Hélène Baudchon :
Dans le deuxième épisode de ce Podcast consacré aux marchés de l’électricité, nous revenons sur les déterminants et les conséquences de la fixation des prix de l’électricité. Au micro, Hélène Baudchon. Je suis toujours avec Félix Berte. Félix, bonjour…
Félix Berte :
Bonjour Hélène
Hélène Baudchon :
En suivant la distinction amont/aval qui correspond, respectivement, au marché de la production d’électricité et au marché de la fourniture que vous nous avez présenté dans le premier épisode, commençons par l’amont. Qui sont les vendeurs et les acheteurs ?
Félix Berte :
Schématiquement, les vendeurs sont les producteurs et les acheteurs sont les fournisseurs d’électricité, mais en réalité il existe de nombreux intermédiaires et autres acteurs possibles. Il est également important de souligner que toutes les transactions ne s’opèrent par nécessairement sur un marché réglementé, même si le prix de ce dernier, appelé prix spot, influence les autres prix. Pour vous donner un exemple, en France, 20% de l’électricité est vendue sur le marché spot alors que 10 à 15% est vendue sous la forme de transactions bilatérales. Le reste, soit entre 60 et 70%, fait l’objet de cession internes, ce qui correspond à des transferts au sein d’un acteur qui est à la fois producteur et fournisseur.
Hélène Baudchon :
Les transactions sur le marché sont donc, en fait, loin de représenter la majorité des transactions. Quelle est la différence entre le marché spot et ce que vous avez appelé les transactions bilatérales ; est-ce que c’est une question d’horizon de la livraison d’électricité ?
Félix Berte :
Exactement, c’est ce qu’on appelle la séquentialité temporelle des marchés de l’électricité ! Si vous êtes un acheteur vous avez trois horizons d’achat possible :
- Entre deux jours avant la livraison (et jusqu’à 3 ans), les marchés à terme permettent d’assurer la livraison d’une quantité d’électricité. C’est un marché qui permet de garantir un prix de vente ou d’achat à une date donnée.
- La veille du jour de livraison, c’est le fameux marché day ahead, connu sous le nom de marché spot. Principal marché de l’électricité, il permet de fixer - on parle de fixing - le prix de l’électricité pour chaque heure du jour à venir. A l’inverse des marchés à terme, le marché day ahead permet de garantir un volume d’achat (ou de vente).
- Le jour de la livraison, il est toujours possible d’ajuster à la marge la vente et l’achat de l’électricité jusqu’à 45 minutes avant le temps réel sur le marché infrajournalier, intraday en anglais. Toutefois, 45 minutes avant le temps réel, c’est l’opérateur qui reprend le contrôle pour garantir la sécurité du réseau.
Hélène Baudchon :
Le réseau électrique fonctionne selon différentes temporalités, je suppose que les modalités de fixation du prix dépendent du type de marché, comment cela se passe-t-il ?
Félix Berte :
En effet, la fixation du prix sur le marché à terme et sur le marché day ahead est très différente. Outre les transactions de gré-à-gré, il existe un marché à terme qui fonctionne en cotation en continue, la fixation se fait selon l’offre proposée, c’est le pay as bid.
Sur le marché day-ahead, le prix de l’électricité est fixé selon la logique de la « préséance économique » (merit order), c’est-à-dire que les unités de production électrique sont appelées par coût marginal croissant lors du clearing.
Hélène Baudchon :
Dans ce dernier cas, comment s’assurer que la quantité d’électricité sera suffisante, ni trop faible ni trop importante, pour satisfaire la demande ?
Félix Berte :
Concrètement, les acteurs du marché déposent des offres d’achat et de vente pour chaque heure du lendemain en fonction de leur besoin et de leur capacité. La veille du jour de livraison à 12h00, l’opérateur de marché procède au fixing, c’est-à-dire qu’il détermine les besoins de production d’électricité pour chaque heure en fonction de la demande sur le marché. Entre 12h et 13h, il procède au clearing, c’est-à-dire le classement des unités de production en fonction de leur coût marginal jusqu’à ce que la demande soit satisfaite. Les producteurs appelés sont rémunérés à la hauteur du coût marginal de la dernière unité appelée.
Hélène Baudchon :
Et ce coût marginal de la dernière unité correspond au coût de fonctionnement de l’unité de production ?
Félix Berte :
Exactement, le coût marginal correspond au coût variable ou de fonctionnement d’une unité de production. Il ne comprend pas les coûts fixes comme la construction ou le démantèlement. La différence entre le coût de fonctionnement et le prix de vente sur le marché spot permet aux producteurs d’amortir leurs coûts fixes et, le cas échéant, de se rémunérer.
Hélène Baudchon :
Très bien mais si la dernière unité appelée est rémunérée à son coût marginal alors elle ne peut pas amortir ses coûts fixes ?
Félix Berte :
En effet, c’est tout l’enjeu du marché de l’électricité. Comment amortir les coûts fixes des unités de production ? Un peu de théorie permet de mieux comprendre.
Dans le premier cas, on imagine une technologie dont les coûts fixes sont élevés et les coûts variables sont faibles, c’est le cas des énergies renouvelables et du nucléaire. Ici, l’unité de production dispose d’une probabilité d’être appelée importante, elle va donc pouvoir amortir ses coûts fixes grâce à la différence entre le prix reçu sur le marché spot et ses coûts variables. Ces technologies sont parfaites pour satisfaire la demande dite « de base ».
Prenons le cas inverse, une technologie dont les coûts fixes sont moins élevés mais les coûts variables plus important, ce qui correspond aux centrales à gaz ou à charbon. Dans ce cas, l’unité de production
dispose d’une probabilité d’être appelée moins importante, mais lorsqu’elle est appelée elle amortit plus rapidement ses coûts fixes. En pratique, c’est également le marché de capacité qui permet à ces unités de production d’amortir leurs coûts. Ces technologies doivent être utilisée marginalement, pour satisfaire la demande d’électricité lors des pics de consommation.
Hélène Baudchon :
Mais attention, cela reste de la théorie économique et il convient de prendre en compte les enjeux climatiques. Aujourd’hui, les centrales à gaz et à charbon sont totalement incompatibles avec les engagements climatiques. Pour résumer, il existe différents marchés de l’électricité en amont mais qu’en est-il en aval ?
Félix Berte :
Les relations entre les consommateurs et les fournisseurs sont régies par des contrats, dont les termes diffèrent selon les fournisseurs.
Hélène Baudchon :
Pour autant les prix des factures électriques semblent peu différer malgré l’ouverture à la concurrence ?
Félix Berte :
Disons que la marge de manœuvre des fournisseurs est limitée. Sur une facture classique d’électricité, la Commission de Régulation de l’Energie (CRE) considère qu’un 1/3 de la facture correspond à des taxes (comme la CTA, la CSPE ou encore la TVA), un autre tiers correspond à une redevance pour l’utilisation du réseau de transport et de distribution. Le dernier tiers revient au fournisseur. C’est sur ce dernier que les fournisseurs peuvent faire jouer leur compétitivité. On voit bien que c’est limité.
Hélène Baudchon :
D’autant que les fournisseurs n’achètent pas l’électricité au même prix, on parle souvent de l’Accès régulé à l’énergie nucléaire historique (dit le tarif ARENH), qui pèse sur EDF, qu’est-ce que c’est ?
Félix Berte :
L’ARENH est un dispositif complexe pour faire profiter de la compétitivité du parc nucléaire à tous. Selon la Commission européenne, le poids prépondérant d’EDF empêchait toute concurrence, car il disposait d’une production d’électricité importante et au prix le plus bas. Les fournisseurs n’avaient donc aucune chance. La mise en place de l’ARENH permet donc à tous les fournisseurs d’acheter une certaine quantité d’électricité issu du parc nucléaire à prix coutant à EDF.
C’est le paradoxe de la libéralisation du marché de l’électricité. L’Union européenne a souhaité l’ouverture à la concurrence pour faire baisser les prix. En France, l’ouverture à la concurrence ne pouvant faire baisser les prix, la Commission européenne a choisi de créer un cadre de concurrence factice, ce qui a moins fait baisser les prix qu’endommager la rentabilité d’EDF, qui aujourd’hui devrait être nationalisé.
Hélène Baudchon :
Cet exemple souligne bien la spécificité française en matière de production d’électricité, avec la prépondérance du nucléaire. Cette originalité sera d’ailleurs au cœur de notre prochain et dernier épisode de notre Podcast où nous reviendrons sur les enjeux actuels du marché de l’électricité et les pistes pour répondre à ces défis.