Hors Chine, l’activité dans les pays émergents a stagné au T2 2022 et les enquêtes de confiance réalisées tant auprès des entreprises que des ménages indiquent que le ralentissement va se poursuivre. L’inflation continue sa progression et s’accompagne de nouveaux tours de vis des banques centrales, y compris en Asie. À la dégradation de la demande extérieure et des conditions financières domestiques, s’ajoutent le resserrement monétaire aux États-Unis et l’appréciation du dollar. C’est donc la double peine pour les pays émergents. Mais ce sont les pays en développement, confrontés de surcroît à la crise alimentaire et à une situation de surendettement, qui inquiètent le plus.
Le ralentissement se confirme
Les signes de ralentissement ou de contraction de l’activité se confirment depuis le printemps et se sont multipliés durant l’été. La Chine a ouvert le bal avec une baisse de 2,6% de son PIB au T2. Hors Chine, le PIB de notre échantillon de 26 principaux pays émergents a stagné. Il s’est même déjà contracté pour certains d’entre eux (Afrique du Sud, Inde, Pologne, Taiwan). Chine incluse, le PIB a reculé de 1% au T2 2022 par rapport au T1. Au cours de l’été, l’opinion des industriels sur leurs carnets de commandes a continué de se dégrader, notamment pour les pays fortement exportateurs en Asie (Chine, Corée du Sud, Taiwan) et en Europe centrale (Hongrie, République tchèque). Le commerce mondial ralentit, les prix du pétrole et des métaux se sont retournés depuis la mi-juin et le baltic dry index (indice de prix de référence du transport maritime et indicateur avancé des échanges commerciaux) s’est normalisé après son envolée de 2021.
Dans nombre de pays, la confiance des ménages est retombée à son niveau du printemps 2020. L’accélération de l’inflation en est la raison principale. L’inflation dépasse 15% sur un an dans la plupart des pays d’Europe centrale, elle s’échelonne entre 8% et 14% en Amérique latine (hors Argentine) et se propage maintenant en Asie (à l’exception de la Chine, Hong Kong et Taiwan) dans une fourchette de 4% à 8%. Par conséquent, les politiques monétaires continuent de se durcir, y compris en Asie.
Double peine
À la dégradation de la demande extérieure et des conditions financières domestiques (inflation et hausse des taux d’intérêt directeurs), s’ajoutent le resserrement monétaire aux États-Unis et l’appréciation du dollar US. D’après l’Institute for International Finance (IIF), les investissements de portefeuille obligataires vers les pays émergents, Chine exclue, ont bien résisté, atteignant USD 75 mds sur les neufs premiers mois de l’année. Autrement dit, jusqu’à présent, les rendements de la dette souveraine en monnaie locale n’ont pas subi une double peine (i.e. l’effet de la remontée des taux d’intérêt directeurs combiné à l’effet des retraits d’investissements des non-résidents).
Pour autant, l’appétit pour les marchés émergents a faibli. Les pays émergents sont par nature plus sensibles que les pays avancés au durcissement des conditions financières américaines. Premièrement, dollar et cours des matières premières sont généralement négativement corrélés. Les variations des seconds sont souvent plus fortes que celles de la devise américaine, de sorte que les pays exportateurs de matières premières subissent une perte de pouvoir d’achat. Deuxièmement, l’appréciation du dollar alourdit la charge et le poids de la dette extérieure. Enfin, les coûts de financement en dollar augmentent d’autant plus que les primes de risque ont tendance à s’élargir.
D’après les estimations de l’IIF, la part de la dette du secteur non bancaire (i.e. États + entreprises + ménages) libellée en dollars a fortement augmenté en Turquie et en Amérique latine (Chili, Colombie, Mexique). Pour les autres pays émergents, cette part est restée stable et modérée (graphique 1). L’effet dollar ne doit donc pas être surestimé ni généralisé. Par ailleurs, les primes de risque sur la dette obligataire en devise des emprunteurs souverains classés « investment grade » (principalement des pays émergents) sont restées stables depuis le début de l’année.
En revanche, nombre de pays en développement, beaucoup plus fragiles, se sont financés sur le marché obligataire international et ont obtenu des financements de la Chine. La part de la dette publique en dollars y a fortement progressé au cours de la dernière décennie. Ce sont par ailleurs des pays de la catégorie speculative grade dont les primes de risque se sont fortement élargies.
Les pays en développement subissent par ailleurs une autre double peine. D’après le Global Report on food crisis, 45 pays totalisant 180 millions de personnes risquent d’être confrontés à une crise alimentaire ou le sont déjà en raison des conflits externes ou internes, des conditions climatiques ou des chocs économiques comme celui de la Covid-19. Or, d’après l’IIF, sur 35 pays confrontés à une crise alimentaire, près de la moitié, essentiellement en Afrique, rencontrent de grandes difficultés à rembourser le service de leur dette (situation de debt distress), lequel s’élèvera à plus de USD 10 milliards en 2023. Dans ces circonstances, les appels de pays à renégocier leur dette ne peuvent que se multiplier.