L’économie ivoirienne semble avoir bien résisté aux différents chocs externes depuis 2020. La croissance est restée robuste et l’inflation relativement maîtrisée. Cependant, les mesures mises en place par les autorités pour protéger la population et la poursuite des grands chantiers d’infrastructures publiques ont fortement creusé le déficit budgétaire alors que les conditions de financement se dégradaient. Afin de réduire les pressions sur les finances publiques et les comptes extérieurs, les autorités ont fait appel au FMI. Elles se sont engagées dans un programme de consolidation budgétaire qui pourrait s’avérer délicat à mener à bien.
La Côte d’Ivoire fait mieux que résister. En 2020, elle fut l’une des rares économies africaines à éviter la récession. Depuis 2021, elle continue de surpasser nettement ses pairs régionaux. Après un puissant rebond de l’activité économique à 7,4% en 2021, la croissance du PIB s’est maintenue à un taux élevé de 6,7% en 2022, contre moins de 4% pour l’ensemble du sous-continent. Cependant, contrairement à la période pré-covid, cette dynamique s’est accompagnée d’une aggravation significative des déséquilibres publics et extérieurs, ce qui pourrait à l’avenir fragiliser l’activité économique. D’autant que la Côte d’Ivoire doit aussi faire face à la dégradation des conditions de financement extérieur et domestique. La situation ne soulève pas d’inquiétude majeure pour l’instant.
L’endettement public et externe restent relativement modérés, et le FMI vient d’accorder une enveloppe de USD 3,5 mds sur quarante mois pour appuyer la mise en place de réformes structurelles par le gouvernement. Cependant, l’ampleur du nouveau programme FMI interpelle. Il est plus de cinq fois supérieur au précédent, achevé fin 2020, ce qui souligne la fragilité de la situation actuelle.
Comptes extérieurs : un point de bascule
La dégradation des comptes extérieurs est l’une des conséquences les plus visibles du choc lié à la guerre en Ukraine. Traditionnellement excédentaire, la balance commerciale ivoirienne a basculé dans le rouge en 2022, malgré la bonne tenue des exportations (+20%). Compte tenu des besoins structurellement élevés en importations de services, le déficit courant a atteint 6,5% du PIB en 2022 contre 4% en 2021 et seulement 2,3% en 2019. Pour la première fois depuis le début des années 2000, l’économie ivoirienne a enregistré un déficit courant supérieur à la moyenne des pays importateurs de pétrole en Afrique Sub-Saharienne (graphique 1).
Or, le rééquilibrage des comptes extérieurs pourrait être lent. L’envolée des importations de produits alimentaires et d’énergie n’explique en effet qu’une partie de la hausse de 44% des importations en 2022. Les achats de biens d’équipements (18 à 20% des importations totales) ont aussi continué de croître fortement (+40% en 2022). Or, la dynamique ne devrait pas s’inverser tant que les investissements publics massifs en infrastructures se poursuivent et que le développement du champs d’hydrocarbures Baleine n’est pas achevé (2027).
Avec un déficit courant moyen de 5% du PIB en 2023-24, la Côte d’Ivoire restera donc vulnérable aux aléas de la conjoncture internationale. En outre, il n’est pas certain que le pays puisse de nouveau emprunter sur les marchés financiers internationaux. En 2022, les autorités avaient décidé d’abandonner leur projet d’émissions euro-obligataires en raison de conditions de financement dégradées. Or, le contexte actuel n’est guère plus propice. Des alternatives existent (green bonds) mais la Côte d’Ivoire comptera surtout sur le soutien massif des créanciers bi-et multilatéraux. En 2023, plus de la moitié du déficit courant est censé être couvert par des flux nets de financement officiel, auxquels s’ajouteront les entrées d’investissements directs étrangers (1,5 à 2% du PIB). Cela devrait permettre d’alléger la pression sur les réserves de change, qui ont fondu de 17% en
2022.
La Côte d’Ivoire étant le premier contributeur aux avoirs extérieurs de la banque centrale régionale, la BCEAO, l’érosion rapide de sa liquidité extérieure fragilise la solidité du peg. Le taux de couverture des réserves de change régionales est ainsi passé de 5,6 mois d’importations fin 2021 à 4,5 mois fin 2022, ce qui correspond à la tranche basse du seuil de confort pour cette zone monétaire selon le FMI. Toutefois, grâce au fort soutien des bailleurs de fonds à la plupart des pays membres et à la dissipation progressive du choc sur les termes de l’échange, une stabilisation de ce ratio est attendue dans les 2 ou 3 prochaines années.
Finances publiques : une consolidation délicate à venir
L’appui des créanciers officiels sera également déterminant pour les finances publiques, mais il nécessitera un effort de consolidation qui pourrait s’avérer délicat à mettre en place.
De fait, le déficit budgétaire a atteint 6,8% du PIB en 2022, soit 2 points de plus qu’en 2021 et plus du triple de son niveau de 2019 (graphique 2). En comparaison de ses pairs africains, la Côte d’Ivoire affiche ainsi une des dégradations des finances publiques les plus marquées depuis le choc de la pandémie. La hausse de l’endettement y est aussi parmi les plus prononcées : de 38% du PIB en 2019, la dette du gouvernement est passée à 56,7% du PIB en 2022. Cela a entraîné une envolée des charges d’intérêt qui absorbent désormais 15% des recettes contre moins de 11% en 2019.
Cependant, la dette demeure nettement en dessous de la norme communautaire de 70%. De plus, son profil est favorable. Plus de 90% de la dette est à taux fixe et la maturité moyenne reste longue (7,5 ans). Malgré la part élevée de la dette externe (61%), le risque de change est également contenu puisque seulement 15% de la dette est libellée dans une monnaie autre que le franc CFA ou l’euro. Par ailleurs, le prochain pic d’amortissement euro-obligataire n’est pas attendu avant 2028.
La soutenabilité de la dette n’est donc pas menacée mais sa hausse doit être enrayée. Point positif : la stratégie de financement privilégie désormais les ressources concessionnelles ou semi-concessionnelles. En effet, malgré l’appétit des investisseurs locaux et régionaux pour la dette ivoirienne, les conditions se sont dégradées en raison notamment du durcissement de la politique monétaire de la BCEAO (quatre hausses du taux directeur depuis juin 2022 pour un total cumulé de 100 pb à 3%).
Continuer de recourir massivement au financement sur le marché domestique et régional, comme en 2022, risquerait donc d’alourdir encore davantage le poids des intérêts sur la dette. En outre, le gouvernement s’est engagé à ramener progressivement le déficit budgétaire à 3% du PIB d’ici 2025, ce qui permettrait de contenir la dette en dessous de 60% du PIB.
La crédibilité du gouvernement en matière de politique budgétaire est plutôt solide. Sur la période 2012-2019, les autorités ont réussi à contenir le déficit budgétaire à 2,4% du PIB tout en multipliant par plus de deux le montant des investissements publics grâce à une bonne maîtrise des charges courantes. En particulier, la masse salariale de la fonction publique a été ramenée de 42% des ressources fiscales en 2012 à 35% en 2022.
Néanmoins, l’ajustement à venir pourrait être plus complexe. Si la suppression progressive des mesures mises en place pour faire face au choc inflationniste (essentiellement des subventions énergétiques) pourrait permettre d’économiser environ 1% de PIB, la plus grosse partie du programme d’assainissement des finances publiques repose sur la hausse des recettes budgétaires à horizon 2025 à hauteur de 2,2% du PIB, dont 1,1% dès 2023. Le défi sera de taille. En effet, la base fiscale de l’économie ivoirienne est l’une des plus étroites de la région (inférieure à 13% du PIB) et son niveau n’a augmenté que légèrement depuis 2012 (+1,2% du PIB). De plus, 40% des recettes proviennent des impôts sur le commerce extérieur. Elles sont donc aussi vulnérables aux fluctuations des cours des matières premières.
Croissance : des perspectives solides mais sous contraintes
La capacité de l’économie ivoirienne à maintenir durablement une trajectoire de croissance aussi forte interpellait déjà avant la succession de chocs intervenus depuis 2020. La question se pose avec plus d’acuité aujourd’hui.
De fait, le soutien de la puissance publique a été un élément-clé des très bons chiffres de croissance ces dernières années, et plus particulièrement en 2022. La Côte d’Ivoire a été relativement protégée du choc sur les cours mondiaux des matières premières grâce aux mesures mises en place par les autorités.
L’inflation a ainsi atteint 5,2% l’an dernier contre 7,4% en moyenne au sein de l’UEMOA et 13,1% pour les pays africains importateurs de pétrole. La consommation domestique est donc restée robuste, en hausse de 4,5%, en ligne avec la dynamique de 2020 et 2021. Surtout, l’investissement a affiché une progression de presque 20%, dont plus de la moitié a résulté de la poursuite de grands chantiers publics en infrastructures. À 9,7% en 2022, le taux d’investissement public n’a jamais été aussi élevé. Après trois années de croissance à plus de 20% en moyenne, sa contribution à la formation brute de capital fixe atteint également des sommets : 37% en 2022 contre 33% en 2020 et 24% en 2015-2019.
Un rééquilibrage des moteurs de la croissance de l’investissement est attendu dès cette année. Selon les dernières projections du gouvernement, l’investissement devrait rester robuste (+11,8% en moyenne en 2023-2025) mais avec une contribution de 70% du secteur privé. Néanmoins, cette hypothèse pourrait s’avérer optimiste malgré les nombreux atouts de l’économie ivoirienne (secteurs minier, pétrolier et transformation de produits primaires). Le gouvernement table, en effet, sur une croissance moyenne de 13% de l’investissement privé, soit plus du double de ce qui a prévalu sur la période 2015-19. En outre, la nécessité de consolider les finances publiques questionne aussi la capacité des autorités à maintenir un effort d’investissement public élevé (il est censé continuer de croître pour atteindre 9,9% du PIB en 2025).
Dans ce contexte, le gouvernement anticipe une ré-accélération de l’activité économique à 7,2% cette année, alors que nous tablons plutôt sur une décélération de la croissance à 6,2%, en ligne avec les prévisions du FMI. Il existe un risque de contre-performance des recettes fiscales, qui devrait induire de difficiles arbitrages budgétaires pour les autorités ivoiriennes.
Stéphane Alby