Les indicateurs de l’économie qatarie, peu diversifiée et basée sur des contrats longs d’exportation de gaz, n’ont pas connu la même volatilité qu’ailleurs dans le Golfe au cours des cinq dernières années. À court terme, la conjoncture pétrolière et l’organisation de la Coupe du Monde vont soutenir la croissance et permettre le retour d’excédents budgétaires et extérieurs substantiels. De même, la réduction de la dette extérieure des banques devrait se confirmer. L’inflation restera relativement modérée grâce à l’intervention du gouvernement et à l’effet modérateur de l’appréciation du dollar sur les prix des importations. À moyen terme, les perspectives macroéconomiques sont très positives en raison de l’augmentation significative de la rente gazière. À plus long terme, et dans un contexte de transition énergétique, elles sont plus incertaines. Le statut d’énergie de transition du gaz naturel est un atout significatif, mais la dépendance aux hydrocarbures restera importante.
Activité économique
L’économie du Qatar est la moins volatile des économies membres du Conseil de Coopération du Golfe (CCG). En effet, la production de gaz (environ 85% du PIB des hydrocarbures) varie assez peu, puisqu’elle est liée à des contrats d’exportation de long terme. Par ailleurs, le Qatar n’étant pas membre de l’OPEP, sa production pétrolière n’est pas soumise à la politique de quotas du cartel.
Le PIB hors hydrocarbures (environ 62% du PIB total contre 66% en moyenne dans le CCG) est surtout centré sur la construction, les services financiers et l’industrie manufacturière (essentiellement la pétrochimie).
L’activité de l’ensemble de ces secteurs reste liée à la conjoncture pétrolière, directement ou par l’intermédiaire des dépenses publiques. Dans ce contexte de faible diversification, et compte tenu du rôle central de la production gazière, le repli de l’activité a été modéré en 2020 (-3,6% contre -4,9% en moyenne pour le CCG), mais le rebond a aussi été plus limité en 2021 (1,6% contre 2,6%).
En 2022, la croissance devrait accélérer (3,3%), mais elle demeurera largement en deçà du reste de la région (+6%). La production de pétrole devrait être marginalement en baisse en raison du déclin naturel de la production des champs existants. En revanche, la production totale de gaz naturel devrait être en légère hausse. Les exportations de gaz naturel liquéfié (GNL) étaient en hausse de 2% (en g.a.) en T1 2022 et ont atteint 46,5 millions de tonnes (m.t.).
La hausse des exportations vers l’Europe (+1,1 m.t.) et vers l’Asie (+0,7 mt) a été partiellement compensée par la baisse de la demande américaine (-1,1 m.t.). La forte hausse actuelle de la demande européenne de gaz ne peut être que partiellement satisfaite car plus de 90% des exportations sont dirigées vers l’Asie selon des contrats d’approvisionnement de long terme. Au total, le PIB hydrocarbure devrait progresser de 2% cette année.
L’activité des secteurs hors hydrocarbures devrait aussi être soutenue (+4,5%), en lien notamment avec le déroulement de la Coupe du Monde de football à partir de novembre 2022. Néanmoins, les conséquences à court terme de cet évènement sur l’activité ne doivent pas être surestimées. L’essentiel des travaux d’infrastructure a été réalisé avant 2022 et une large partie des visiteurs sera hébergée dans les états voisins (notamment Dubaï). Environ 1,2-1,5 millions de visiteurs sont attendus et le secteur des services (transport, restauration) devrait être le plus favorisé. Depuis le début du S2 2022, les indicateurs avancés d’activité restent en territoire positif mais ils sont en baisse. L’indice PMI de septembre dernier atteignait 50,7 contre 67,5 en juin.
À moyen terme, le dynamisme économique viendra assurément du secteur des hydrocarbures avec l’augmentation de plus de 60% de la capacité de production et d’exportation de gaz naturel à partir de 2025. Selon le FMI, la phase de construction et de mise en production devrait conduire à une hausse de 5,7% du PIB jusqu’en 2027, et l’augmentation des exportations à une hausse de de 3,5% du PIB. Au-delà de 2027, le supplément de revenu d’exportation et de recettes budgétaires sera significatif.
Inflation modérée grâce à l’action gouvernementale
À l’instar des autres pays du CCG, l’inflation des prix à la consommation accélère en 2022 mais devrait rester modérée. Elle devrait atteindre 4,3% en moyenne (2,3% en 2021). La hausse des prix est principalement alimentée par le rebond du secteur des loisirs et de la culture après la levée des restrictions liées à la pandémie.
La contribution de l’alimentation à la hausse des prix est positive mais elle reste modérée en raison des mesures gouvernementales de contrôle des prix alimentaires.
Parallèlement, les prix énergétiques sont contraints par le maintien de subventions importantes (équivalant à 3,7% du PIB selon le FMI).
Enfin, l’appréciation du dollar US contre les principales monnaies mondiales depuis le début de l’année (l’indice DXY a progressé de 15% depuis janvier 2022) agit favorablement sur l’inflation importée étant donné l’ancrage du rial qatari au dollar américain. En 2023, l’inflation devrait atteindre 3% en moyenne.
Retour des excédents budgétaires
Malgré une forte dépendance aux revenus d’hydrocarbures (plus de 80% des revenus totaux), les finances publiques qataries ont bien résisté à la chute des prix du pétrole en 2020 grâce à la baisse de certaines dépenses d’investissement.
L’excédent budgétaire, limité en 2021, devrait très élevé en 2022 (14% du PIB attendu) grâce à la hausse des prix du pétrole. Les revenus issus du GNL (qui étaient de 30% supérieurs à ceux du pétrole en 2021 selon le FMI) dépendent fortement des prix du pétrole. En 2023, le maintien de ces derniers à un niveau élevé devrait permettre un excédent équivalant à 10% du PIB environ.
Si les performances budgétaires sont très favorables, les progrès dans la diversification des ressources budgétaires sont limités par rapport à ce que l’on constate dans le Golfe. Le Qatar est l’un des deux seuls pays dans la région (avec le Koweit) à n’avoir pas mis en place une TVA. Dans ce contexte, et étant donné la hausse significative attendue des capacités de production de LNG, la dépendance des finances publiques aux revenus d’hydrocarbures restera très importante à moyen terme.
Paradoxalement, malgré de bonnes performances budgétaires, la dette du gouvernement est relativement élevée (58% du PIB en 2021). Le gouvernement a su profiter de conditions de marché favorables pour financer les grands projets d’investissement avec de la dette, et il a continué d’allouer une partie de ses excédents budgétaires au fonds souverain. Avec la fin du cycle des projets dans les infrastructures (transport, stades) et les perspectives budgétaires favorables, la baisse de la dette du gouvernement amorcée en 2021 devrait se poursuivre. En suivant l’hypothèse du FMI, selon laquelle 2/3 de l’excédent budgétaire serait transféré dans le fonds souverain, la dette devrait atteindre 33% du PIB en 2024.
L’augmentation des revenus d’hydrocarbures et le ralentissement du cycle des projets a également des conséquences positives sur la position extérieure nette du système bancaire. En effet, celle-ci s’est fortement dégradée depuis 2009 (USD -114 mds en juin 2022, soit environ 50% du PIB), en raison de la nécessité de trouver des ressources extérieures pour financer la politique d’investissement. Cette tendance s’est inversée depuis fin 2021 en raison du ralentissement du crédit intérieur et de la hausse des dépôts des résidents. En août 2022, la croissance du crédit atteignait 0,5% en g.a. tandis que celle des dépôts accélérait à 12,7%. La dette extérieure nette devrait continuer de se réduire, mais elle constitue un risque potentiel pour les finances publiques car le gouvernement soutiendrait le système bancaire quand cela sera nécessaire.
Le défi de la transition énergétique
En tant que producteur majeur d’hydrocarbures (quatrième producteur mondial de gaz et premier exportateur), le Qatar est exposé aux conséquences des politiques de décarbonisation menées dans le cadre de la lutte contre le changement climatique. Le Qatar ne contribue qu’à 0,3% de la totalité des émissions annuelles de CO2, mais ses émissions de gaz à effet de serre (GES) par habitant sont parmi les plus élevées au monde (41 tonnes en 2019, soit plus de six fois la moyenne mondiale).
Par ailleurs, l’augmentation à venir de 60% de la capacité de production gazière et les besoins croissants de la population (par exemple en eau issue d’usines de dessalement qui sont particulièrement énergivores) vont contribuer à la hausse des émissions de GES, qui pourrait atteindre 30% d’ici 2030 selon le FMI.
Face au défi d’une baisse de la demande d’hydrocarbures (même si le rythme demeure incertain), et à terme de la chute de la valeur des actifs liés aux hydrocarbures, le Qatar dispose d’un certain nombre d’atouts et base une grande partie de sa politique sur des solutions technologiques. Le gaz naturel est l’énergie fossile la moins émettrice de GES. Elle est considérée comme une énergie de transition, facilitant le passage des énergies fossiles vers les renouvelables.
Comme pour l’ensemble des autres producteurs d’hydrocarbures dans le Golfe, le développement des technologies de capture et de stockage du CO2 devraient permettre de réduire l’empreinte carbone de la production gazière. L’objectif est de réduire de 11 m.t. par an les émissions de CO2 d’ici à 2035 (les émissions totales émises par l’usage des énergies fossiles et l’industrie étaient de 107 m.t. en 2020). Cela réduirait l’intensité en carbone des installations de LNG de 35% environ. Enfin, la réduction du volume de gaz torché au cours de la production devrait aussi contribuer à cet objectif. Concernant le mix énergétique primaire, le développement de capacités solaires pourrait permettre de produire 20% de l’électricité du pays grâce aux énergies renouvelables dont la contribution au mix énergétique est actuellement marginale.