L’Égypte est fortement exposée aux conséquences du réchauffement climatique. Le stress hydrique est déjà considéré comme critique. Les différents indicateurs de vulnérabilité et de résilience ont tendance à se détériorer, accroissant le risque climatique à terme. Les moyens financiers du gouvernement sont extrêmement contraints, étant donné la situation macroéconomique dégradée. La transformation du mix énergétique peut être partiellement financée par des capitaux privés. En revanche, le financement des politiques de réduction et d’adaptation au changement climatique, par définition moins rentables à court terme, reste problématique.
Exposition significative au risque climatique
L’analyse du risque lié au changement climatique se décline en trois catégories d’indicateurs : l’exposition aux risques provoqués par la hausse des températures (sécheresse, montée des eaux), la vulnérabilité de l’économie et des habitants face à ces aléas et enfin la capacité à y faire face. Nous utilisons les indicateurs et les données de la base INFORM[1] qui opère une distinction claire entre ces indicateurs et fournit des projections suivant les principaux scénarios climatiques.
Le bassin méditerranéen est classé par le GIEC comme un hot spot du changement climatique en raison de l’exposition très élevée aux conséquences de la hausse des températures. Celle-ci devrait être de 20% supérieure à la moyenne mondiale d’ici 2100. Dans ce contexte, l’Égypte est particulièrement vulnérable aux conséquences du réchauffement en raison de l’importance de l’activité agricole dans l’économie (1/4 de l’emploi et 20% des exportations), de la forte croissance démographique, d’une urbanisation de la population élevée et difficilement contrôlable, et de la concentration de la population dans le bassin du Nil et sur la zone côtière.
La question de l’eau est centrale, la population étant doublement exposée au risque de sécheresse et à celui de montée des eaux. Le stress hydrique est considéré comme critique par l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) étant donné le déséquilibre important entre la consommation et les ressources disponibles. Selon l’indicateur d’exposition au risque de sécheresse calculé par INFORM, l’Égypte atteint le score le plus élevé au niveau mondial quel que soit le scénario considéré[2]. Cet indicateur prend en compte à la fois l’intensité du risque, la proportion de population affectée et l’importance du secteur agricole dans l’économie. L’Égypte dépend du Nil pour environ 97% de son approvisionnement en eau et la hausse des températures aura des conséquences sur la disponibilité en eau du fleuve (précipitations, évapotranspiration). Par ailleurs, il faut signaler que la ressource en eau est soumise à un risque géopolitique non négligeable, puisque le Nil prend sa source au-delà des frontières égyptiennes.
L’exposition aux risques d’inondation (côtière et intérieure) est lui aussi très élevé, et classe le pays dans la catégorie la plus à risque. Les conséquences du réchauffement climatique ne sont pas linéaires et devraient se traduire par la multiplication d’évènements météorologiques extrêmes, notamment des inondations soudaines. Si l’Égypte ne fait pas partie des pays les plus concernés par ce risque (par rapport à certains pays d’Asie du Sud-Est par exemple), il peut toucher un grand nombre d’habitants étant donné la concentration géographique de la population. Quel que soit le scénario considéré, à un horizon 2050, les inondations intérieures pourraient affecter environ 5 millions de personnes, tandis que les inondations côtières en toucheraient environ un million.
Le niveau de vulnérabilité qui mesure la prédisposition d’une population exposée à un risque à en être affecté, dépend principalement de facteurs socioéconomiques et de la vulnérabilité de certains groupes de population (selon des critères sanitaires, alimentaires ou de statut). Il se situe à un niveau modéré. En effet, même si la dégradation de l’environnement économique depuis quelques années a eu des conséquences négatives sur les conditions de vie des ménages égyptiens, les principaux indicateurs de développement humain, d’inégalité et de situation sanitaire placent l’Égypte dans une position intermédiaire au niveau international.
L’indicateur de capacité à faire face aux conséquences du changement climatique traduit un certain niveau de résilience. Il est notamment composé de variables de gouvernance et de qualité des infrastructures et se situe à un niveau modéré. En effet, l’Égypte bénéficie d’infrastructures de transport, de télécommunication, et sanitaires de relativement bonne qualité. De leur côté, les indicateurs de gouvernance et de perception de la corruption sont plutôt moins bons que les moyennes internationales.
Au total, à un horizon 2050 et selon les deux scénario SSP2-4,5 et SSP5-8,5, l’indicateur synthétique d’exposition au risque climatique classe l’Égypte en risque modéré (5 sur une échelle de 10), le niveau moyen des indicateurs de vulnérabilité et de résilience permettant de compenser, au moins en partie, le niveau élevé de l’exposition au risque climatique étant donné le mode de calcul de cet indicateur (moyenne équipondérée).
Néanmoins, on peut opposer certaines objections à cette conclusion pour en relativiser le relatif optimisme. En effet, quels que soient le scénario et l’horizon temporel envisagés, les perspectives s’annoncent difficiles. Étant donné l’intensification du changement climatique, des progrès importants de réduction des facteurs de vulnérabilité et d’accroissement des capacités de résilience sont nécessaires pour seulement maintenir le risque à son niveau actuel. Deux éléments notamment rendent cet objectif de stabilité du risque difficile à atteindre.
D’une part, la valeur extrême prise par l’exposition au risque de sécheresse se traduit, à notre avis, par une sur-vulnérabilité au-delà des prévisions du modèle, notamment si l’on considère le caractère très général des variables prises en compte dans les indicateurs de vulnérabilité et de résilience. D’autre part, la dynamique négative prise par certaines variables des indicateurs de vulnérabilité et de résilience. Ainsi, par exemple l’amélioration tendancielle des indicateurs de développement humain (IDH) et d’efficacité de la gouvernance (calculé par la banque mondiale) s’est inversée depuis 2019, conséquence des bouleversements économiques et politiques qu’a connu le pays au cours de la décennie 2010.
Transition énergétique
À l’échelle globale, l’Égypte contribue peu aux émissions de gaz à effet de serre (GES) (environ 0,6% des émissions mondiales), mais ces émissions sont en augmentation sous l’effet de la croissance économique. Le mix énergétique primaire est fortement carboné. Selon l’Agence Internationale de l’Énergie, en 2019 environ 55% de l’offre énergétique provenait du gaz naturel, 38% du pétrole et moins de 3% du charbon. La part des énergies renouvelables est donc pour le moment marginale (environ 5%). À moyen terme, le mix énergétique ne devrait pas changer significativement. En effet, la capacité de production est pour le moment très supérieure au pic d’utilisation (selon le ministère de l’Électricité cet écart était de 25 GW en 2021 sur un total de capacités installées de 59 GW) et repose notamment sur des centrales thermiques récentes et performantes d’un point de vue énergétique.
Néanmoins, la croissance attendue de la consommation d’énergie et la nécessité de réduire les émissions de GES impliquent un rôle croissant des énergies renouvelables dans le mix énergétique. L’objectif annoncé par le document des contributions déterminées au niveau national (CDN) est d’atteindre 42% d’électricité produite grâce à des énergies nouvelles et renouvelables (incluant notamment le nucléaire et l’hydrogène vert sous différentes formes) d’ici à 2035, contre environ 9% en 2021. Mais, selon les projections issues du scénario central de la banque mondiale[3], la part des renouvelables dans le mix énergétique n’atteindrait qu’environ 27% d’ici 2050. À court terme, les capacités de production d’énergie renouvelables (principalement solaire) devraient augmenter de 50% pour atteindre 4,9 GW d’ici 2025. Une partie de cet accroissement provient des engagements pris dans le cadre du programme NFWE[4] lancé lors de la COP27 par le gouvernement, et qui prévoient le déclassement de capacités de production thermiques (5 GW) et le financement de nouvelles capacités de production d’énergie renouvelable.
Un besoin de financement élevé, dans un contexte macroéconomique fragilisé
Il est pour le moment difficile d’avoir une estimation exhaustive du besoin de financement lié à la lutte contre les conséquences du changement climatique. On peut cependant en donner quelques estimations sectorielles (qui peuvent se recouper).
Selon les CDN, l’ensemble des mesures d’atténuation et d’adaptation au changement climatique représente un coût de USD 246 mds d’ici 2030, soit environ 52% du PIB de 2022. Le coût de la mise en œuvre d’une politique d’atténuation et de réduction des GES en milieu urbain (43% de la population totale) est estimée par la banque mondiale à USD 105 mds (22% du PIB 2022) d’ici 2030.
Par ailleurs, les investissements nécessaires au changement du mix énergétique sont estimés à USD 113 mds (24% du PIB 2022) d’ici 2050 selon le scénario central de la banque mondiale (approximativement la mise en place des CDN). Les montants sont très élevés et posent de nombreuses interrogations sur leur possibilité de financement. La situation des finances publiques et des comptes extérieurs est très dégradée et, dans les deux cas, il n’y a aucune marge de manœuvre financière.
En effet, malgré une politique volontariste de baisse des subventions énergétiques et d’accroissement de la base fiscale, les déficits budgétaires sont récurrents et élevés (7,5% du PIB en moyenne entre entre 2018 et 2022). La hausse récente des taux d’intérêt dans un contexte de pressions inflationnistes élevées va encore accroître la charge d’intérêt de la dette du gouvernement qui est actuellement équivalente à environ 50% des revenus totaux. Une telle situation réduit donc fortement la possibilité d’investir dans l’amélioration des capacités de résilience face au changement climatique. Le montant des émissions gouvernementales d’obligations vertes est pour le moment très limité (USD 1,5 md émis en 2020) et le développement des énergies renouvelables repose sur des financements privés et publics provenant de bailleurs multilatéraux.
Pascal Devaux