L’accélération de la croissance, le ralentissement de l’inflation, la baisse du chômage et l’interruption du cycle de resserrement monétaire distinguent le Brésil de la plupart des grandes économies. Ces évolutions, largement imputables à l’action de la politique budgétaire (hausse des transferts, réduction des taxes et du prix des carburants), compliquent la tâche des autorités monétaires car elles compensent l’effet restrictif de leur politique. Au second semestre 2022, la relance budgétaire devrait limiter le ralentissement attendu de l’activité. Les bonnes performances économiques ont permis aux actifs financiers brésiliens de résister malgré la tenue des élections générales et un contexte mondial dégradé.
Élections générales : quelques surprises
Les élections générales du 3 octobre 2022 ont livré plusieurs surprises : i/ aucun candidat n’est parvenu à obtenir la majorité absolue aux élections présidentielles (un deuxième tour aura lieu le 30 octobre), ii/ les écarts entre les deux principaux candidats – Luiz Inacio Lula da Silva et Jair Bolsonaro (48% contre 43% des suffrages respectivement) – sont beaucoup plus faibles qu’anticipé par les sondages. Depuis le retour de la démocratie, le candidat en tête à l’issue du premier tour a toujours remporté le scrutin présidentiel. Enfin, iii/ les coalitions de droite et du centre – alliées de Bolsonaro – auront davantage de pouvoir au Sénat et au Parlement qu’au cours du dernier mandat.
Résilience de l’activité économique
La croissance a largement défié les attentes au premier semestre. Après une hausse de 1% (t/t) au T1, le PIB réel a progressé de 1,2% (t/t) au T2 2022 (3,3% en glissement annuel), marquant un troisième trimestre consécutif de forte hausse.
L’activité a été marquée par le rebond de l’investissement et la forte progression des dépenses de consommation. Ces dernières ont été alimentées par l’expansion du revenu disponible des ménages, produit en grande partie des mesures de relance du gouvernement[1].
La baisse de l’épargne « Covid », la hausse de l’endettement des ménages et la bonne performance du marché du travail ont aussi soutenu la demande. Du côté de l’offre, la production agricole et de minerai de fer s’est redressée (la sécheresse en 2021 avait entraîné de faibles récoltes de soja en début d’année, tandis que d’importantes pluies avaient limité les activités d’extraction au T1). La construction a progressé de près de 9% au S1 (en g.a.) atteignant un niveau d’activité près de 11% supérieur à celui du T4 2019. Les services demeurent toutefois le principal moteur de la croissance.
Le deuxième semestre devrait aussi être meilleur que préalablement anticipé – l’économie profitant des mesures mises en place par le gouvernement en juin pour préserver le pouvoir d’achat des ménages (réductions temporaires des prix de l’énergie et d’autres prix réglementés, hausse de 50% des transferts aux ménages les plus pauvres, dans le cadre d’Auxilio Brasil, et transferts aux chauffeurs de camions et de taxis).
Ces mesures et la baisse du chômage – qui a atteint son plus bas niveau en août depuis le T3 2015 – ont entraîné un rebond de la confiance des ménages et des entreprises en août et septembre. La production dans le secteur manufacturier devrait aussi bénéficier de la baisse récente des coûts des intrants – laquelle incite les entreprises à reconstituer leurs stocks malgré la modération anticipée de la demande. À noter que les craintes de ruptures d’approvisionnement en engrais, en raison de la guerre en Ukraine, sont retombées – le pays étant parvenu à tripler ses achats au cours de l’année.
Pour autant, des signes de décélération apparaissent dans certains secteurs. Les données d’enquête dans la construction commencent à montrer des signes d’essoufflement. Les filières agricoles et bovines sont aussi plus durement affectées par le ralentissement du commerce mondial, la détente du prix de certaines matières premières (soja, minerai de fer) ainsi que la modération de l’activité en Chine (qui, depuis le début de l’année, a absorbé près de 30% des exportations).
Les situations difficiles en Argentine et au Chili pèsent aussi sur les volumes d’exportations de produits manufacturés, en baisse depuis mai. Au S2, la décélération du crédit devrait ralentir la demande intérieure tandis que le ralentissement des exportations et la hausse des volumes d’importations devraient se traduire par une contribution négative du commerce extérieur à la croissance. En 2023, la progression du PIB devrait être a peu près égale à l’acquis de croissance hérité de 2022 (environ 0,5%).
Désinflation et interruption du resserrement monétaire
L’inflation ralentit fortement depuis l’été (8,7% en g.a. en août contre 12,13% en avril). Cette baisse n’est toutefois pas généralisée (l’inflation dans les services reste élevée). La désinflation est surtout le produit des réductions de taxes notamment sur l’électricité et l’essence. L’atténuation des goulots d’étranglements dans les chaînes d’approvisionnement participe aussi au mouvement de décélération.
La Banque centrale – dont la politique monétaire est restrictive depuis le T4 2021 (+1175 points de base de hausse cumulée) – a maintenu son taux directeur inchangé en septembre, à 13,75%, pour la première fois depuis le début du cycle de resserrement monétaire en mars 2021. La prise en compte du processus de désinflation, la volonté de lisser les fluctuations du cycle économique et de favoriser l’emploi ont pesé sur la décision des autorités.
Les incertitudes concernant l’évolution du scénario budgétaire limitent le degré de liberté des autorités monétaires. Celles-ci doivent internaliser la refonte probable du cadre budgétaire, le coût budgétaire de la désinflation, la hausse du coût réel de la dette, une probable réforme fiscale et la hausse des pressions (sociales) sur les dépenses publiques (les deux candidats ont déjà déclaré qu’ils maintiendraient les transferts de BRL 600/mois dans le cadre d’Auxilio Brasil tandis que Lula souhaiterait aussi rehausser le salaire minimum[2]).
Autre préoccupation des autorités, les pressions inflationnistes dans les services pourraient mettre du temps à se dissiper, le taux de chômage observé se rapprochant de plus en plus du taux de chômage structurel mesuré par le NAIRU[3].
Conséquence de la remontée des taux d’intérêt, on observe depuis quelques mois une augmentation des impayés de la part des ménages et des difficultés de financement des entreprises sur le marché local. Les entreprises ont, de fait, réduit leurs émissions de dette en monnaie locale et rencontrent plus de difficultés à se financer sur le marché bancaire[4]. Les taux de rendement de leurs projets sont en effet devenus très inférieurs au coût de financement, surtout en termes réels.
Les entreprises se tournent donc vers des lignes de financement moins coûteuses : montages offshore (swaps EUR-BRL), prêts inter-entreprises ou recours aux marchés internationaux (notamment les émissions d’obligations « durables » qui ont vu leur notionel tripler en 2020-2021 par rapport à la période 2015-19, pour atteindre plus USD 20 mds).
Au cours des derniers mois, les autorités ont déployé de nouvelles mesures pour attirer les investisseurs étrangers et réduire les coûts de financement des entreprises locales : exonération d’impôts sur les gains réalisés sur la dette corporate[5], simplification des procédures pour émettre de la dette, élargissement des garanties de crédit, facilitation du processus de transformation de la dette en titres négociables).
Résistance des actifs et des marchés complaisants
Les actifs brésiliens ont bien résisté depuis le début de l’année malgré le contexte électoral, la hausse de l’aversion au risque des investisseurs au niveau mondial et la remontée du dollar US. Le real exhibe une des meilleures performances contre le dollar cette année (+8% fin septembre), alors qu’il avait perdu environ 20% contre le dollar en amont des élections en 2018. En dollar, la Bourse surperforme ses paires régionales à l’exception de l’Argentine.
De nombreux éléments peuvent expliquer ces performances : une croissance qui surprend à la hausse, la baisse du chômage et de l’inflation, la hausse des rendements réels, et l’attractivité des valeurs boursières qui se négocient avec une forte décote par rapport à leur moyenne historique.
Sur le plan budgétaire, le Brésil devrait dégager cette année son premier excédent primaire depuis 2013 (aidé par d’importants versements de dividendes de la part de Petrobras et la privatisation d’Electrobras). La vulnérabilité externe du pays reste faible : le déficit courant est plus que trois fois couvert par les investissements directs étrangers, la dette externe est modérée et la liquidité extérieure abondante. L’indépendance énergétique élevée du Brésil est aussi un point positif[6].
Enfin, l’officialisation de l’indépendance de la Banque centrale (entérinée en 2021), le renforcement des coalitions de centre et de droite au Congrès ainsi que le ralliement aux côtés de Lula de Henrique Meirelles – ancien gouverneur de la Banque centrale, architecte de la principale règle budgétaire et pressenti pour le poste de ministre de l’Économie si Lula était élu – ont contribué à rassurer les marchés, qui s’inquiètent de la mise en place de politiques économiques hétérodoxes si la présidence changeait.