Leadership tricéphale?
Depuis l’entrée en fonction du nouveau président, la composition de l’équipe ministérielle a été marquée par l’émergence de trois groupes distincts : les technocrates libéraux, les militaires et le groupe nationaliste anti-mondialisation emmené par Ernesto Araujo, ministre des Affaires étrangères et fervent admirateur de la rhétorique nationaliste du président américain Donald Trump.
A la tête du contingent technocrate figure Paulo Guedes aux commandes d’un « super ministère » composé des ministères de l’Économie, du Plan, de l’Industrie et du Commerce. Roberto Campos Neto, ancien haut dirigeant de Banco Santander a été nommé gouverneur de la banque centrale tandis que Joaquim Levy, autre diplômé de l’université de Chicago – avec Guedes – et ancien ministre des Finances au sein du 2e gouvernement Rousseff, dirigera la 3e plus grande banque de développement nationale au monde, BNDES. Roberto Castello Branco, économiste de formation et troisième « Chicago Boy », a été nommé PDG de Petrobras après un passage auprès de Vale, le géant minier, et de la banque centrale en tant que cadre dirigeant. Tereza Cristina - chef de file du lobby agricole au parlement et l’une des deux seules femmes nommées au gouvernement – dirigera pour sa part le ministère de l’Agriculture, tandis que Ricardo Salles, avocat de formation, fervent critique des présidents Lula et Rousseff et défenseur du libéralisme économique, pilotera le ministère de l’Environnement. Pour rétablir la « primauté de la loi et de l’ordre », l’une de ses promesses électorales, Jair Bolsonaro a nommé l’ancien juge anti-corruption Sergio Moro à la tête du ministère de la Justice et salué la nomination de Mauricio Valeixo aux commandes de la police fédérale. Les deux hommes - personnalités majeures de l’opération « Lava Jato » - sont à l’origine de l’incarcération de l’ex-président Lula en avril 2018.
Les cadres militaires sont également très largement représentés au sein du nouveau gouvernement avec plus d’un tiers des postes – un record depuis la transition du Brésil vers un régime démocratique[1].
Les questions susceptibles d’attiser les tensions entre ces trois groupes comprennent notamment les relations avec la Chine, l’étendue des privatisations et les règles encadrant l’investissement étranger, le retrait des accords de Paris sur le climat et ses implications pour un accord commercial Mercosur - Union européenne[2]. Ces tensions risquent de s’exacerber lorsque le nouveau congrès siègera à partir de février. Le refus de Bolsonaro de former une coalition stable, au prix de nominations politiques, laisse présager des difficultés éventuelles à mettre en place ses politiques publiques.
Regain de confiance
La reprise économique se poursuit mais reste hésitante. Le PIB a progressé de 0,8% t/t en données cvs et de 1,3% en glissement annuel (g.a.) au T3 2018. La croissance trimestrielle a bénéficié d’un effet de base important dû à un T2 largement impacté par la grève des routiers. Du côté de la demande, la croissance a été tirée par l’investissement et la consommation privée pour respectivement 1,3 p.p. et 0,9 p.p. En revanche, la contribution nette des échanges extérieurs a été négative (-1,5 p.p., cf. graphique 2). L’offre restant supérieure à la demande, la contribution des stocks à la variation annuelle du PIB a de nouveau été positive (+0,5 p.p.). L’acquis de croissance était de 1,1% au T3.
L’économie bénéfice actuellement de facteurs de soutien atténuant le risque de retournement conjoncturel. L’amélioration de la situation financière de l’ensemble des ménages devrait soutenir la consommation. Après avoir connu une croissance négative pendant la majeure partie de 2016, les salaires réels se sont redressés progressivement. Le ratio de dette des ménages en pourcentage du revenu disponible s’est aussi amélioré. Le risque inflationniste étant contenu, la politique monétaire devrait par ailleurs restée accommodante (graphique 3). Le crédit aux ménages, qui progresse à un rythme mensuel en g.a. de l’ordre +6,5%, continuera de soutenir la consommation privée tandis que l’élargissement de la base de financement du crédit hypothécaire devrait stimuler l’investissement résidentiel.
La période post-électorale a été marquée par un rebond des marchés financiers et, plus généralement, par une amélioration du climat de confiance. L’indicateur de confiance à la consommation (CCI) a progressé vigoureusement au T4, atteignant son plus haut niveau en décembre depuis avril 2014. Le climat des affaires reflète la volonté de la nouvelle équipe dirigeante de mettre en œuvre des politiques publiques favorables aux entreprises. L’indice de confiance des entreprises (BCI) a augmenté d’1 point en décembre pour atteindre 95,9 points, soit son plus fort rebond depuis mars 2014. Cette augmentation a été largement tirée par un regain d’optimisme notamment dans les secteurs des services, du commerce et de la construction (graphique 4). L’indice PMI composite est également revenu dans la zone d’expansion pour la première fois depuis mai, atteignant 52,4 points en décembre. La victoire de Bolsonaro a également déclenché une série d’introductions en Bourse au terme de plusieurs mois de paralysie. Le marché des actions a atteint des sommets avec une hausse de 12% depuis le second tour des élections. Le taux de change s’est quelque peu redressé depuis l’entrée en fonction de Bolsonaro (+4%), après une année de baisse du real face au dollar (- 15%).
La résurgence des mouvements sociaux - à commencer par une possible nouvelle grève des routiers - constitue le principal risque conjoncturel à court terme. De plus, l’industrie tourne toujours au ralenti, en témoignent les taux d’utilisation des capacités productives dans le secteur manufacturier qui demeurent bien en deçà des niveaux d’avant-crise. La production automobile (-14% au second semestre) traduit bien la faiblesse de la production industrielle qui stagne depuis juillet. Le crédit aux entreprises reste pour sa part en berne, affichant un taux de croissance réel négatif depuis décembre 2014.
Plus fondamentalement, des marges de manœuvres limitées en matière de politique budgétaire ne permettent plus de relancer l’économie. Même s’il s’est un peu infléchi, le taux de chômage demeure élevé à 11,6%. Des obstacles structurels – faibles niveaux d’investissement, de productivité, d’ouverture commerciale et des niveaux élevés d’informalité, d’inégalité et de corruption – continueront de peser sur les perspectives de croissance à moyen terme.