Eco Emerging

Optimisme prudent

10/10/2022
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La reprise se poursuit en Thaïlande. Le rebond de la consommation privée et le retour progressif des touristes devraient aider, du moins à court terme, à compenser le ralentissement des exportations. Les risques qui pèsent sur la croissance restent toutefois orientés à la baisse du fait de l’accélération de l’inflation et du resserrement monétaire, de la faiblesse de la demande mondiale et de l’absence de touristes chinois. À l’approche des élections, prévues en mai 2023, les tensions politiques pourraient de nouveau augmenter. Les investissements stratégiques à moyen terme, compris notamment dans le programme Eastern Economic Corridor, ne devraient cependant pas être compromis.

Prévisions économiques de la Thaïlande

Les exportations ralentissent

Le rebond de l’activité économique se confirme en Thaïlande. Le PIB a respectivement progressé de 2,3% et 2,5% en g.a. au cours des deux premiers trimestres 2022. La dynamique devrait s’accélérer au deuxième semestre, soutenue par la vigueur de la consommation privée. Celle-ci est stimulée par le retrait de toutes les mesures de confinement et la récente augmentation du salaire minimum de 5%, en plus d’une politique budgétaire toujours accommodante. Le secteur agricole (qui représente encore 30% du total des emplois) devrait également profiter (en termes de volume et de parts de marché) des nouvelles restrictions à l’exportation de l’Inde (le gouvernement indien a interdit en septembre dernier les exportations de riz brisé et imposé un droit de douane de 20% sur les ventes des autres catégories de riz).

Inflation et taux directeur

Dans le même temps, les arrivées de touristes continuent de progresser. Elles ont franchement accéléré depuis le mois de mai après la réouverture partielle des frontières. Toutes les restrictions ont depuis été levées. La reprise devrait toutefois rester très progressive, principalement du fait de la quasi absence de visiteurs chinois. Alors qu’ils représentaient plus de 30% du total des arrivées en 2019, les touristes chinois représentent moins de 3% du total depuis le début de l’année 2022. Plusieurs années seront probablement nécessaires pour retrouver le chiffre de près de 40 millions de visiteurs enregistré en 2019.

Au total, le PIB devrait progresser de 4% en 2022 après 1,5% en 2021. Cela dit, les risques sur la croissance restent orientés à la baisse. La détérioration rapide du commerce régional (dans un contexte de ralentissement de la demande mondiale) freine la reprise et contraste avec le dynamisme de la consommation privée.

Les exportations de biens ont ralenti en juillet et août (à 8% en g.a., après avoir progressé de plus de 15% en moyenne au cours des six premiers mois de l’année), et l’indice PMI des nouvelles commandes à l’exportation s’est également détérioré au cours des deux derniers mois. La normalisation progressive de la production dans le secteur automobile (au niveau mondial) a permis d’éviter un ralentissement encore plus marqué des exportations. Mais ce répit devrait être de courte durée car la consommation de biens automobiles est particulièrement sensible au contexte actuel de hausse des taux.

Encore quelques hausses de taux à prévoir

L’inflation élevée pèse sur les perspectives de croissance. Le taux d’inflation augmente continûment depuis le dernier trimestre 2021. Il se situe au-dessus de la cible de la Banque centrale (entre 1 et 3%) depuis le début 2022, en raison de l’augmentation des prix de l’énergie et des produits alimentaires. Le taux d’inflation s’est établi à 7,9% en g.a. en août, après 7,6% en Juillet, et il devrait rester élevé à court terme compte tenu de la série d’ajustements attendus (hausse de 20% du tarif de l’électricité, hausse de 5% du salaire minimum, hausse des tarifs des taxis…).

Pour la première fois depuis mai 2020, la Banque centrale a relevé son taux principal directeur de 25 points de base (à 0,75%) lors de sa réunion de politique monétaire du 10 août dernier. Une nouvelle hausse de taux a été annoncée lors de la réunion du 30 septembre dernier, portant le taux directeur à 1%. Celui-ci se situe à présent 25 points de base (pb) en dessous de son niveau d’avant-Covid. Dans son dernier communiqué, la Banque centrale indique que de nouvelles hausses de taux sont probables à court terme, compte tenu du contexte de raffermissement de la demande intérieure et de resserrement des conditions monétaires internationales.

Le communiqué indique cependant que la Banque centrale entend établir son principal taux directeur à un taux « compatible avec une croissance de long terme soutenable ». Compte tenu des faiblesses structurelles de la croissance thaïlandaise (vieillissement de la population, endettement des ménages relativement élevé, relative faiblesse des entrées nettes d’IDE), la fin du cycle de resserrement pourrait intervenir avant que l’inflation ne soit totalement stabilisée.

La politique budgétaire reste accommodante

Depuis 2020, le gouvernement utilise pleinement les marges de manœuvre dont il dispose pour soutenir l’économie. De nombreuses mesures ont été mises en place en 2020-2021, creusant le déficit public à 4,5% et 7,9% du PIB respectivement, après une moyenne de 3% en 2015-2019. Le gouvernement prévoit une consolidation très progressive, la priorité étant donnée au soutien à la croissance.

Les différentes subventions destinées à pallier la hausse des prix de l’énergie et des produits alimentaires ont progressivement remplacé les mesures mises en place au moment de la crise du Covid-19, et le déficit devrait s’établir autour de 4% du PIB en 2022 et 2023. La dette publique devrait rester largement inférieure au plafond réglementaire de 70% du PIB.

Les tensions politiques augmentent à l’approche des élections

Le plus gros risque pesant sur la croissance, et la principale faiblesse structurelle du pays, reste le climat politique. Après plusieurs années de calme apparent, les tensions politiques ont de nouveau augmenté depuis 2020. Le climat politique pourrait se durcir davantage à l’approche des élection législatives[1], prévues en mai 2023.

Nombre de touristes

À très court terme, les tensions politiques pourraient augmenter après la décision de la Cour constitutionnelle de maintenir le Premier ministre thaïlandais dans ses fonctions. Plusieurs partis d’opposition avaient demandé au mois d’août dernier à la Cour de statuer sur la légitimité de ce dernier à rester à son poste, la limite constitutionnelle des huit années consécutives d’exercice du pouvoir ayant été atteinte. La Cour a toutefois jugé que le nombre d’années au pouvoir de Prayuth Chan-o-cha était comptabilisé depuis 2017 (année du vote et de l’entrée en vigueur de la constitution) et non 2014 (année du coup d’État par lequel Prayuth Chan-o-cha est arrivé au pouvoir, en tant que commandant des armées).

D’après le jugement, le Premier ministre pourrait donc rester au pouvoir jusqu’en 2025, soit deux ans après les élections. S’il était de nouveau élu au poste de Premier ministre, celui-ci serait donc contraint à démissionner à mi-mandat, et de nouvelles élections devraient être organisées. Dans ces conditions, il est peu probable qu’il soit choisi par son parti pour être candidat à sa propre succession.

En outre, l’élection de l’ancien ministre des Transports (membre du Puea Thai, parti renversé par le coup d’État de 2014) au poste de gouverneur de Bangkok en mai dernier, les dissensions internes du parti gouvernemental ainsi que l’absence d’un successeur naturel (et consensuel) à l’actuel Premier ministre ont affaibli la coalition gouvernementale, poussant certains partis à former de nouvelles coalitions, et renforcé les partis d’opposition.

Cela dit, le bruit politique autour des élections ne devrait pas avoir d’incidence sur la stratégie d’investissement thaïlandaise au cours des cinq prochaines années. Pour le moment, l’ensemble des partis semble déterminé à mener à bien les politiques engagées par l’actuel gouvernement, notamment concernant la deuxième phase du projet EEC (Eastern Economic Corridor). Il s’agit d’un vaste plan d’investissements principalement destiné à faciliter le développement des secteurs technologiques et à améliorer les infrastructures du pays par le biais de partenariats public-privé. Lancé en 2017, ce projet a très nettement ralenti depuis 2020 à cause de la crise sanitaire. La deuxième phase devrait s’achever en 2026.

Achevé de rédiger le 4 octobre 2022


[1]Depuis l’entrée en vigueur de la constitution en 2017, la Chambre basse des représentants est composée de 500 sièges : 350 députés sont élus via un scrutin uninominal à un tour et les 150 autres sont élus via un scrutin proportionnel plurinominal de liste. La durée du mandat est de quatre ans. Le premier ministre est ensuite élu (lui aussi pour une durée de quatre ans) à l’issue d’un vote organisé au sein de la Chambre des représentants (composée de la chambre basse et du Sénat, dont les 250 membres sont nommés par le Conseil national pour la Paix et le maintien de l’Ordre, institution militaire crée en 2014 après le coup d’Etat).

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