Le dynamisme observé au premier semestre 2022 s’essouffle. Le rebond de la consommation privée est freiné par la hausse des pressions inflationnistes, tandis que les exportations marquent le pas sous l’effet du ralentissement de la croissance aux États-Unis et de la demande mondiale. Les fragilités structurelles de l’économie (faiblesse de l’investissement, manque d’infrastructures) limitent également le rebond de croissance. Par ailleurs, un dérapage des finances publiques s’avère de plus en plus probable à moyen terme. La hausse très limitée des revenus ne suffira pas à compenser la nécessaire augmentation des dépenses publiques dans les années à venir. En outre, les fonds souverains ont été utilisés au cours des deux dernières années, et le gouvernement ne dispose plus de réserves.
Faible dynamique de croissance
Les perspectives restent mitigées pour l’économie mexicaine. Après une la performance relativement solide au premier semestre 2022 (le PIB a progressé de 1,8% et 2,0% en g.a. respectivement aux T1 et T2), la croissance devrait ralentir au cours des prochains trimestres.
D’une part, on s’attend à une baisse significative des exportations, reflet de la faible croissance attendue aux États-Unis en particulier, et du ralentissement de la demande mondiale en général. Les exportations nettes devraient contribuer négativement à la croissance au cours des deux prochains trimestres. Le ralentissement des exportations devrait également se traduire par le creusement du déficit courant.
D’autre part, les fortes pressions inflationnistes et le resserrement monétaire pèsent sur le dynamisme de la demande intérieure. Le taux d’inflation a augmenté depuis le début de l’année 2022, pour atteindre 8,7% en g.a. en août. Toutes les composantes de l’inflation sont orientées à la hausse, et l’inflation restera élevée au cours des prochains mois.
Le 29 septembre dernier, la Banque centrale du Mexique a augmenté son principal taux directeur de 75 points de base pour la troisième fois consécutive (et pour la onzième fois depuis le début du cycle de resserrement en juin 2021), le portant à 9,25% (soit un total de 525 points de base). D’après les projections de la Banque centrale, le taux d’inflation pourrait ne converger vers sa cible (entre 2 et 4%) qu’au dernier trimestre 2024. Un communiqué de presse laisse également entendre que de nouvelles hausses de taux seront annoncées à court terme.
Enfin, le choix du gouvernement de maintenir sa politique d’austérité au cours de la crise sanitaire et économique en 2020 et 2021 (les mesures de soutien ont représenté à peine plus de 1% du PIB, parmi les plus faibles des économies émergentes) a exacerbé les fragilités structurelles de l’économie mexicaine (faible productivité, manque d’infrastructures, baisse tendancielle du taux d’investissement). Celles-ci vont continuer de pénaliser la croissance à court terme. En outre, la qualité du marché du travail s’est détériorée depuis le début de la crise (hausse des emplois informels, baisse du taux de participation des femmes).
La baisse du taux d’investissement et la perte de confiance des investisseurs, étrangers et mexicains, ont par ailleurs été accentuées par plusieurs initiatives gouvernementales proposées au cours des deux dernières années (en particulier le projet de réforme du secteur de l’énergie, et l’annulation du projet de construction du nouvel aéroport de Mexico).
Au total, le niveau d’activité à la fin du T2 restait inférieur de près de 2% au niveau du T4 2019. Il semble à présent que celui-ci ne sera pas atteint avant la fin de l’année 2023. Outre le niveau du PIB, la dynamique de croissance semble également durablement affectée. D’après l’agence de notation Moody’s, la faiblesse de l’investissement, le manque d’infrastructures et le niveau élevé de pauvreté ne permettront pas une croissance du PIB supérieure à 2% au cours des cinq prochaines années (la croissance potentielle estimée par le FMI en décembre 2019 dépassait les 2,5%).
Risque de dérapage des finances publiques
Le 8 septembre dernier, le gouvernement mexicain a présenté son projet de loi de finances pour l’année 2023. Comme c’est le cas depuis le début du mandat (2018), le gouvernement entend appliquer la politique d’austérité à laquelle il s’était engagé dans son programme de campagne. L’objectif semble avoir été atteint : le déficit et la dette publics sont restés globalement stables depuis 2018, respectivement autour de 3% et 50% du PIB, y compris en 2020 et 2021.
Les hypothèses retenues dans la proposition de budget 2023 sont optimistes : le document retient une croissance du PIB de 3%, un taux d’inflation de 3,2% en moyenne sur l’année et une production pétrolière supérieure à 1,8 milliards de barils par jour (soit une augmentation de près de 12% par rapport à la production journalière moyenne des 12 derniers mois).
La priorité des dépenses publiques est de nouveau donnée aux projets d’infrastructures choisis par le président (la raffinerie Dos Bocas, le train Maya), au détriment de dépenses destinées aux ménages les plus vulnérables.
Le gouvernement devrait néanmoins parvenir à maintenir ses objectifs budgétaires jusqu’à la fin du mandat, en 2024, en partie grâce à une hypothèse du prix du pétrole plutôt conservatrice (69 USD par baril en moyenne en 2023).
À moyen terme, en revanche, un dérapage des finances publiques paraît de plus en plus probable. Les perspectives d’amélioration des revenus sont en effet limitées, en ligne avec la croissance économique peu dynamique attendue. En outre, la vaste réforme fiscale envisagée par le gouvernement en 2021 n’a pas pu être mise en place.
La solidité des finances publiques s’est en réalité déjà lentement dégradée au cours des cinq dernières années. Les messages du gouvernement sur sa politique ont été contradictoires et ses objectifs difficilement réalisables, avec par exemple l’engagement à maintenir l’équilibre budgétaire tout en augmentant significativement les dépenses et transferts sociaux, sans véritable hausse des revenus.
Depuis 2018, le gouvernement a progressivement utilisé tous les fonds souverains et les réserves budgétaires dont il disposait pour maintenir un déficit public relativement faible en dépit de dépenses de plus en plus élevées. En particulier, le fonds de stabilisation des recettes budgétaires (FEIP), dont les actifs représentaient environ 1% du PIB fin 2018, a été vidé en 2020. Le gouvernement ne dispose donc plus de réserves budgétaires qui le protégeraient contre d’éventuels chocs.
Les politiques mises en place depuis 2018 ont également occasionné une rigidité accrue de la dépense publique. Dans le cadre de sa politique énergétique notamment, le gouvernement a de nombreuses fois, et de manière récurrente, soutenu l’entreprise nationale pétrolière Pemex. Les transferts, injections en capital et aides à l’investissement ont représenté près de 1,5% du PIB en 2021. Au cours des prochaines années, le soutien à Pemex devrait continuer, et atteindre près de 1,5% du PIB chaque année, selon des estimations réalisées par l’agence de notation Moody’s. Dans le même temps, le gouvernement a réduit la taxe de participation aux bénéfices de Pemex à 40% contre 54% en 2022, et a inclus dans ses propres comptes certaines dépenses liées à Pemex (comme les coûts de construction de la raffinerie de Dos Bocas).
Les transferts ont également augmenté en proportion des dépenses totales (notamment en raison d'une hausse des pensions de retraite), de 20% en 2018 à 22% en 2021 ainsi qu'en part du PIB de 3,8% en 2018 à 4,4% en 2021. La subvention destinée aux personnes âgées les plus vulnérables, dont le montant a augmenté de 50% depuis le début du mandat, devrait également croître dans les années à venir, en ligne avec le vieillissement de la population.
Enfin, la charge des intérêts de la dette, qui est restée relativement stable, autour de 12% des dépenses budgétaires totales depuis le début du mandat, devrait augmenter dans les prochains mois.