Même si la croissance de début 2023 a été meilleure que prévu pour les pays émergents, le scénario du ralentissement semble se confirmer pour le reste de l’année. En 2024, la vigueur de la reprise dépendra du contexte géopolitique et de l’ampleur de la détente de la politique monétaire aux États-Unis et en zone euro. Elle dépendra également des perspectives d’investissements des pays. Le rapport annuel de la CNUCED autorise un certain optimisme en la matière, sauf pour les économies à faible revenus.
Au cours des premiers mois de l’année, la croissance des pays émergents a bien résisté (+1,7% t/t au T1 2023) grâce au rebond de l’activité dans certains poids lourds régionaux (Chine, Brésil et Pologne). Pour les mois à venir, notre scénario central reste celui d’un ralentissement. Il repose sur les nombreuses contraintes qui pèsent sur la croissance chinoise (cf. focus Chine) et sur un essoufflement du commerce mondial. Celui-ci, déjà observé au T1, est confirmé par la dégradation de l’opinion des industriels concernant leurs commandes à l’exportation au T2, notamment dans les pays industrialisés d’Asie confrontés au retournement du cycle électronique mondial. Enfin, notre scénario prend en compte l’effet retardé des durcissements monétaires, même si le mouvement de hausse des taux d’intérêt directeurs s’est achevé dans la très grande majorité des pays.
À court terme, l’hypothèse d’une récession semble écartée, grâce à la désinflation favorisée par la baisse des prix du pétrole et au retour des investissements de portefeuille, qui ont permis une détente des conditions de financement domestiques et extérieures depuis la fin de 2022.
En 2024, la vigueur de la reprise dépendra du contexte géopolitique au sens large (guerre en Ukraine, conséquences de l’affrontement commercial et technologique entre les États-Unis et la Chine) et de l’ampleur de la détente de la politique monétaire aux États-Unis et en zone euro. Mais la croissance du PIB dépendra également de la capacité d’adaptation des pays au changement climatique et, donc, des investissements à même de générer une croissance soutenable. Ces investissements de transition et d’adaptation ne pourront pas être réalisés uniquement à la charge des États, qui seront soucieux ou contraints de limiter ou réduire leur endettement ou, simplement, qui auront une capacité de financement limitée (cf. focus Égypte). Les investissements de transition et d’adaptation devront donc être en grande partie pris en charge par le secteur privé.
Reprise sensible des IDE dans les pays émergents…
Sur le thème de l'investissement, le rapport 2023 de la Conférence des Nations-Unies sur le commerce et le développement (CNUCED) sur les investissements dans le monde fait un état des lieux plutôt positif. En Chine, les investissements directs étrangers (IDE) sont stables à 1% du PIB depuis 2018. Pour les pays émergents et en développement hors Chine et sur le champ de la CNUCED corrigé[1], les IDE se sont très nettement redressés de +8% en moyenne sur 2020-2022 par rapport à la moyenne des trois années précédentes. 2022 a été une année record, les IDE totalisant 2,4% du PIB, un plus haut depuis 2012. Par zone, c’est le cas pour les principaux pays d’Amérique latine (3,8% du PIB avec notamment un fort rebond au Brésil en 2021-2022), ceux d’Europe centrale et la Turquie (3,2% du PIB). Les investissements étrangers à destination du Moyen-Orient ont été très soutenus également, à 2,2% du PIB en moyenne sur 2020-2022 (contre 1,3% les trois années précédentes). L’Afrique reste le parent pauvre mais avec un tableau très contrasté : d’un côté, les pays non producteurs d’hydrocarbures dont les IDE se maintiennent (ils se sont même redressés en 2022 à l’image de l’Égypte et du Maroc, à respectivement 2,4% et 1,6% du PIB) et, de l’autre, les pays producteurs d’hydrocarbures dont les IDE ont stagné en 2022 sous l’effet du remboursement des prêts liés aux investissements (en Angola depuis 2016 et au Nigeria en 2022) et un quasi arrêt des investissements en Algérie.
À noter que les pays industrialisés d’Asie hors Chine (Corée, Hong Kong, Singapour, Taiwan) ont continué d’attirer le plus d’IDE, en termes absolus, mais surtout en termes relatifs ; ils ont représenté, pour les quatre pays dans leur ensemble, près de 9% du PIB soit légèrement en deçà du record atteint en 2015.
…que devraient confirmer les projets d'investissement greenfield
Le rapport de la CNUCED recense également - et c’est là toute son originalité - les projets d’investissement dits greenfield[2] et les financements de projets internationaux (en nombre et en valorisation). Les premiers sont ventilés par pays, ce qui permet de distinguer les pays développés des pays en développement. Comme pour les IDE, sur la base de l’échantillon CNUCED corrigé et hors Chine, les projets greenfield ont atteint l’équivalent de 2,5% du PIB en 2022, soit un retour à la situation pré-covid. L’Inde est le premier pays en nombre de projets et le deuxième en valorisations cumulées. Mais, par grandes zones, contrairement aux IDE, c’est au Moyen-Orient et dans les pays d’Afrique non producteurs d’hydrocarbures que le nombre et la valeur des projets annoncés ont progressé le plus en 2022. En revanche, pour les pays à faible revenus, le décompte n’incite pas à l’optimisme.
Plus encore que les IDE, qui ne sont pas assimilables dans leur totalité à de nouveaux investissements (la moitié tout au mieux), les projets d’investissements greenfield et leur impact sur la croissance sont à prendre avec précaution puisqu’il s’agit d’annonces qui peuvent être non confirmées, notamment si les charges financières remettent en cause la viabilité des plans de financement. Par ailleurs, pour la plupart des projets, l’horizon de mise en œuvre peut être très long. C’est le cas pour certains pays du Golfe (Qatar et Oman), et surtout pour l’Égypte, dont les projets annoncés totalisent pas moins de USD 107 mds, soit 23% du PIB.
François Faure