Bien que toujours dynamique, la croissance économique a ralenti au premier trimestre de l’exercice budgétaire en cours. Le durcissement monétaire, une mousson très hétérogène et les perturbations dans les chaînes de valeurs mondiales devraient peser sur l’activité au cours des deux prochains trimestres. La banque centrale a révisé à la baisse ses prévisions de croissance pour l’ensemble de l’année. Dans le même temps, les pressions sur les comptes extérieurs et la roupie devraient rester fortes. En dépit de cet environnement peu favorable, les entreprises et les banques résistent.
Décélération de la croissance
Au premier trimestre de l’exercice budgétaire 2022/2023 (avril à juin 2022), le PIB réel a augmenté de 13,5% par rapport à la même période l’année précédente, mais s’est contracté de 3,3% en termes désaisonnalisés par rapport au trimestre précédent. Toutes les composantes de la croissance ont affiché un léger recul par rapport au trimestre précédent (hormis les importations). La contribution des exportations nettes à la croissance, déjà négative depuis six trimestres, s’est encore dégradée.
Au regard des derniers indicateurs avancés, la décélération de l’activité s’est poursuivie au deuxième trimestre de l’exercice 2022/2023 dans l’industrie (électricité, ciment, charbon) comme dans les services. Les perturbations dans les chaînes de valeur mondiales et la hausse des coûts de production pèsent sur les perspectives industrielles.
La hausse des prix et le durcissement monétaire devraient affecter la consommation des ménages urbains. En août, l’inflation a encore atteint 7% en glissement annuel (g.a.) alors que la cible fixée par les autorités monétaires est de 4% +/-2 points de pourcentage.
En outre, l’augmentation des prix hors produits alimentaires et énergétiques reste élevée bien qu’elle ait décéléré à 5,8% en g.a. en août (vs. un point haut de 7% en avril 2022).
Par ailleurs, le secteur agricole souffre d’une mousson très disparate. Les ventes de tracteurs ont déjà reculé sur les mois de juillet et août.
Sur l’ensemble du pays la mousson devrait être légèrement meilleure par rapport à la moyenne enregistrée sur la période 1970-2020. En revanche, alors que les régions du nord-est et de l’est semblent enregistrer un déficit d’eau, celles du centre et de l’ouest du pays ont reçu plus d’eau qu’à l’ordinaire. Le déficit en eau dans quatre États (l’Uttar Pradesh, le Bihar, le Jharkland et l’ouest du Bengale) est estimé entre 18% et 46% alors que ces États produisent près d’un tiers des céréales du pays. Les anomalies climatologiques ont pesé sur les récoltes de coton et de soja à l’ouest du pays, et elles devraient aussi réduire celles du riz en particulier dans les principaux États producteurs tels que le Bengale-Occidental, le Bihar et l’Uttar Pradesh.
Dans ce contexte, le gouvernement a annoncé en septembre dernier l’interdiction des exportations de riz brisé et imposé un droit de douane de 20% sur les ventes des autres catégories de riz (hors riz basmati). Les exportations de riz du pays devraient ainsi baisser de 25% au cours de l’année budgétaire 2022/2023. Sur l’ensemble de l’année 2022/2023, la croissance du PIB ne devrait pas excéder 7,0% selon les dernières prévisions de la banque centrale indienne (Reserve Bank of India, RBI).
Pressions sur la roupie
Entre janvier et septembre 2022, l’important creusement du déficit commercial et les sorties de capitaux ont provoqué une dépréciation de 8,9% de la roupie face au dollar et une baisse des réserves de change de plus de 15% (à USD 537mds fin septembre 2022).
Le déficit commercial a atteint 7,9% du PIB sur les huit premiers mois de l’année 2022 (vs. 4,6% l’année dernière) et les investissements nets de portefeuille ont affiché un déficit de 1,7% du PIB sur la première moitié de l’année. Les interventions de la banque centrale pour soutenir le cours de la monnaie se sont accrues depuis l’été. Entre janvier et juillet 2022, la RBI a vendu USD 38,8 mds de réserves de change (dont près de USD 20 mds pour le seul mois de juillet 2022). À titre de comparaison, elle avait vendu USD 14 mds entre juin et septembre 2013, lors de l’épisode du « Taper Tantrum ».
À court terme, les pressions sur la roupie devraient rester fortes. La baisse des prix mondiaux des matières premières devrait permettre de réduire la facture énergétique, mais le ralentissement économique mondial devrait peser sur les exportations du pays.
Au cours des mois de juillet et août, elles ont déjà baissé de 11,6% par rapport au premier semestre de l’année. Le déficit commercial devrait donc rester à des niveaux particulièrement élevés. Sur l’ensemble de l’année budgétaire 2022/2023, le déficit du compte courant pourrait atteindre 4,2% du PIB (vs. 1,2% du PIB en 2021/2022).
Concernant les flux d’investissement, le pays pourrait bénéficier de la hausse de la pondération de l’Inde dans l’indice MSCI émergent (de 12,45% à 14,483%). En revanche, l’ajout des titres de dette du gouvernement indien dans les indices obligataires mondiaux, initialement anticipée par les investisseurs pour cette année, vient d’être reportée à 2023.
Les pressions sur les comptes extérieurs devraient rester fortes au quatrième trimestre et en 2023, mais les réserves de change sont suffisantes. A fin septembre, elles couvraient 1,8 fois les besoins de financement à court terme du pays.
Le secteur bancaire plus solide
Le dernier rapport sur la stabilité financière publiée par la RBI fait état d’une consolidation du secteur bancaire pendant l’année budgétaire 2021/2022. Même si les banques publiques restent beaucoup plus fragiles que les banques privées, leur situation financière a continué de se renforcer, de telle sorte qu’elles devraient toutes être en mesure de faire face au durcissement monétaire et à la dégradation de l’environnement économique.
La qualité des actifs bancaires s’est améliorée : dans l’ensemble du secteur bancaire, le ratio de créances douteuses a baissé de 1,6 point sur les douze derniers mois pour atteindre 5,9% en mars 2022. Bien que toujours plus élevé dans les banques publiques, il affichait une baisse de 9,5% à 7,6% sur un an. Le secteur de la construction reste le plus fragile ; le ratio de créances douteuses s’y élevait encore à 19,4% en mars 2022. Les risques pour le secteur bancaire demeurent néanmoins maîtrisés car les prêts au secteur de la construction ne constituent que 3,7% des crédits octroyés par le secteur bancaire dans son ensemble.
Par ailleurs, même si dans l’ensemble du secteur bancaire les provisions sont toujours insuffisantes, elles couvraient 70,9% des actifs risqués en mars 2022 contre 68,9% un an plus tôt.
Les ratios de solvabilité ont continué de se renforcer : ils ont atteint 16,5% dans l’ensemble du secteur bancaire (14,7% pour les banques publiques). Finalement, les profits des banques ont continué de progresser, bien que plus modestement qu’au semestre précédent. Le rendement des actifs (Return on Assets) et la rentabilité des capitaux propres (Return on Equity) s’élevaient à 0,9% et 9,7% respectivement en mars 2022.
Favorisées par leur situation financière plus confortable, les banques se sont montrées plus enclines à répondre à la hausse de la demande de crédit. La croissance des prêts, en hausse depuis avril 2021, a continué sa progression pour atteindre 14,5% en g.a. en juillet 2022 (vs. +5% un an plus tôt). Toutes les catégories de crédit sont concernées, qu’il s’agisse des prêts aux ménages ou aux entreprises et ce, quel que soit le secteur d’activité. Ce dynamisme devrait néanmoins être affecté par la hausse des taux directeurs (+140 pb depuis avril 2022).
En effet, même si, en terme nominal, les taux d’intérêt moyens des nouveaux crédits n’ont augmenté que de 70 pb entre avril et juillet 2022, la hausse en termes réels est beaucoup plus importante compte tenu de la décélération des pressions inflationnistes sur la même période. Déflatés de l’indice des prix à la consommation hors énergie et alimentaire (« core inflation »), les taux d’intérêt ont augmenté de 190 pb, bien qu’ils restent toujours à des niveaux relativement bas (le taux réel moyen sur les nouveaux crédits était de 2,4% en juillet).
Selon la RBI, en dépit du ralentissement attendu de l’activité au cours des prochains trimestres, les risques de crédit devraient rester contenus. Dans son scénario central[1], la banque centrale prévoit un renforcement de la qualité des actifs bancaires d’ici la fin de l’année budgétaire 2022/2023. Le ratio de créances douteuses devrait diminuer à 5,3%. En revanche, elle prévoit une baisse des ratios de solvabilité de 16,5% en mars 2022 à 15% en mars 2023. Dans le cas d’un choc extrême (contraction de l’activité économique), le ratio de de créances douteuses augmenterait à 8,3% et le ratio moyen de solvabilité chuterait à 13,3%. Néanmoins, les 46 banques testées n’auraient pas à être recapitalisées pour respecter les ratios de solvabilité.
Les entreprises en bonne position
En dépit de la hausse des coûts de production (+45% en g.a. au T2 2022), et, dans une moindre mesure, des charges d’intérêt (+9,4% au T2 2022), la situation financière des entreprises reste dans l’ensemble confortable. Elles ont répercuté la hausse de leurs coûts sur leurs prix de vente, comme en témoigne l’évolution de leurs profits, qui ont continué de croître par rapport à la même époque l’année dernière, bien qu’à un rythme plus modeste (les profits nets ont augmenté de 24,6% en g.a. au T2 2022).
Le niveau d’endettement des entreprises a diminué : le ratio de dette rapportée aux capitaux propres s’élevait au T2 2022 à 35% vs. 45,8% deux ans plus tôt. Par ailleurs, en juin 2022, les bénéfices avant impôts couvraient encore 4,9 fois le paiement des charges d’intérêt sur la dette.