Au cours des six premiers mois de l’année 2022, l’économie a bien résisté aux conséquences du conflit en Ukraine et de la politique zéro-Covid de la Chine. Elle a notamment bénéficié de la hausse des prix des matières premières exportées (charbon et huile de palme principalement). Ses finances publiques et ses comptes extérieurs se sont consolidés en dépit de la hausse des subventions et des sorties nettes de capitaux. La situation pourrait toutefois se dégrader au quatrième trimestre et les perspectives à moyen terme sont moins favorables. Même si le déficit budgétaire et la dette du gouvernement restent modestes, les risques de refinancement vont augmenter en 2023 conjointement à la fin du programme d’achat de dette de la Banque centrale, en vigueur depuis 2020. Par ailleurs, les pressions sur la roupie vont s’intensifier avec la baisse des prix des matières premières.
Ralentissement attendu
Au premier semestre 2022, la croissance économique a atteint 5,2% par rapport à la même période l’année dernière. La consommation des ménages et les exportations nettes ont sensiblement accéléré. Le retour des touristes a permis de soutenir la demande de services.
La hausse de l’indice des prix à la consommation (IPC) est restée relativement modeste sur les six premiers mois de l’année (+3% en glissement annuel) grâce, notamment, au maintien des prix réglementés de l’essence et à l’interdiction au mois de mai d’exporter de l’huile de palme afin de limiter la hausse des prix domestiques des huiles végétales.
Cependant, l’activité va ralentir sur la deuxième moitié de l’année et les pressions inflationnistes vont s’intensifier. La hausse de l’indice des prix à la consommation a atteint 5% en g.a.
entre juin et septembre 2022, et ainsi excédé la cible de 4% fixée par les autorités monétaires. La demande intérieure devrait décélérer (en particulier au dernier trimestre), notamment en raison de la hausse des prix alimentaires (déjà +9,2% en moyenne au cours des trois derniers mois), de l’augmentation des prix réglementés de l’essence et du durcissement de la politique monétaire.
En effet, afin de contenir la hausse des dépenses publiques, le gouvernement a annoncé début septembre la hausse des prix contrôlés de l’essence et du diesel, pour la première fois depuis 2016. Ils ont été réhaussés de plus de 30% en moyenne. Afin d’anticiper la répercussion de cette augmentation sur les prix des transports et, plus généralement, en réponse à la montée des pressions inflationnistes, la Banque centrale (Bank Indonesia, BI) a augmenté ses taux de 50 points de base (pb) lors du comité de politique monétaire de septembre, après les avoir augmenté de 25 pb en août. D’autres hausses de taux sont à prévoir.
Par ailleurs, le ralentissement économique de la Chine et des États-Unis, les deux principaux partenaires commerciaux de l’Indonésie, va peser sur ses exportations.
Dans un tel contexte, les indices de confiance des consommateurs se sont légèrement infléchis au cours de l’été et le rythme de croissance des ventes au détail a commencé à ralentir. Même si les entrepreneurs restaient confiants au mois d’août, tout laisse à penser que cet optimisme ne devrait pas perdurer.
Les marges de manœuvre du gouvernement pour soutenir son économie sont plus étroites qu’en 2019. De plus, la perspective de devoir financer l’intégralité de son déficit sans soutien direct de la Banque centrale le contraint à la prudence. Cela explique la récente hausse des prix réglementés de l’essence après plusieurs mois de soutien à la population.
Les finances publiques restent solides
Pourtant, les finances publiques se sont consolidées sur les huit premiers mois de l’année 2022. Le solde budgétaire du gouvernement a enregistré un excédent équivalant à 0,6% du PIB alors qu’à la même période l’année dernière il affichait un déficit de 2,3% du PIB.
Cette bonne performance a été permise par la très forte hausse des recettes budgétaires. Elles ont augmenté de près de 50% en g.a. sur les huit premiers mois de 2022 pour atteindre l’équivalent de 14% du PIB, favorisées par le dynamisme de la demande intérieure, la hausse de la TVA en avril, et la forte augmentation des profits des entreprises hors pétrole et gaz.
La hausse des dépenses a été relativement modeste (+8,3%) en dépit de l’augmentation des charges d’intérêt et des subventions (respectivement +10,1% et +16,8% sur les huit premiers mois de l’année). Néanmoins, le gouvernement anticipe au quatrième trimestre 2022 une forte hausse des coûts induits par le conflit en Ukraine, et ce, en dépit de l’augmentation des prix réglementés du fioul au mois de septembre. Les subventions devraient ainsi s’élever à 1,8% du PIB sur l’ensemble de l’année 2022 (vs. 1,4% du PIB en 2021), auxquelles s’ajoutent les transferts de revenus (pour les ménages les plus modestes) qui atteindront 1,6% du PIB en 2022 (ils étaient presque nuls en 2021).
Sur l’ensemble de 2022, le déficit devrait être réduit à 3,9% du PIB vs. 4,6% en 2021. Dans son budget prévisionnel pour 2023, le gouvernement prévoit de réduire le déficit à 2,9% du PIB, sous le seuil « légal » de 3% du PIB (suspendu temporairement entre 2020 et 2022 et rétabli en 2023). Cette consolidation sera notamment favorisée par la baisse des dépenses (-4%), en particulier des subventions et des transferts aux ménages. La hausse des recettes devrait être marginale. L’augmentation d’un point de TVA (fixée à 12%) devrait permettre de compenser la baisse attendue des impôts sur les revenus des entreprises exportatrices de produits primaires, induite par la normalisation attendue des prix des matières premières.
En revanche, le paiement des intérêts sur la dette devrait augmenter (conjointement à la hausse de la dette et aux rendements sur les obligations du gouvernement) et représenter plus de 18% des recettes du gouvernement en 2023 (vs. 14,1% en 2019), limitant un peu plus les marges de manœuvre budgétaires du gouvernement.
En 2023, le déficit sera intégralement financé par l’émission d’obligations sur le marché domestique. Mais contrairement aux trois dernières années, la Banque centrale n’achètera pas d’obligations sur le marché primaire (RS439 trn d’obligations ont été achetées par la BI en 2021 et 2022, soit l’équivalent de 2,6% du PIB de 2021).
En 2022, la dette du gouvernement devrait continuer d’augmenter et atteindre 41,3% du PIB, avant de diminuer légèrement dès 2023. Pour autant, les risques de refinancement vont augmenter avec la fin du programme d’achats de dette par la Banque centrale et la hausse des taux d’intérêt américains.
Même si la dette du gouvernement reste modeste, les risques de refinancement sont plus élevés que dans d’autres pays (tels la Malaisie et l’Inde où le ratio de la dette rapportée au PIB est pourtant beaucoup plus élevé) car l’Indonésie reste structurellement dépendante des investisseurs étrangers pour couvrir ses besoins de financement. Avant les programmes d’achats de dette par la BI en 2020, la part de la dette obligataire (91% de la dette totale) détenue par les investisseurs étrangers s’élevait à 38,6% en 2019. Elle ne s’établissait plus qu’à 15,2% en juin 2022.
Les comptes extérieurs résistent bien
Les comptes extérieurs de l’Indonésie ont bien mieux résisté à l’environnement extérieur que ce que l’on aurait pu redouter au regard des précédents épisodes de hausse des prix du pétrole et de durcissement de la politique monétaire américaine. En outre, même si les réserves de change ont baissé sur les huit premiers mois de l’année, elles restent suffisantes pour couvrir 1,9 fois l’ensemble des besoins de financement à court terme du pays. La roupie ne s’est dépréciée que de 6,3% contre le dollar sur les neuf premiers mois de l’année 2022. Néanmoins, les pressions sur les comptes extérieurs devraient s’accroître dans les prochains trimestres et la volatilité de la roupie augmenter.
La dette extérieure du pays a diminué à un niveau inférieur à celui qui prévalait avant la crise de la Covid-19 pour s’établir à seulement 31,8% du PIB en juin 2022, contre 36% du PIB en 2019. Cette baisse reflète principalement la baisse des achats de dette du gouvernement par les investisseurs étrangers et, dans une moindre mesure, la légère diminution de la dette des entreprises indonésiennes alors que la dette extérieure des banques a légèrement augmenté.
En outre, même si la dette extérieure représente encore près de 1,8 fois les recettes à l’exportation du pays, les risques de refinancement sont modestes. Les remboursements de dette à un an restent faibles, en particulier au regard des réserves de change. À fin juin, ils s’élevaient à seulement USD 66 mds, soit l’équivalent de 0,5 fois les réserves de change du pays.
Exportateur net de matières premières, en particulier de charbon et d’huile de palme (qui constituaient chacun 11,6% des exportations du pays en 2021), l’Indonésie a bénéficié de la forte hausse des prix de ces matières premières au S1 2022. Même si les importations de pétrole et gaz ont augmenté de 83% par rapport à la même époque l’année dernière, l’effet sur la balance commerciale a été largement compensé par la hausse des exportations. Le compte courant a ainsi enregistré un excédent de près de 0,7% du PIB sur les six premiers mois de l’année 2022 alors qu’il affichait un déficit de 1,4% du PIB un an plus tôt.
Par ailleurs, bien que le pays ait continué à enregistrer des sorties nettes d’investissements de portefeuille, celles-ci ont sensiblement diminué par rapport au T4 2021. Elles ne s’élevaient qu’à 0,5% du PIB au S1 2022.
En revanche, les investissements directs étrangers (IDE), déjà structurellement modestes (1,6% en moyenne sur les cinq dernières années) ont baissé au premier semestre par rapport à la même période en 2021 pour atteindre seulement 1,1% du PIB. Les investissements sont restés concentrés dans l’industrie métallurgique, le secteur des transports et les télécommunications, l’industrie alimentaire et le secteur minier.
Cette baisse des flux d’IDE pourrait s’expliquer par l’incertitude qui entoure la succession du président Joko Widodo. Si les investissements étrangers restent aussi modestes en 2023, cela pourrait devenir préoccupant dans la mesure où le compte courant devrait redevenir (légèrement) déficitaire et où les besoins de financement externe du gouvernement devraient augmenter pour compenser l’interruption des achats de titres par la banque centrale. Les pressions à la baisse sur la roupie pourraient s’intensifier l’an prochain.