Eco Emerging

Exposé aux chocs externes, mais solide

24/01/2019

Vulnérable au risque de guerre commerciale

La croissance s’est progressivement renforcée entre 2016 et le début de 2018, grâce à un environnement extérieur plus favorable et des politiques économiques expansionnistes. Les exportations ont été soutenues en 2017 par le redressement de la demande mondiale de produits technologiques, qui s’est ensuite s’essoufflée en 2018, tandis que des mesures de relance budgétaire et le maintien de conditions monétaires accommodantes ont soutenu la consommation intérieure. Cependant, la croissance du PIB réel a ralenti au T3 2018, atteignant +2,3 % en glissement annuel (g.a.) contre 3,2 % au S1 2018. L’investissement s’est redressé au T3 après quatre trimestres consécutifs de croissance négative ou faible, mais la consommation privée et les dépenses publiques ont marqué le pas. De plus, le secteur exportateur a connu un fort ralentissement, avec une contribution négative des échanges extérieurs nets à la croissance du PIB.

Les données récentes sur le commerce extérieur et les derniers indices PMI du secteur manufacturier indiquent la poursuite du repli de l’activité au T4 2018 et au début de 2019. Les exportations ont commencé à fléchir au cours de l’été (+4,1 % en valeur en g.a. sur la période juillet-octobre 2018 contre 10,7% au S1 2018) et ont enregistré une contraction au cours des deux derniers mois de l’année (-3,3 %). Cette détérioration a été due, dans un premier temps, au ralentissement du commerce mondial et, plus récemment, à la dégradation des performances commerciales de la Chine, suite au bras de fer entre Washington et Pékin (graphique 2).

Prévisions

A court terme, la principale incertitude pour l’économie taïwanaise résulte de ces tensions commerciales (voir note sur la Chine, pages 3-4). Taïwan est très vulnérable à ce type de chocs externes, en raison de sa très grande ouverture commerciale (les exportations représentaient 60% du PIB en 2017), de sa forte exposition aux marchés chinois (28% des exportations totales de marchandises, ou 40% en incluant Hong Kong) et américain (12% des exportations totales) et de sa forte intégration aux chaînes de valeur régionales. En outre, sa base d’exportation est solide, mais excessivement dépendante du secteur technologique (les produits électroniques représentent 34% des exportations totales et les biens d’information et de communication, 11%). Certaines entreprises taïwanaises ajustent d’ores et déjà leur stratégie de production en réponse à la bataille commerciale sino-américaine. Compte tenu des hausses des droits de douane appliquées par les Etats-Unis aux importations de produits chinois et de l’augmentation des coûts de main-d’œuvre en Chine, certaines industries ont annoncé une relocalisation partielle des unités de production, de la Chine continentale vers Taïwan. Et les autorités ont récemment annoncé un plan d’action destiné à aider les entreprises à réinvestir dans l’île. Certains groupes pourraient aussi envisager de rediriger leurs capacités de production vers d’autres pays où les coûts salariaux sont moins élevés comme le Vietnam, les Philippines ou même le Mexique.

Les autorités devraient maintenir la politique économique expansionniste suivie depuis deux ans. Les dépenses sociales et en infrastructures publiques resteront soutenues, et la politique monétaire devrait rester accommodante malgré la hausse des taux d’intérêt américains, étant donné l’incertitude qui pèse sur le commerce extérieur et en raison de la faiblesse des tensions inflationnistes. L’inflation, qui avait accéléré l’an dernier, a fléchi depuis octobre suite à la baisse des prix de l’énergie et des produits alimentaires (graphique 3).

Taïwan pénalisé par la chute du commerce extérieur chinois

La croissance Taïwanaise pâtit non seulement de facteurs cycliques, mais aussi de contraintes structurelles qui contribueront à la poursuite du ralentissement à moyen terme. Sur le plan interne, les principales contraintes résident dans le déclin de la population active (commencé en 2016) et dans la diversification insuffisante de la base manufacturière. Point positif, le gouvernement de Tsai Ing-wen a pris des mesures afin d’améliorer la compétitivité et de développer de nouveaux secteurs industriels : outre un programme de développement des infrastructures portant sur la période 2018-2021, un plan d’innovation industrielle a été lancé, visant à soutenir les secteurs technologiques à plus forte valeur ajoutée. Des mesures pour faciliter le recrutement de travailleurs étrangers ont également été annoncées.

Sur le plan extérieur, Taïwan est confronté à des défis économiques (menace protectionniste, affaiblissement de la demande mondiale) et géopolitiques. Les tensions avec Pékin se sont aggravées depuis l’arrivée au pouvoir en mai 2016 de la présidente Tsai Ing-wen et de son parti, le PPD (Parti progressiste démocratique). Les relations difficiles avec la Chine peuvent pénaliser l’activité de certaines entreprises, notamment dans le secteur du tourisme. Surtout, la stratégie du gouvernement PPD visant à réorienter les relations de Taïwan vers d’autres pays que la Chine (notamment vers les pays d’Asie du Sud et du Sud-Est) se heurte aux pressions exercées par Pékin sur les partenaires économiques potentiels.

Des fondamentaux macroéconomiques très solides

Conditions monétaires accommodantes

Malgré de nombreux vents contraires qui pourraient pénaliser la croissance de Taïwan au cours des prochaines années, sa robustesse macroéconomique n’est pas menacée. Tout d’abord, l’excellente santé des comptes extérieurs devrait persister. L’important excédent courant (plus de 10 % du PIB), les réserves de change extrêmement confortables (16 mois d’importations) et une solide position créditrice nette sur l’étranger compensent dans une large mesure les préoccupations liées à l’exposition de l’île aux risques de guerre commerciale ou autres chocs commerciaux extérieurs, aux tensions avec la Chine et à l’isolement diplomatique.

Taïwan bénéficie également de solides finances publiques. Le solde budgétaire est structurellement déficitaire et l’assiette fiscale est étroite, mais la discipline des politiques publiques est forte. Le déficit des administrations publiques (y compris les caisses de sécurité sociale) s’est établi à 2,2% du PIB en moyenne depuis 2014 (d’après les données du FMI). La dette des administrations publiques est modérée, attendue à 34% du PIB à la fin de 2018. Elle a légèrement reculé au cours des cinq dernières années (39% en 2013). Le gouvernement bénéficie de coûts d’emprunts très bas et d’une large base d’investisseurs nationaux. Par ailleurs, il n’est pas vulnérable aux variations des conditions financières internationales (il n’a pas de dette libellée en devises). Autant de facteurs qui assurent à l’Etat une large marge de manœuvre pour agir en cas de choc, conduire des politiques contra-cycliques et introduire des réformes structurelles.

Politique budgétaire: entre réforme et relance

De fait, le gouvernement de Tsai Ing-wen a mené des actions afin de soutenir la demande intérieure, élever la croissance potentielle et anticiper le vieillissement de la population. En 2017 a été lancé un programme quadriennal d’infrastructures (doté d’un budget supplémentaire équivalant à 2,4% du PIB. Les autres hausses de dépenses publiques, d’ampleur raisonnable, sont centrées sur le système de protection sociale, l’éducation, la science et la culture, et la défense nationale. Le gouvernement a également réformé la fiscalité. En particulier, les mesures introduites au début de 2018 ont porté le taux de l’impôt sur les sociétés de 17% à 20%, et abaissé l’impôt sur le revenu des particuliers. Les changements ne répondront peut-être pas au problème de l’étroitesse de l’assiette fiscale, et visent surtout à encourager la consommation privée tout en maintenant des déficits budgétaires modérés. De fait, le déficit devrait peu se détériorer, atteignant 2,3% en 2019 et 2020, contre 2,0% en 2017.

Enfin, une réforme du régime de retraite de la fonction publique a été introduite en 2017. Taïwan est officiellement devenu une « société vieillissante » début 2018 ; autrement dit, la population âgée de 65 ans et plus représente maintenant plus de 14% de la population totale (définition des Nations Unies). Son taux de dépendance (personnes âgées en pourcentage de la population active) avoisine les 20% (contre 14% il y a dix ans) et pourrait atteindre le niveau extrêmement élevé de 64% d’ici à 2050, selon les projections des Nations Unis. Face au vieillissement rapide de la population et à son impact sur la viabilité des finances publiques à long terme, le gouvernement a créé, en 2016, une commission de réforme des retraites. Les réformes approuvées en 2017 se sont soldées par une baisse importante des pensions de retraite des fonctionnaires, des enseignants et du personnel militaire. En l’absence de réforme, la caisse de retraite des enseignants aurait été en faillite vers 2030 selon les projections officielles, et celle du personnel militaire vers 2020. Grâce aux réformes, le gouvernement estime que la viabilité du système public de retraite sera assurée pendant au moins 30 ans.

LES ÉCONOMISTES EXPERTS AYANT PARTICIPÉ À CET ARTICLE

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