La croissance économique, jusqu’à présent très dynamique, devrait faiblir et les autorités sont confrontées à plusieurs défis en 2023. La consolidation des comptes publics est une priorité à court terme, faute de quoi la Roumanie pourrait faire l’objet de nouvelles mesures disciplinaires de la part de l’Union européenne. L’inflation reste élevée, même si elle reflue depuis fin 2022. Cela devrait inciter les autorités monétaires à privilégier un statu quo. Le déficit courant s’est creusé pour avoisiner 10% du PIB en 2022 mais il devrait s’atténuer à court terme en raison de la baisse des prix de l’énergie. En dépit de l’importance des déficits courant et budgétaire, la Roumanie continue d’attirer les flux de capitaux étrangers.
Activité économique morose au S1 2023
La croissance du PIB a sensiblement ralenti au T1 2023, pour s’établir à +0,2% t/t après +1,0% t/t les deux trimestres précédents. L’activité s’est encore affaiblie au T2 à en juger par les indicateurs conjoncturels publiés récemment. Les ventes au détail ont reculé de -1,5% en g.a. en avril alors qu’elles avaient bien résisté jusque-là. La production industrielle suit une tendance baissière depuis plusieurs mois déjà. Parallèlement, le repli des volumes d’importations de biens de consommation et de biens intermédiaires montre que le ralentissement ne concerne pas uniquement les exportations.
De plus, le marché de l’immobilier est en perte de vitesse. La demande de nouveaux crédits à l’habitat s’est amoindrie en raison du renchérissement du coût du crédit : le taux de crédit immobilier s’élevait à 8,3% en avril 2023 contre 4,3% en moyenne en 2021. Par ailleurs, les ménages ont vu leurs remboursements mensuels peser davantage dans leur budget car les crédits sont majoritairement accordés à taux variable. Au second semestre, la consommation devrait néanmoins résister, comme ce fut le cas jusqu’au T1. Le salaire réel, redevenu positif depuis avril, sera un facteur de soutien au pouvoir d’achat des ménages à condition que la baisse de l’inflation se poursuive.
Parmi les pays d’Europe centrale, la Roumanie affichera probablement la plus forte croissance en 2023, même si celle-ci ralentit. La Hongrie, la République tchèque et la Slovaquie sont davantage exposées aux fluctuations de la demande extérieure. L’économie polonaise, qui habituellement résiste mieux que ses voisins, devrait connaître un ralentissement plus marqué cette fois-ci en raison du retournement du secteur immobilier. De plus, les projets d’investissements seront sans doute reportés après les élections législatives prévues à l’automne prochain.
En 2024 et 2025, l’économie roumaine devrait se redresser puis converger graduellement vers sa croissance potentielle estimée autour de 3,5% à moyen terme. Toutefois, l’orientation probable vers une plus grande rigueur budgétaire au cours de ces deux prochaines années annonce un soutien limité à l’investissement et à la consommation des ménages.
Baisse graduelle de l’inflation
L’inflation, calculée à partir de l’indice des prix harmonisé, a atteint un point haut en novembre puis reflué progressivement à 9,6% en g.a. en mai. Ce chiffre est comparable à celui des autres pays d’Europe centrale, à l’exception de la Hongrie qui reste aux prises avec des pressions inflationnistes très fortes (+21,9% en g.a. en mai). En Roumanie, le récent reflux s’explique principalement par une contribution plus faible des postes « alimentation » et « énergie ». Toutefois, la désinflation sera lente en raison de pressions salariales relativement élevées. D’ailleurs, l’inflation sous-jacente a légèrement réaccéléré à 8,7% en g.a. en mai.
La Banque centrale ne devrait pas s’orienter vers un assouplissement monétaire de si tôt. Elle va sans doute privilégier un statu quo monétaire cette année après avoir augmenté le taux directeur de 475 points de base en cumul à 7% jusqu’en janvier 2023.
Un recalibrage budgétaire nécessaire
Malgré l’amélioration du ratio de la dette rapportée au PIB en 2022, les comptes publics présentent quelques fragilités. Le déficit budgétaire s’est maintenu à des niveaux élevés à la suite des chocs successifs subis par l’économie depuis 2020. Il était de -6,2% du PIB en 2022 après -7,4 % en 2021 et -9,2% en 2020. À court terme, la charge de la dette va peser davantage sur le budget de l’État, même si elle reste relativement faible à 7,3% des recettes fiscales (contre 4,7% en 2021 et 6,3% en 2022). En 2023 et 2024, le déficit budgétaire devrait se réduire, mais rester au-dessus de l’objectif de 3% du PIB de l’UE.
Ainsi, d’importants efforts de consolidation seront nécessaires à court terme pour se conformer aux règles budgétaires établies par l’UE. À défaut, la Roumanie risque de se voir imposer de nouvelles mesures disciplinaires. Le 30 juin dernier, le pays a en effet reçu un avertissement de la Commission européenne concernant une éventuelle suspension des fonds européens si un redressement des comptes publics n’était pas rapidement mis en œuvre. Rappelons que les fonds européens constituent une source de financement importante pour le pays (environ EUR 10 mds par an, soit 3% du PIB). Par ailleurs, la Roumanie fait déjà l’objet d’une procédure de déficit excessif depuis 2020 en raison des dépenses permanentes (augmentations de pensions, salaires, etc.) jugées peu soutenables par l’UE.
Fin mai, des mesures ont été adoptées par le gouvernement pour réduire les dépenses publiques, mais elles restent marginales (0,3% du PIB). D’autres mesures plus radicales seront nécessaires pour contenir significativement le déficit budgétaire, qui a déjà atteint 2,7% du PIB sur les cinq premiers mois de l’année. La consolidation budgétaire sera cependant difficile à court terme en raison de la tenue de plusieurs élections (présidentielles, législatives et locales) en 2024, qui devraient s’accompagner d’une hausse des dépenses.
Un déficit courant en légère baisse
La Roumanie affiche un compte courant structurellement déficitaire depuis plusieurs années. La persistance des déficits découle d’une forte demande intérieure, elle-même induite par une succession de politiques budgétaires expansionnistes ces dernières années. En 2022, le déficit courant s’est encore creusé pour atteindre 9,3% du PIB. Le gonflement de la facture énergétique a représenté à lui seul 30% du déficit. La balance des revenus est restée dans le rouge. L’excédent de la balance des services n’a compensé que marginalement la dégradation du solde commercial.
Le financement du déficit courant n’a pas posé de problème majeur. En 2022, le déficit courant a été largement couvert par des flux non générateurs de dette, notamment des investissements directs étrangers (IDE) et des fonds européens. Ces deux sources de financement réunies ont représenté EUR 21 mds en 2022 et comblé 78,3% du déficit. La liquidité externe atteint des niveaux confortables grâce à l’accumulation de réserves de change qui couvrent plus de 5 mois d’importations. Par ailleurs, le ratio de la dette externe rapportée au PIB ne s’est pas dégradé, il a même légèrement baissé de 2,1 points à 48,4% en 2022.
À court terme, les comptes extérieurs devraient bénéficier de la baisse des prix de l’énergie, mais le déficit courant restera relativement élevé en raison d’une balance commerciale structurellement déficitaire, même hors énergie.
Une destination attractive pour les investissements étrangers
La persistance de déficits jumeaux en 2022 n’a pas aggravé la perception du risque à en juger par la légère appréciation du leu roumain vis-à-vis de l’euro sur la période. De plus, la perspective de rendements élevés sur les marchés obligataires a favorisé les entrées nettes de flux de capitaux. Les flux de portefeuille ont enregistré un vif rebond à EUR 9,7 mds au T1 2023 après EUR 0,3 md et EUR 1,4 md les trimestres précédents. Sur l’ensemble de 2022, ils se sont élevés à environ EUR 5 mds en dépit des incertitudes liées à la guerre en Ukraine. De plus, la Roumanie reste une destination attractive pour les IDE, qui se sont élevés à EUR 2,3 mds au T1 après EUR 9,6 mds en 2022 (soit 3,4% du PIB). À titre de comparaison, ce ratio était de 2% en moyenne sur la période 2010-2020.
Les IDE et les fonds européens ont permis au pays, depuis son entrée dans l’Union européenne en 2007, de rattraper son retard par rapport aux pays développés. L’écart entre le PIB par tête de la Roumanie et celui de l’UE s’est considérablement réduit (70% en 2022, contre 49% en 2007). La poursuite du rattrapage reste en bonne voie pour les années à venir. Comme ses voisins d’Europe centrale, la Roumanie pourrait bénéficier de la réorganisation de l’activité productive de la zone euro, après les importants chocs sur les chaînes d’approvisionnement provoqués par la crise de la Covid-19 et, plus récemment, par la guerre en Ukraine. Par ailleurs, les sanctions à l’encontre de la Russie et de la Biélorussie, qui ont entraîné la fermeture de plusieurs sites industriels, pourraient bénéficier à l’ensemble des pays d’Europe centrale. Selon les autorités roumaines, plusieurs projets sont à l’étude pour permettre la relocalisation de sites.
Parmi les nombreux atouts de la Roumanie, figurent, entre autres, sa proximité géographique avec la zone euro, des infrastructures développées et un tissu industriel diversifié. La relative stabilité du leu vis-à-vis de l’euro, observée au cours de ces dernières années, atténue le risque de change. Le mécanisme de change géré s’est traduit par une très faible déviation du taux de change effectif nominal par rapport à sa tendance de long terme. Les perspectives d’adhésion à l’euro, à un horizon de 5-10 ans (au mieux) lèvera totalement ce risque pour les industriels implantés dans la zone euro.
Cynthia Kalasopatan