Le ralentissement de l’économie va sans doute se poursuivre au cours des prochains trimestres. Par ailleurs, la Pologne est confrontée à plusieurs défis. D’abord, le pays est très dépendant des importations de charbon, matière première dont les prix se sont envolés depuis fin 2021. Les pressions inflationnistes restent élevées alors que la Banque centrale s’oriente vers une politique monétaire moins restrictive. Enfin, le moratoire sur le remboursement des crédits hypothécaires en 2022 et 2023 va peser sur le bilan des banques à court terme. L’économie polonaise dispose néanmoins de plusieurs atouts et devrait faire preuve de résilience.
Les comptes trimestriels du deuxième trimestre 2022 confirment un ralentissement de l’activité économique dans l’ensemble des pays d’Europe centrale (PEC). Il a été plus marqué en Pologne avec un recul du PIB de 2,1 % t/t après +2,5 % au T1 2022 et +1,8 % au T4 2021. La consommation des ménages et les exportations nettes ont apporté une contribution positive à la croissance, respectivement de 0,9 et de 0,6 point, mais cet apport a été insuffisant pour compenser la baisse prononcée de l’investissement. Les entreprises semblent aussi avoir procédé à des déstockages au deuxième trimestre.
Détérioration des indicateurs conjoncturels
La confiance dans l’industrie manufacturière s’est nettement dégradée ces six derniers mois. Les indices et sous-indices PMI ont chuté et sont passés pour la plupart en dessous du seuil des 50, mais ils restent toutefois plus élevé qu’en 2020.
L’introduction d’une taxe sur les profits exceptionnels, notamment dans le secteur énergétique, pourrait dégrader davantage la confiance des entreprises et les conduire à reporter des projets d’investissement. Les ménages sont aussi plus pessimistes au cours de ces derniers mois selon les enquêtes d’Ipsos, de la Commission européenne et de l’Institut de statistiques de Pologne.
Les ventes au détail ont progressé plus lentement en rythme annuel mais restent malgré tout bien orientées. Elles s’élèvent à 16,3% au-dessus du niveau d’avant la crise de la Covid-19. La bonne tenue de la consommation s’explique par les nombreuses mesures de soutien en faveur des ménages ainsi que par la forte progression des salaires au premier semestre. Celle-ci a été proche du rythme d’inflation, ce qui signifie que les pertes de pouvoir d’achat ont été limitées.
Le marché du travail reste dynamique avec un taux de chômage historiquement bas à 2,6% en août. Le second semestre reflètera davantage les effets de l’inflation sur les ventes au détail alors que les salaires augmentent moins vite depuis août et qu’en revanche la hausse des prix continue d’accélérer.
La production industrielle résiste bien pour l’instant. Elle dépasse de 21,2% son niveau pré-Covid mais elle a progressé plus lentement au cours des quatre derniers mois en rythme annuel. Il subsiste par ailleurs une certaine divergence selon les secteurs. Les industries énergivores sont particulièrement touchées en raison de l’envolée des coûts énergétiques.
Certains fabricants d’engrais, de produits chimiques ou d’acier ont été contraints de mettre temporairement à l’arrêt une partie de leurs activités. La production des biens de consommation durables est aussi en berne. En revanche, l’activité du secteur automobile reste bien orientée.
Au cours des prochains mois, nous attendons un sérieux coup de frein de l’ensemble de l’activité productive étant donné les signaux envoyés par les récentes enquêtes dans l’industrie et en raison du ralentissement attendu de la demande en provenance des pays européens.
Des défis majeurs mais surmontables
La crise énergétique va peser sur l’économie. La Pologne est en effet dépendante des importations de charbon en provenance de la Russie pour le chauffage, même si le pays compte parmi les principaux producteurs mondiaux de cette matière première. Le charbon russe a été soumis à un embargo depuis avril dernier par la Pologne. Ainsi, le pays doit s’approvisionner auprès d’autres fournisseurs dans un contexte où les prix se sont envolés.
La Pologne peut difficilement augmenter la production de charbon à court terme au regard de l’importance des coûts d’extraction. De même, les engagements pris par le pays pour réduire les émissions de CO2 ont freiné les investissements dans ce secteur.
Notons tout de même que la Pologne fait partie des pays les mieux préparés à la crise énergétique parmi les pays d’Europe centrale et ce, grâce à une stratégie d’investissement mise en place depuis plusieurs années pour diversifier les sources d’approvisionnement en gaz. La Pologne dispose de terminaux pour importer du gaz naturel liquéfié à Swinoujscie. De même, le gazoduc Baltic Pipe, reliant la Norvège et la Pologne via le Danemark, est opérationnel depuis le 1er octobre 2022 et fonctionnera à sa capacité maximale d’ici 2023. La Pologne est aussi approvisionnée via l’Allemagne. Depuis avril dernier, le pays n’importe plus de gaz russe. Concernant le stock de gaz, les cuves sont remplies à hauteur de 98 % fin septembre.
Les défis vont aussi concerner le secteur bancaire. Le moratoire sur les emprunts hypothécaires, en vigueur depuis juillet dernier, aura un impact négatif sur les bilans bancaires. Selon les autorités, le coût pour les banques est estimé à 20 milliards de zlotys, soit 4,2 milliards d’euros, si l’ensemble des ménages décidaient d’actionner cette option.
Le moratoire permet aux ménages de suspendre leurs remboursements de crédits contractés en zlotys pendant quatre échéances en 2022 et quatre autres en 2023. Cette mesure n’étant pas conditionnée aux revenus des ménages, elle pourrait être très largement suivie d’autant plus que la quasi-totalité des crédits hypothécaires est contractée à taux variable. Le resserrement de la politique monétaire depuis 2021, par le biais de hausses du taux directeur, s’est de fait répercuté sur le coût du crédit hypothécaire.
Le système bancaire devrait pouvoir faire face à cette mesure. Ses ratios prudentiels sont solides. Par exemple, le ratio de solvabilité de l’ensemble du système bancaire s’élevait à 15,6% au T1 2022, ce qui est largement supérieur au seuil requis. Le ratio de créances douteuses reste très faible, à 2,8% au T1 2022.
Vers une politique monétaire moins restrictive
L’inflation a continué d’accélérer. Elle a atteint 14,8% en g.a. en août, dépassant ainsi très largement la cible d’inflation de 2,5% de la Banque centrale. Depuis fin 2021, elle est essentiellement portée à la hausse par l’alimentation, les loyers et la facture énergétique. Quant à l’inflation hors alimentation et énergie, elle a fortement augmenté depuis fin 2021 et s’élevait à 10,7% en g.a. en août, tirée par la forte progression des salaires (+13,8% en g.a. en moyenne sur les trois derniers mois). À court terme, les pressions inflationnistes resteront élevées.
Malgré les pressions inflationnistes, la Banque centrale a ralenti son rythme de resserrement monétaire depuis juillet. La hausse a été de 25 points de base (pb) à 6,75% en septembre, après 50 pb en juillet, 75 pb en juin et 100 pb en avril. Ces actions s’inscrivent dans la lignée des communications récentes de la Banque centrale sur les risques pour la croissance. Pourtant, elle dispose d’une marge de manœuvre encore importante à en juger par le taux d’intérêt réel qui reste largement négatif.
Résilience de l’économie face aux chocs
En dépit du ralentissement attendu dans les prochains mois, l’économie polonaise pourrait progresser de 3,5% en moyenne en 2022 grâce aux effets d’acquis importants en 2021 et au T1 2022. En 2023, un ralentissement plus marqué est attendu mais la Pologne devrait tout de même se démarquer des autres pays d’Europe centrale grâce à une meilleure performance économique. Cette résilience s’explique par plusieurs facteurs.
En premier lieu, les autorités ont mis en place plusieurs séries de mesures de soutien depuis fin 2021 pour faire face aux risques inflationnistes. Elles représentent environ 3 à 4% du PIB en 2022 et ont pris la forme de baisses du taux d’imposition sur les revenus, du taux de TVA sur certains produits alimentaires et énergétiques et de droits d’accise. Les ménages ont aussi bénéficié de transferts directs pour soutenir leur pouvoir d’achat.
Récemment, un montant de 3000 zlotys (640 euros) a été alloué à ceux qui dépendent du charbon pour se chauffer. En septembre, les autorités ont également annoncé un gel sur le tarif de l’électricité pour les ménages en 2023.
En deuxième lieu, la Pologne est une économie relativement moins exposée à la détérioration de l’environnement international que ses voisins. Les exportations représentent ainsi 50% du PIB, contre 90% et 80% respectivement en Slovaquie et en République tchèque.
Enfin, les déficits jumeaux (budgétaire et courant) n’inquiètent plus. Le financement du déficit courant ne pose pas de problème majeur. Les flux d’IDE couvriront sans doute une bonne partie de l’écart en 2022 et en 2023. Les indicateurs de liquidité et de solvabilité externes sont solides. Le ratio du service de la dette rapporté aux exportations de biens et services est modéré à 17% en 2021. La dette externe est également mesurée à 56,5% du PIB.
Les comptes publics sont également solides. Les nombreuses mesures de soutien mises en place cette année sont estimées à environ 3 à 4 % du PIB et le déficit public atteindrait 5% du PIB en 2022. Les recettes restent soutenues en 2022, presque comparables à celles de l’an dernier sur les 7 premiers mois de l’année.
En outre, la taxation des superprofits annoncée récemment viendra aussi en appui si cette mesure est mise en œuvre rapidement. Par ailleurs, la proportion de la dette du gouvernement en devises étrangères est modérée. L’augmentation du coût de financement sur les marchés obligataires reste gérable avec un ratio très faible de la charge d’intérêt rapporté aux recettes fiscales.