à effet de serre et qui se dote d’un budget conséquent afin d’accélérer le mouvement.

Claire d’Izarny

Vous faites allusion au plan « fit for 55 » ?

Jean-Luc Proutat.

- Absolument, plan qui, rappelons-le, vise à réduire de 55% les émissions nettes de gaz à effet de serre en 2030 (par rapport à 1990), dans l’optique de les ramener au voisinage de zéro en 2050 ;

- Pour parvenir à ses fins, l’UE compte allouer à la décarbonation des économies environ 30% des montants du plan Next Generation EU, et encore 30% de son budget pluriannuel.

- On arrive ainsi à quelque 600 milliards d’euros consacrés à la transition écologique des Vingt-Sept entre 2021 et 2027, ce qui n’a rien à envier à l’inflation reduction act américain ; à noter, mais nous y reviendrons, qu’il ne s’agit que d’une partie de l’effort, puisque les Etats et le secteur privé auront évidemment leur part à prendre.

Claire d’Izarny

Et en dehors de l’UE, où voit-on les investissements verts décoller ?

Jean-Luc Proutat

- Dans l’ensemble des pays développés d’une manière générale mais aussi en Chine, où l’on a toujours recours au charbon mais qui est l’endroit du monde où l’on investit le plus dans la transition écologique.

- Pékin y aura consacré plus de 600 milliards de dollars en 2023, soit le double des montants mobilisés dans l’ensemble des autres pays émergents.

- C’est donc finalement bien là, dans les pays émergents hors Chine, que la question des moyens mis au service de la transition se pose avec la plus d’acuité.

- Lorsque j’évoquais tout à l’heure la nécessité de tripler l’effort financier en faveur de la transition écologique, il s’agissait d’une moyenne mondiale.

- En réalité, en Inde, en Afrique, en Amérique Latine, ou encore en Asie du Sud-Est, l’effort à fournir s’avère bien supérieur. Dans ces régions du monde, qui partent de beaucoup plus loin, les investissements annuels verts devraient, en moyenne, être multipliés par sept dans les prochaines années.

- Or les Etats, déjà fragilisés par la crise de la Covid 19 et le choc énergétique et alimentaire provoqué par la guerre en Ukraine, n’ont pas vraiment la capacité d’accompagner le mouvement.

- D’où l’idée, née de la conférence de Copenhague, d’organiser des transferts financiers Nord-Sud. C’est le fameux objectif de 100 milliards de dollars par an fixé par les accords de Paris et qui devrait être pour la première fois atteint en 2023.

Claire d’Izarny

Et cela va suffire ?

Jean-Luc Proutat

- Non, et un récent rapport de l’AIE consacré à conversion des pays émergents indique que rien ne se fera sans la mobilisation de l’épargne privée des pays avancés, c’est-à-dire celle que gère les banques, les compagnies d’assurance-vie, les fonds de pension et d’investissements, etc.

- Avec la montée en puissance de la finance durable, notamment du marché des obligations « vertes », ou encore l’extension des critères ESG (Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance) un mouvement général s’amorce.

- Mais pour qu’il profite pleinement aux pays émergents, et au-delà même la question de la rentabilité des projets, l’un des principaux freins à desserrer reste celui du risque pays ;

- Sur ce terrain, la sécurisation juridique des contrats, la gestion du risque de change, le suivi des projets par les institutions internationales, ou encore le développement de systèmes de garanties (à l’image de ce qui existe déjà dans l’Union européenne avec la Banque européenne d’investissement) comptent au moins autant que les milliards de dollars que l’on additionne.

- Le chantier est non seulement vaste, mais aussi protéiforme. Il revêt une dimension géopolitique, ce qui veut dire qu’au-delà des critiques dont-elles font l’objet, les COP (Conférence des parties) restent sans doute utiles pour faire avancer les choses.

Claire d’Izarny

Jean-Luc, terminons par la France. Le coût financier de sa transition écologique a fait l’objet, en mai 2023, d’une évaluation détaillée de la part de France Stratégie. Que faut-il en retenir ? Pouvez-vous nous la résumer ?

Jean-Luc Proutat

- En s’appuyant sur les évaluations de l’Institut de l’économie pour le climat, on peut estimer que la France consacre déjà entre 90 et 100 milliards d’euros par an à sa transition écologique, soit 3,4 points de PIB en 2023.

- A horizon 2030 le rapport que vous citez estime qu’il faudrait doubler ce montant, c’est-à-dire rajouter 100 milliards de d’euros par an aux investissements verts (à prix constants de 2023), pour que la France respecte ses engagements climatiques.

- France Stratégie estime cependant qu’environ le tiers de ces investissements supplémentaires pourront être couverts par des réallocations au détriment des énergies « brunes », autrement dit assises sur le fossile.

- L’effort net, qui correspond au besoin de financement à trouver, est ainsi évalué à 66 ou 67 milliards par d’euros par an à horizon 2030, soit un peu plus de 2 points de PIB (sous hypothèse de croissance conservatrice).

- Dans le scénario de France Stratégie, l’effort se trouve également partagé entre le privé (les entreprises et les ménages, pour EUR 33 Mds) et l’Etat (pour EUR 34 mds).

- Ce sont ces fameux 34 milliards qui ont été les plus commentés au moment de la présentation du rapport, notamment quant aux moyens de les obtenir.

Claire d’Izarny

Et sait-on précisément où devrait porter l’effort de financement ?

Jean-Luc Proutat

- La France bénéficiant déjà, grâce au nucléaire, d’une production industrielle et d’énergie relativement décarbonée, l’effort d’investissement porterait essentiellement sur deux secteurs, à savoir l’automobile et le bâtiment.

- Pour ce qui est des dépenses d’électrification des transports, elles seraient en partie couvertes par des désinvestissements, voire des mises au rebut d’actifs industriels, dans les filières essence ou diesel.

- La charge financière nette de la transition se concentrerait donc surtout - à 73% - sur le bâtiment : isolation thermique des logements, remplacement du fioul et du gaz par des systèmes de pompes à chaleur, etc.

- C’est dans ce secteur précis que le taux d’effort financier demandé aux particuliers est le plus élevé ;

- France stratégie rappelle ainsi que, pour un ménage modeste, le coût d’une rénovation thermique et d’un changement de système de chauffage représente plus de deux années de revenu disponible.

- Les mesures d’accompagnement gouvernementales devraient donc largement cibler ce secteur dans les années à venir.

Claire d’Izarny

Merci Jean-Luc pour vos explications sur le financement de la transition écologique et de votre éclairage sur les secteurs qui sont principalement concernés par cet effort financier en France.

J’invite nos auditeurs à la lecture de votre publication du mois d’Août sur la neutralité climatique : la course est lancée, et votre graphique commenté du mois d’octobre : Neutralité climatique : gare à une transition à deux vitesses ! dons les liens sont en description.

Vous-y retrouverez aussi les liens des deux publications de l’agence internationale de l’énergie cités dans ce podcast.

Merci à nos auditeurs, rendez-vous sur notre site internet, vous y retrouverez tout au long de l’année les analyses de notre équipe de recherche économique.

À très bientôt.

Conseil de lecture :

  • AIE (2021) Net Zero by 2050. A Roadmap for the Global Energy Sector (October)

Net Zero by 2050 – Analysis - IEA

  • AIE (2023) Scaling up Private Finance for Clean Energy in Emerging and Developing Economies (June)

Scaling Up Private Finance for Clean Energy in Emerging and Developing Economies – Analysis - IEA

Crédit son :

  • Extrait du discours d'Antonio Guterres à la Cop 28 aux Émirats Arabe Unis, le 11 décembre 2023.

#LIVE COP28 | António Guterres, Secretary-General of the United Nations - 11 December 2023 (youtube.com)

  • Extrait du discours du Roi d'Angleterre Charles III à la cérémonie d'ouverture de la Cop 28 aux Émirats Arabe Unis, le 1er décembre 2023

#COP28 World Climate Action Summit Opening | United Nations Climate Change Conference (youtube.com)

  • Extrait du discours du président Emmanuel Marcon à la cérémonie d'ouverture de la Cop 28 aux Émirats Arabe Unis, le 1er décembre 2023

Discours du Président Emmanuel Macron à la COP28 de Dubaï. (youtube.com)

LES ÉCONOMISTES AYANT PARTICIPÉ À CET ARTICLE