Eco Emerging

Des contradictions assumées

24/01/2019
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Entre interventionnisme et libéralisme économique

Depuis la crise de la zone euro, l’affaiblissement des institutions européennes a fait le lit des populismes nationaux, notamment en Hongrie. Au pouvoir depuis 2010 et confirmé dans ses fonctions après la nette victoire du Fidesz aux élections législatives d’avril 2018, le premier ministre Victor Orban peut se prévaloir d’une situation macroéconomique favorable. Il entend mener la fronde eurosceptique, souverainiste et anti-immigration lors des élections européennes de mai prochain et peser sur les grandes orientations de l’Union pour les prochaines années, à un moment où le couple franco-allemand, moteur traditionnel de l'UE, est fragilisé.

Prévisions

Sur le plan économique, le « modèle Orban » est plus pragmatique que dogmatique, équilibre fragile entre interventionnisme et mesures libérales. Il n’est pas dénué de certaines contradictions. En dépit d’un fort rejet des institutions européennes, la Hongrie est très friande des fonds structurels. Ceux-ci sont amenés à baisser à partir de 2021 pour les pays d’Europe centrale et orientale, indépendamment de l’instauration (discutée à Bruxelles) ou non d’un critère de respect des règles de l’état de droit pour l’attribution et la fixation des montants alloués aux pays. Le patriotisme économique prévaut dans des secteurs stratégiques (énergie, télécommunications, finance), mais les autorités promeuvent l’ouverture aux investisseurs étrangers dans les secteurs industriels intensifs en main d’œuvre. Petite économie ouverte dont les exportations de biens et services représentent 87% du PIB, l’économie hongroise est très intégrée dans les chaînes de valeurs européennes et mondiales. Tous les constructeurs automobiles allemands opèrent en Hongrie, pour qui le secteur représente un quart des exportations, avec le coût de la main d’œuvre (EUR 8/h) le bas de l’UE derrière la Roumanie. Dans cette quête d’attractivité et de compétitivité, l’impôt sur les sociétés a été ramené de 19% à 9% en 2017, soit le taux le plus bas au sein de l’UE, et les cotisations sociales employeurs ont été abaissées de 2,5 points de pourcentage en 2018. En décembre, la loi rehaussant le plafond des heures supplémentaires (de 250h à 400h par an avec possibilité d’en différer le paiement jusqu’à trois ans) a suscité des mouvements sociaux à surveiller.

Haut de cycle

Croissance économique et inflation

La croissance économique a continué d’accélérer en 2018 grâce à un cocktail de politiques économiques expansionnistes, de fonds structurels européens et de reprise du crédit domestique depuis fin 2016. Les banques ont assaini leur bilan pour afficher désormais des niveaux de capitalisation, de liquidité et de profitabilité satisfaisants, leur permettant une politique de crédit plus agressive soutenue par la banque centrale (taux d’intérêt bas, programme de financement des PME). Si à peine 30% de l’enveloppe de financements européens (EUR 21,9 mds sur 2014-2020) a été déboursé jusqu’à présent, le gouvernement a préfinancé (selon le principe de cofinancement) un certain nombre de projets éligibles.

En 2018, le PIB réel a crû de 4,8% sur les neuf premiers mois par rapport à l’année précédente (glissement annuel, g.a.). Il affiche dix trimestres consécutifs de progression. La consommation des ménages en est le principal moteur (+5,5% g.a. sur les trois premiers trimestres 2018) et les ventes au détail ont augmenté de 6,3% sur les onze premiers mois de l’année. La consommation des ménages a continué d’être soutenue par une forte hausse de 10% des salaires nominaux sur un an, exacerbée par les tensions sur le marché du travail dans une économie au quasi plein-emploi avec un taux de chômage de 3,8%.

L’investissement a bondi de 17,4% g.a. sur les trois premiers trimestres 2018, tiré par le secteur de la construction dont la valeur ajoutée a affiché une hausse de 23,8% g.a. sur trois trimestres. L’investissement résidentiel a continué de profiter de l’incitation fiscale instaurée sur l’immobilier neuf expirant en janvier 2020. Dans le même temps, l’investissement dans le secteur industriel (machines et équipements) a continué de bénéficier de conditions d’accès au financement favorables et d’investissements directs étrangers (EUR 4,5 mds sur un an au T3 2018 contre EUR 2 mds en moyenne par an depuis 2010, soit à peine 2% du PIB).

Finances des administrations publiques (% PIB)

La production manufacturière a légèrement marqué le pas au T3 (+2,5% g.a.), en lien notamment avec le ralentissement du secteur automobile (forte baisse des immatriculations en Allemagne) associé aux nouvelles normes anti-pollution européennes. Toutefois, les indicateurs mensuels montrent un rebond en octobre pour l’automobile et l’électronique. Conséquence d’une demande intérieure très soutenue, la contribution nette du commerce extérieur à la croissance du PIB est négative depuis deux ans, la croissance des importations (+6,8% g.a. en volume sur les trois premiers trimestres 2018) dépassant celle des exportations (+5,4%).

Un ralentissement de l’activité est attendu en 2019-2020. La progression de la consommation et de l’investissement devrait se modérer. Des goulets d’étranglements ont fait bondir les coûts de construction, et l’accélération des prix à la consommation (2,7% g.a. en décembre contre 2,1% un an plus tôt) pèsera sur le pouvoir d’achat des ménages. Malgré l’extension des capacités de production, le contexte mondial moins porteur pourrait contraindre les exportations industrielles (secteur automobile notamment).

Dégradation non alarmante des fondamentaux macro

Les prévisions de ralentissement économique au sein de l’Union européenne, les risques associés aux tensions commerciales et au Brexit, ainsi que la « normalisation » des politiques monétaires aux Etats-Unis et en zone euro devraient peser sur les comptes extérieurs de la Hongrie. En dépit de la révision à la baisse des prix du pétrole, les excédents commerciaux et courants substantiels affichés en 2015-2017 devraient se réduire en 2019-2020. Parallèlement, les flux entrants d’IDE pourraient ralentir compte tenu de la détérioration du climat des affaires.

Cette perspective ne mettrait pas en péril la position extérieure du pays à court et moyen terme. Quoique toujours substantiel, la dette externe du pays a fortement baissé depuis 2010 (de 145% du PIB à moins de 80% en 2018), du fait du deleveraging opéré par l’Etat et le secteur privé (même si les engagements en devises des banques ont augmenté en 2018). La position extérieure nette du pays (actifs à l’étranger moins engagements vis-à-vis de l’étranger) s’est améliorée (-47% du PIB mi-2018 contre -105% en 2010). Le désendettement public en devises a fait fondre les réserves de changes au cours des dernières années. Mais les entrées de devises fin 2018, liées à l’émission d’Eurobonds et aux transferts européens, ont permis d’inverser la tendance. Bien qu’atteignant le seuil de trois mois d’importations, les réserves de change ne constituent pas une source d’inquiétude pour un pays non-exportateur de matières premières affichant un excédent courant.

Relativement stable depuis trois ans, le forint (HUF) pourrait connaître un regain de volatilité du fait de l’augmentation du risque politique (élections européennes en mai), ainsi que de la fin de l’assouplissement quantitatif en zone euro et du durcissement monétaire aux Etats-Unis. Au cours d’une année 2018 très agitée pour les devises émergentes, le forint ne s’est déprécié que de 4% contre l’euro (-10% face au dollar US), reflet du maintien de la confiance des investisseurs à l’égard de la Hongrie et des autres économies d’Europe centrale. La MNB a annoncé son intention de maintenir son taux directeur à 0,90% (niveau historiquement bas en vigueur depuis mai 2016) jusqu’en 2020, malgré l’accélération prévue de l’inflation sous-jacente (hors énergie, alimentation et prix régulés) au-dessus de la cible centrale de 3%, à 3,5% en moyenne en 2019 et 3,3% en 2020. Toutefois, la MNB pourrait être contrainte d’opérer une hausse de taux d’intérêt courant 2019.

Côté finances publiques, les estimations des autorités hongroises et des organisations internationales (Commission européenne, FMI, OCDE) convergent vers un déficit du gouvernement général de 2,3%-2,4% du PIB en 2018. Ce nouveau creusement du déficit est imputable en partie à la perte de certains revenus exceptionnels et aux mesures fiscales, alors que la bonne performance des recettes a largement été dilapidée en dépenses supplémentaires (salaires et investissements). Le caractère pro-cyclique de la politique budgétaire est illustré par un déficit structurel élevé (3,8% du PIB en 2018 selon la Commission européenne). Le déficit apparent est attendu en légère réduction autour de 2% du PIB en 2019-2020, sous l’hypothèse de nouvelles mesures d’incitation fiscale, mais aussi de hausse des salaires et des transferts sociaux moindre que la croissance du PIB nominal, et de décaissement de fonds structurels pour des projets en partie préfinancés par le gouvernement. La dette publique devrait malgré tout passer sous la barre des 70% du PIB en 2020.

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