Apaisement des tensions financières …
Depuis la fin septembre 2018, les tensions financières se sont apaisées en Argentine. Le peso, qui s’était déprécié de près de 50% contre le dollar sur les neufs premiers mois de l’année, s’est stabilisé, oscillant entre 36 et 38 pesos pour 1 dollar US. Le nouveau taux d’intérêt de référence de la banque centrale (BCRA), le taux des lettres de liquidité (Leliq) à 7 jours[1], s’est détendu de 73,5% à 61%. Pour autant, les investisseurs restent méfiants. Ainsi, la prime de risque des CDS à 5 ans ressortait à 750 points de base (pb) à la mi-janvier, en hausse de 150 pb depuis octobre.
Ce début de stabilisation financière a été obtenu grâce à l’annonce le 26 octobre 2018 de la révision du programme stand-by avec le FMI avec une enveloppe étendue de USD 50 à 56 mds en octobre et la conclusion, le 19 décembre, de la deuxième revue de l’accord de stand-by et le déboursement consécutif de USD 7,6 mds qui a largement contribué au renforcement des réserves de change de la BCRA (USD 66 mds fin décembre contre 51 fin novembre). La stabilisation financière doit également beaucoup à une politique monétaire très restrictive au prix d’une récession sévère.
… grâce à une politique monétaire très stricte …
Confrontée à une dynamique auto-entretenue entre la dépréciation du change et l’inflation, les autorités monétaires mènent depuis septembre une politique monétaire quantitative très stricte. La cible d’inflation a été provisoirement abandonnée et remplacée par un objectif de stabilité nominale de la base monétaire jusqu’en juin 2019 (hors augmentations saisonnières en décembre et juin) puis de progression limitée à 1% par mois au S2 2019. Parallèlement, la BCRA n’est pas autorisée à intervenir pour soutenir (ou affaiblir) le peso dès lors que celui-ci reste dans une bande de fluctuation assez large (20%). En revanche, les limites inférieure et supérieure suivent une progression de 2% par mois, rythme nettement inférieur à celui de l’inflation observée (4,3% en moyenne au cours des 6 derniers mois) et même à celui anticipé (2,5% en moyenne au T1 2019 d’après l’enquête de décembre de la BCRA auprès des opérateurs de marché). Si le peso sort de ses limites, la BCRA peut intervenir mais sans pouvoir stériliser ses interventions.
Ce cadre n’est pas sans rappeler celui de la caisse d’émission (currency board) dans une variante même plus restrictive en ce qui concerne la règle monétaire[2]. La stratégie est d’ancrer les anticipations de (dés)inflation grâce une appréciation réelle du taux de change, appréciation justifiée ex post par l’amélioration du ratio entre la base monétaire et les réserves de change.
Même s’il est trop tôt pour évaluer l’efficacité de cette politique monétaire et de change, le rythme d’inflation a nettement ralenti depuis le pic atteint en septembre, de 6,5% (par mois) à 3,2% en novembre pour l’indice d’ensemble, et de 7,6% à 3,3% pour l’inflation sous-jacente. Ceci a permis à la BCRA d’abaisser le plancher de 60% qu’elle s’était fixée pour son taux d’intervention tant que le taux d’inflation anticipé sur 12 mois n’enregistrait pas, dans les enquêtes, deux mois de baisse consécutive (ce qui fut le cas en novembre). La stabilité du peso et la tendance baissière des cours des métaux puis de ceux du pétrole ont même conduit à un repli des prix à la production de 0,6% sur un mois en novembre contre +16,2% en septembre. Les anticipations d’inflation montrent plus de rigidité mais elles s’infléchissent également.
La stratégie monétaire et de change n’est toutefois pas sans risque pour la croissance. Premièrement, l’impossibilité de stériliser les entrées et sorties de capitaux en dehors du corridor peut engendrer une forte volatilité des taux d’intérêt. Même si la politique monétaire est jugée crédible et permet une détente des taux réels, la volatilité potentielle des taux monétaires aux bornes du corridor peut gêner la décision d’investissement, laquelle nécessite une prédictibilité des taux d’intérêts. Deuxièmement, l’existence d’une bande de fluctuation (même large) introduit une contrainte à l’ajustement du taux de change réel qui peut nuire à la compétitivité. Dans les deux cas, le potentiel de croissance peut être bridé.
Ces risques sur la croissance semblent relativement secondaires. Les entreprises sont habituées à la volatilité financière et, au-delà du cycle de la demande, les contraintes à l’investissement sont plus à rechercher dans l’instabilité des politiques macroéconomiques et de l’environnement des affaires que celui des taux d’intérêt. En revanche, la solvabilité des agents économiques fortement endettés en devises (l’Etat au premier chef) nécessite une stabilité du taux de change réel. L’effet de revalorisation des dettes libellées en devises sur la dynamique des ratios d’endettement est mécanique et massif alors que celui du taux de change réel sur le compte courant est faible[3]. Plus généralement, la priorité pour soutenir la croissance est d’infléchir durablement l’inflation afin de redonner des marges de manœuvre à la banque centrale.
… mais au prix d’une récession sévère
L’économie a plongé en récession au T2 2018 et tout porte à croire qu’elle n’en était pas sortie au T4 et que cette phase récessive se prolongera au moins sur la première partie de 2019.
La baisse cumulée du PIB réel sur les T2 et T3 2018 est estimée à près de 5% (-3,9% comparée à la même période de 2017). Le secteur agricole (8% du PIB en volume en 2017) a contribué très largement à la baisse d’ensemble (-2,8% sur un an) en raison d’un chiffre exécrable au T2, l’activité s’étant à peu près stabilisée au T3. En revanche, l’activité des autres secteurs de l’économie (construction, industrie, services) a continué de se contracter bien qu’à un rythme moindre qu’au T2.
Le seul point positif est que la contribution des échanges extérieurs est devenue positive au T3 sous l’effet de la contraction des importations mais également grâce au rebond des exportations. Toutefois, les chiffres de la production industrielle et les enquêtes laissent anticiper une nouvelle baisse du PIB au T4. La consommation des ménages n’est pas prête de se redresser compte tenu de la contraction des salaires réels (-11,3% sur un an au T3 2018 contre +4% au T4 2017) et la baisse de l’emploi (-1,5% en g.a. sur la période sept-nov 2018 contre 2% fin 2017). De plus, le rebond des exportations n’empêchera pas une baisse de l’investissement. Enfin, la politique budgétaire va rester très restrictive avec un objectif de solde primaire (solde total hors charge nette d’intérêts) à l’équilibre dès 2019.
Pour l’heure, les effets de la récession sur les performances budgétaires ne sont pas perceptibles. Au contraire, la maîtrise des dépenses a permis au solde primaire de se réduire de 3,8% du PIB en 2017 à 2,4% en 2018 selon les premières estimations du ministère des Finances. Les dépenses primaires ont été ramenées de 23,2% à 21,2% du PIB. La charge nette d’intérêts a en revanche progressé de 2,2% à 2,4% du PIB. L’alourdissement de cette dernière est encore très ténu mais son poids relatif va s’alourdir non seulement à cause de la revalorisation des intérêts sur la dette en devises mais aussi des taux d’intérêts réels domestiques plus élevés qu’avant le choc financier de 2018.
L’équilibre de la balance des paiements reste fragile également. Le déficit courant pourrait être divisé par deux, passant de USD 31,3 mds en 2017 à 15 mds en 2019. Mais l’attentisme des investisseurs à l’approche des élections d’octobre devrait réduire l’excédent du compte financier. Les investissements directs et les investissements de portefeuille des non-résidents (respectivement USD 8,8 mds et 13,3 mds sur T1-T3 2018) vont se tarir. L’équilibre de la balance des paiements dépendra des sorties de capitaux des résidents qui ont été massives au cours des deux dernières années (USD 20 mds en 2017 et 26 mds sur jan.-nov. 2018). Ces sorties pourraient ralentir si le taux de change se stabilise. Rien n’est moins sûr dans le contexte électoral à venir. Pour l’instant, grâce à l’allongement des maturités obtenu lors de l’apurement des arriérés en 2016, le service de la dette obligataire internationale de l’Etat argentin (USD 190 mds) est largement supportable (8,1 mds en 2019). En revanche, celui de l’ensemble de la dette extérieure et de la dette domestique libellée en dollars de l’Etat est massif (USD 37,5 mds), ce qui explique la taille de l’enveloppe accordée par le FMI.