Un vent d’optimisme souffle actuellement sur le Brésil. Les actifs brésiliens se sont fortement redressés au T2 2023 sur fond d’avancées des réformes et de surprises positives concernant la croissance, l’inflation, le marché du travail et les comptes externes. De nouvelles mesures de soutien budgétaire, conjuguées à la détente des prix de l’énergie et à l’assouplissement monétaire attendu au S2 devraient, en outre, atténuer le ralentissement de l’activité cette année. Les voyants au vert cachent néanmoins les fragilités de la demande interne et des dynamiques sectorielles différenciées. Sans une hausse des recettes, les cibles de résultat primaire définies par la nouvelle règle budgétaire semblent difficilement atteignables.
Embellie sur les marchés ….
Depuis fin mars, les actifs brésiliens connaissent une embellie notable. La Bourse a affiché une progression de 16% tandis que le real s’est apprécié d’environ 10% contre le dollar à la fin juin. La courbe des taux a aussi baissé. Le rendement des titres obligataires du souverain à deux ans est ainsi passé de 14,2% fin décembre 2022 à 10,5% courant juin. Les taux d’intérêt réels des obligations publiques de long terme indexées sur l’inflation se sont également détendus de près de 100 points de base depuis l’annonce des nouvelles règles budgétaires en avril. L’appétit des investisseurs étrangers pour les titres de dette s’est aussi raffermi (entre janvier et mai, les non-résidents ont été acheteurs nets à hauteur de USD 4 mds, d’après l’IIF).
… reflet de bonnes surprises macroéconomiques…
Outre le rôle joué par des facteurs exogènes (baisse du dollar, redémarrage chinois, détente des risques bancaires, découplage des pays émergents avec les pays avancés), le vent d’optimisme qui souffle sur les marchés brésiliens reflète avant tout la bonne tenue de la croissance et l’anticipation d’une baisse des taux à la fin de l’été (SELIC à 13,75% depuis août 2022). La croissance de l’activité a, en effet, fortement surpris à la hausse au T1 (+1,9% t/t et 4% en g.a. après un repli de 0,1% t/t au T4) à la faveur de récoltes exceptionnelles de soja, maïs, céréales (la production agricole a bondi de 21,9% au cours du trimestre, un record). L’activité économique a continué de montrer des signes de résilience au début du T2 sur fond de bonne résistance du marché du travail.
Dans le même temps, l’inflation a poursuivi son ralentissement, profitant encore des effets de base liés à la guerre en Ukraine ainsi que de l’appréciation du real. En mai, la hausse de l’indice global des prix est tombée à son plus bas niveau (3,94% en g.a. contre une cible à 3,25%) depuis octobre 2020, tandis que l’indice de diffusion s’est replié (la part des articles dont le prix a augmenté au cours du mois est passée de 66% à 56%). L’inflation sous-jacente continue de refluer (6,19% contre 9,12% fin 2022).
Sur le plan extérieur, le solde commercial a battu des records sur les cinq premiers mois de l’année – tiré par une production pétrolière et des récoltes agricoles élevées ainsi que par le ralentissement des importations. L’excédent s’est établi à USD 35 mds, soit une hausse de 37% en g.a., et ce malgré la baisse des cours mondiaux des matières premières. Le déficit du compte courant a continué de se résorber (-2,5% du PIB sur 12 mois glissants en mai contre -3% fin 2022) et reste entièrement couvert par les flux nets d’IDE (+2,8% du PIB).
Les voyants au vert cachent néanmoins les fragilités de la demande interne et les différences de dynamiques entre secteurs. Le détail des comptes nationaux montre en effet un affaiblissement de la consommation intérieure et de l’investissement au cours des quatre derniers trimestres. Ainsi, c’est surtout l’accumulation des stocks qui a tiré la croissance de la demande intérieure au T1. Par ailleurs, les bonnes performances de l’agriculture et de l’élevage depuis le début de l’année occultent le repli de la plupart des secteurs de l’industrie et le retournement de l’activité dans les services depuis avril dernier. Les quelques exceptions comprennent les services de transport et de stockage dynamisés par les récoltes exceptionnelles depuis le début de l’année. L’activité des industries de transformation et de la construction civile reste faible, notamment à cause des taux d’intérêt élevés.
À court terme, la détente des prix de l’énergie et les nouvelles mesures de soutien budgétaire devraient soutenir l’activité et permettre d’atténuer le ralentissement économique prévu cette année. Le gouvernement a annoncé des allégements fiscaux pour soutenir l’industrie automobile (programme « voiture populaire ») et une hausse de 27% des financements dans le secteur agricole pour 2023/2024. La banque de développement, BNDES, a aussi annoncé une hausse des financements pour soutenir l’industrie au cours de quatre prochaines années.
Du côté de la demande, outre les transferts sociaux prévus dans le budget 2023, les ménages les plus défavorisés vont bénéficier de la revalorisation du salaire minimum (entrée en vigueur en mai), de l’élargissement des tranches d’exonération d’impôts, ainsi que du nouveau plan de tarification des prix des carburants annoncé par Petrobras (qui a autorisé une baisse des prix et permettra dès lors une meilleure protection du marché intérieur contre la volatilité des cours mondiaux). La mise en place du programme de restructuration de dette (« Desenrola Brasil »), visant à contrer la hausse des défaillances des particuliers, devrait, dans le même temps, bénéficier à près de 70 millions de Brésiliens.
… ainsi que des avancées sur le plan des réformes
L’approbation, fin juin, d’une version plus contraignante de la réforme des règles budgétaires[1], conjuguée à la présentation de la très attendue réforme sur la fiscalité[2] et à la baisse des tensions entre le gouvernement et la Banque centrale ont contribué à détendre les primes de risque (baisse de 75 pb du CDS brésilien à 5 ans depuis mars) et fait baisser les anticipations d’inflation à moyen terme. D’autres initiatives ont été également bien accueillies par les marchés :
i/ le renforcement de la coopération avec la Chine[3],
ii/ la décision de remplacer l’horizon temporel de la cible d’inflation à compter de 2025[4],
iii/ les avancées sur le plan de la transition énergétique et de la protection environnementale, malgré quelques développements inquiétants[5].
Outre la présentation d’un plan d’investissement de BRL 56 mds pour des lignes de transmission électrique et la création à venir d’un marché du carbone, le gouvernement a aussi annoncé vouloir étendre de 30,000 km² la superficie protégée en Amazonie, soit l’équivalent de la superficie de la Belgique. En outre, les agriculteurs qui adopteront des pratiques plus soutenables auront accès à des financements à taux préférentiels.
D’autres acteurs se mobilisent : la BNDES a renforcé la prise en compte d’indicateurs clés de performance environnementale dans l’attribution de ses prêts, tandis que Petrobras s’est engagé à ce que 100% de l’électricité utilisée dans ses activités industrielles et administratives au Brésil soit produite à partir de sources renouvelables. Enfin, les banques brésiliennes ont adopté un nouveau protocole pour lutter contre la déforestation dans la filière bovine. À noter aussi la baisse de la déforestation de 31% sur les cinq premiers mois de l'année par rapport à la même période en 2022.
La dissipation des craintes d’une remise en cause des réformes libérales engagées depuis 2016 a également participé au regain d’optimisme des investisseurs. Lula, dont la popularité stagne depuis le début de l’année, peine en effet à contrer la privatisation d’Electrobras ; le Congrès a, par ailleurs, rejeté un projet de loi autorisant une main mise plus importante du gouvernement sur la gouvernance des entreprises publiques.
Défis structurels et exécution budgétaire
La bonne passe actuelle du Brésil – qui s’est ponctuée en juin par l’amélioration des perspectives de « stable » à « positive » par l’agence de notation S&P – ne doit pas faire perdre de vue les nombreux défis auxquels est confronté le pays sur le plan social (polarisation en hausse, montée de la faim et de la pauvreté), démographique (vieillissement de la population, baisse de la natalité), et surtout économique avec un faible potentiel de croissance lié, entre autres à un environnement des affaires complexe et coûteux.
Selon une récente étude réalisée par le Mouvement pour la compétitivité (MCB) en partenariat avec le think tank FGV, le surcoût que supportent les entreprises pour produire dans le pays (Custo Brasil) par rapport à la moyenne des coûts dans l’OCDE est estimée à BRL 1 500 mds, soit environ 20% du PIB. Le coût de l’emploi, de la logistique, du financement, des exigences réglementaires et fiscales, ainsi que les carences en matière d’intégration dans les chaînes de production mondiales seraient à l’origine de 80% de ce surcoût.
Pour tenter d’y remédier, le MBC/FGV et le ministère du Développement, de l’Industrie, du Commerce et des Services (MDIC) lanceront, au second semestre 2023, l’Observatoire du Custo Brasil qui surveillera et actualisera, de façon permanente, divers projets pour rendre compte de leur impact sur l’économie brésilienne.
Toutefois, à plus brève échéance, le principal défi pour les autorités demeurera l’atteinte des objectifs de solde budgétaire primaire (0% en 2024, +0,5% en 2025 et +1% en 2026), qui conditionneront les marges de manœuvre dont disposera le gouvernement pour lever les obstacles à la croissance. En effet, selon la nouvelle règle budgétaire, la hausse des dépenses sera plafonnée chaque année à un taux de croissance réel compris entre 0,6% et 2,5%, qui dépendra du résultat primaire de l’année précédente. Or, pour l’instant, au vu du scénario économique et compte tenu des dépenses à venir en 2024, la cible ne pourra être atteinte en l’absence de nouvelles sources de revenus. À l’heure actuelle, la réforme fiscale reste l’issue la plus probable pour augmenter durablement les recettes. Encore faut-il qu’elle soit approuvée - un défi qui dure depuis 30 ans.
Salim Hammad