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Épisode 3 · Le marché européen de l’électricité : face à la crise énergétique, quelles réformes ?

02/02/2023

Dans ce troisième et dernier épisode consacré au marché de l’électricité, nos deux économistes se penchent sur la crise énergétique survenue en 2022 et les pistes de réformes proposées par la Commission européenne.

Transcription

Hélène Baudchon :

Dans ce troisième et dernier épisode de notre Podcast consacré au marché de l’électricité, nous allons parler plus spécifiquement de la crise énergétique survenue en 2022 et des pistes de réformes proposées par la Commission européenne. Pourquoi les prix de l’électricité ont-ils flambé pour atteindre des plus hauts historiques ? Est-ce une dynamique durable ? Quelles sont les solutions ? Au micro, Hélène Baudchon et, pour en discuter, je retrouve Félix, bonjour Félix…

Félix Berte :

Bonjour Hélène

Hélène Baudchon :

Ma première question sera simple : Pourquoi les prix de l’électricité ont-ils explosé l’année dernière ?

Félix Berte :

Il y a plusieurs explications à cette envolée des prix de l’électricité, qui peuvent être propres à la France ou communes au niveau des pays européens.

Le principal problème est que l’offre avait du mal à suivre la demande dans un contexte de reprise de l’économie. Plusieurs raisons à cela :

  • Premièrement, la faible disponibilité du parc nucléaire français avec plus d’une vingtaine de réacteurs à l’arrêt sur les 56 existants, notamment en raison d’opérations de maintenance à cause de corrosion sous contraintes.
  • En outre, la sécheresse a limité les capacités de fonctionnement des centrales hydroélectriques.

Ces déterminants ont, par ailleurs, été accentués par la forte augmentation des prix du gaz et du charbon à la suite de la reprise économique et en répercussion aux annonces et sanctions européennes pour condamner l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022.

Hélène Baudchon :

On parle souvent de couplage des prix du gaz et de l’électricité, pouvez-vous nous expliquer comme les prix du gaz influent sur les prix de l’électricité ?

Félix Berte :

En France, face à la moindre disponibilité des unités de production nucléaires et hydroélectriques, le réseau électrique français a dû faire appel à des unités de production basées sur des énergies fossiles, comme le gaz et le charbon. Or, le coût de fonctionnement de ces centrales dépend principalement du coût de la matière première. L’invasion de l’Ukraine faisant exploser les prix du gaz, le coût de fonctionnement de ces centrales a augmenté, ce qui a entrainé une augmentation du prix spot puisque les centrales les plus chères, qui sont les dernières appelées, fixent le prix comme nous l’avons vu précédemment.

Par ailleurs, cette augmentation du prix de l’électricité sur le marché spot s’est mécaniquement répercutée sur les marchés à terme. Cette hausse des prix a entraîné une hausse très importante des appels de marge ce qui a mis en difficulté les intervenants.

Hélène Baudchon :

La hausse des prix de l’électricité a également affecté les ménages et les entreprises, comment l’Etat-a-t-il répondu à cette crise ?

Félix Berte :

L’Etat français est intervenu massivement pour atténuer la perte de pouvoir d’achat des ménages et limiter l’augmentation des coûts des entreprises, ce qui aurait contribué à renforcer l’inflation. Dans ce cadre, l’Etat a eu recours à différents instruments comme la baisse de la fiscalité sur l’électricité (notamment la TICFE), la mise en place d’un bouclier tarifaire pour plafonner la hausse des factures de gaz et d’électricité ou encore des guichets d’aide au paiement des factures.

L’ensemble des dispositifs a plutôt bien amorti le choc énergétique, notamment sur l’inflation et pour les ménages, mais ces mesures ont un coût important sur les finances publiques. Ces mesures d’urgence doivent restées limitées dans le temps et être le plus ciblées possibles vers les ménages et les entreprises les plus fragiles et les plus exposés. Et elles doivent être suivies d’une réforme plus profonde du marché pour éviter de nouveaux chocs à l’avenir.

Hélène Baudchon :

Vous parlez de nouveaux chocs mais il y a aussi la question de garantir l’approvisionnement en électricité dès cet hiver. Le risque de black-out est-il toujours important ?

Félix Berte :

Le risque de tensions sur le réseau cet hiver a nettement reculé selon le communiqué de RTE qui a fait passer le risque d’élevé à moyen, mais la question reste d’actualité pour les hivers à venir. Il convient toutefois de nuancer deux types de tensions : le black-out et le délestage. Le black-out, c’est un effondrement de la totalité du réseau électrique, qui peut être la conséquence d’une pénurie ou d’un problème technique. Le délestage correspond à une mesure qui vise à contraindre certains acteurs à une baisse de leur consommation d’électricité en cas de pénurie d’électricité, c’est une mesure planifiée quelques heures ou quelques jours en amont.

Aujourd’hui, on parle plutôt de délestages ciblés et relativement courts en différents points du réseau électrique. Cependant, la crise énergétique actuelle risque de perdurer, tout comme les perturbations sur le marché de l’électricité, pendant plusieurs années, ce qui justifie une réforme du marché de l’électricité.

Hélène Baudchon :

Justement, venons-en aux pistes de réformes. La Commission européenne a annoncé travailler sur un projet de révision des directives européennes en vigueur. A quoi peut-on s’attendre ? Quels sont les mesures qui nous permettront de garantir un réseau électrique efficient et résilient et des niveaux de prix bas et stables ?

Félix Berte :

Plusieurs points méritent une réforme ambitieuse pour garantir le bon fonctionnement des réseaux et des marchés d’électricité.

La principale piste consiste à découpler les prix du gaz et de l’électricité afin de limiter l’exposition du marché de l’électricité aux volatilités des marchés des énergies fossiles, grâce à différents mécanismes comme l’exclusion temporaire de la production d’électricité provenant de centrales à gaz du mécanisme de fixation des prix du marché de l’électricité. Cette mesure est d’ailleurs déjà mise en œuvre en Espagne et au Portugal (on parle pour ces pays de l’exception ibérique).

Cette mesure devrait également permettre de réduire les revenus des producteurs inframarginaux, c’est-à-dire les énergies renouvelables et les centrales nucléaires. Aujourd’hui, on remarque que leur rente inframarginale est très importante puisque le prix du gaz tire le prix de l’électricité à des plus hauts historiques. Certaines unités de production inframarginale préfère aujourd’hui vendre spot sur le marché que de signer de nouveaux contrats pluriannuels car les rendements sont plus importants.

Hélène Baudchon :

Face à cette situation, quelle(s) réforme(s) peut-on envisager ? à quoi faut-il être attentif ?

Félix Berte :

En fait, la question centrale des réformes à venir sera de garantir que le prix de marché ne soit pas faussé par les énergies fossiles, ce qui constituerait d’importantes rentes pour les autres producteurs, aux dépens des consommateurs, en plus de provoquer des flambées sur les prix. Toutefois, la Commission européenne doit également réfléchir à la rémunération des centrales qui produisent uniquement lors des pics de consommation pour limiter le risque de coupures. Enfin, la Commission doit proposer un cadre réglementaire efficace pour stimuler les investissements dans des productions bas carbone pour favoriser la transition.

Hélène Baudchon :

Justement, sur la question de la garantie du fonctionnement du réseau électrique, est-ce que la Commission travaille également sur la réduction de la demande ? On parle beaucoup de sobriété énergétique et de responsabilisation des consommateurs. Ce sont des sujets que la Commission européenne regarde ?

Félix Berte :

En effet, la question de la réduction de la demande est également un enjeu important des années à venir. Au niveau des entreprises, la réduction de la demande d’électricité pourrait suivre une approche sectorielle. L’Etat demanderait aux entreprises la compensation financière qu’elles attendent en échange d’une diminution d’une quantité déterminée d’électricité dans certaines circonstances, lors de pics de consommation par exemple. L’Etat choisit ensuite les entreprises à qui il demandera de réduire la consommation en fonction des prix proposés.

Plus largement, d’autres mesures pourraient réduire durablement la consommation d’électricité comme la rénovation thermique des bâtiments résidentiels et tertiaires pour limiter le chauffage électrique.

Hélène Baudchon :

Merci Félix pour ce point complet et didactique sur le fonctionnement et les enjeux du marché de l’électricité. Merci à nos auditeurs, rendez-vous sur notre site Internet, vous y retrouverez tout au long de l’année les analyses de notre équipe de recherche économique. À très bientôt !

LES ÉCONOMISTES AYANT PARTICIPÉ À CET ARTICLE