Les comptes extérieurs égyptiens sont sous pression depuis le début de l’année et les perspectives sont incertaines. Si le compte courant a bien résisté aux chocs externes grâce à la hausse des revenus gaziers, seul le soutien massif des pays du Golfe a permis de faire face aux sorties d’investissements de portefeuille et d’éviter une crise de change. La dynamique reste négative à court terme compte tenu de la baisse des actifs en devises du système bancaire et des pressions persistantes sur le change, malgré la dépréciation de plus de 20% depuis le début de l’année. À court terme, l’économie égyptienne pourra compter sur le soutien du FMI et des pays du Golfe, ainsi que sur des perspectives gazières favorables, mais à moyen terme les besoins de financement extérieurs sont élevés, et en hausse, et la dépendance aux flux de capitaux volatils demeure importante.
Malgré l’amélioration des comptes courants, l’économie égyptienne doit faire face à une dégradation accélérée de sa liquidité en devises en raison des faiblesses structurelles de sa balance des paiements et des chocs extérieurs. La liquidité en devises de l’ensemble du système bancaire se contracte depuis le début de l’année, et les pressions sur le taux de change sont significatives.
Réduction du déficit courant malgré les chocs externes
Au cours de l’année budgétaire 2022 (close fin juin), le déficit courant s’est réduit de 10% pour atteindre 3,7% du PIB, et ce malgré les conséquences de la guerre en Ukraine (hausse des prix des matières premières agricoles et tarissement des flux de touristes provenant de Russie et d’Ukraine au cours du dernier trimestre).
Le déficit commercial ne s’est que très légèrement détérioré (+USD1,3md) et atteint désormais USD 43,5 mds. Cette performance est principalement due à l’important excédent du compte d’hydrocarbures (USD 4,4 mds, le plus élevé depuis 2010) qui a bénéficié de la hausse de la demande européenne de gaz naturel et de la forte augmentation des prix du gaz sur les marchés internationaux.
Concernant les importations hors hydrocarbures, elles ont progressé relativement modérément (+16%) compte tenu de la hausse des prix et de la dépréciation de 15% de la livre égyptienne en mars 2022. La mise en place de contraintes réglementaires aux importations a vraisemblablement freiné leur progression.
Le doublement de l’excédent de la balance des services (hausse de 120% des recettes touristiques et de 7,5% des revenus du canal de Suez) et le maintien de larges transferts des Égyptiens expatriés ont permis de réduire le déficit du compte courant.
Les capitaux du Golfe ont permis d’éviter la crise de change
Pourtant, le besoin de financement extérieur égyptien reste significatif. La somme du déficit courant et de l’amortissement de la dette extérieure s’élevait à USD 28 mds (6,3% du PIB) en 2022. Son mode de financement, qui dépend largement de flux de capitaux volatils, demeure la principale source de vulnérabilité de l’économie égyptienne.
La guerre en Ukraine et ses conséquences sur les marchés financiers ont déclenché une sortie massive de capitaux du marché égyptien (USD 21 mds) et une forte hausse de la prime de risque souveraine en devises (supérieure à 800 points de base depuis avril 2022). Cela a fermé, du moins temporairement, le marché obligataire en devise, et c’est grâce au soutien financier des pays du Golfe qu’une crise de la balance des paiements a été évitée.
Les dépôts gouvernementaux à la Banque centrale (environ USD 15 mds provenant d’Arabie saoudite, des EAU et du Koweït) et des achats d’actifs égyptiens par des fonds du Golfe (au moins USD 3 mds) ont permis de limiter la dégradation de la balance des paiements et l’ampleur de la dépréciation de la livre (-20% contre le dollar depuis janvier 2022).
La liquidité en devises s’est néanmoins fortement détériorée entre décembre 2021 et juin 2022 malgré le soutien extérieur massif et la dépréciation du change. Les réserves de change de la Banque centrale ont baissé de USD 7,6 mds pour atteindre USD 33,4 mds (soit 3,9 mois d’importations de biens et services) et la dette extérieure nette des banques commerciales a augmenté de USD 1,5 md pour atteindre USD 11,6 mds.
Dans le même temps, les réserves de change Tier 2 de la Banque centrale (destinées à faire face aux variations des flux d’investissements de portefeuille) ont fondu de USD 11,8 mds pour atteindre USD 0,9 md. La crise a été évitée au prix d’une forte hausse de la vulnérabilité des comptes extérieurs : la position en devise de l’ensemble du système bancaire s’est fortement contractée, le besoin de financement à venir est substantiel et l’aversion des investisseurs vis-à-vis du risque égyptien reste forte.
Tensions persistantes à court terme
Depuis le début de l’année budgétaire 2023, les réserves de change de la Banque centrale sont restées stables. Néanmoins, la nouvelle dégradation de la position extérieure nette des banques commerciales (la dette extérieure nette a augmenté de USD 2 mds en août) signale une sortie de capitaux d’investisseurs étrangers. Selon la Banque centrale, les investisseurs étrangers détenaient USD 7,5 mds en T-bills du gouvernement en juillet 2022. Sur les marchés à terme, le taux de change de la livre contre le dollar US à 12 mois est actuellement à 24,4, soit un écart de 20% environ par rapport au cours actuel. Le risque d’une nouvelle dépréciation significative de la livre contraint le retour des investissements de portefeuille ainsi que les transferts de la diaspora. Dans ce contexte, les perspectives sont très incertaines et le soutien financier du FMI, en cours de négociation, ne garantissent pas la fin des tensions sur la liquidité en devises.
Baisse du déficit courant attendue en 2023
Le compte courant devrait continuer de s’améliorer en 2023. Les prix des matières premières alimentaires refluent depuis le mois de juin (les prix du blé ont baissé de 8% environ), tandis que les tensions sur le marché énergétique devraient perdurer et favoriser les exportations égyptiennes d’hydrocarbures.
Les importations hors hydrocarbures devraient rester contenues, au moins en volume, en raison des contraintes pesant sur les importations non prioritaires. Par contre, la poursuite de la dépréciation de la livre continuera de peser sur les prix des biens importés. En supposant que les transferts restent élevés et que les recettes touristiques ne subissent pas de choc géopolitique, le déficit courant devrait légèrement se réduire mais rester supérieur à 3% du PIB. En 2023, le besoin de financement extérieur total devrait s’élever à environ USD 26 mds.
Perspectives gazières positives, au moins à court terme
Ce scénario est relativement conservateur, et le solde commercial pourrait être meilleur qu’attendu grâce au secteur énergétique. Selon le ministre du pétrole égyptien, les revenus de la vente de GNL devraient passer de USD 6,5 mds en 2022 à USD 8,5-10 mds en 2023. Étant donné les tensions sur la liquidité en devises et la forte hausse de la demande européenne, les autorités maximisent les exportations de GNL.
Néanmoins, il faut souligner que la hausse des exportations se fait au prix de restrictions de la consommation domestique de gaz (plafonnement des températures en été dans les bâtiments publics, diminution de l’éclairage public) et grâce au remplacement du gaz par le pétrole comme source d’énergie dans certaines centrales. Au S1 2022, la consommation de pétrole a été multipliée par cinq en glissement annuel, et elle a retrouvé un niveau proche de celui de 2018 avant la hausse massive de la part du gaz dans le mix énergétique. Selon le MEES, la part du pétrole dans ce mix est passé de 1,1% en mai 2021 à 11,5% en mai 2022.
À court terme, la mise en service d’un gazoduc offshore au T2 2023 devrait permettre d’accroître les exportations israéliennes vers l’Égypte. En effet, c’est en partie grâce aux importations israéliennes (en moyenne 650 m cubic feet/j par rapport à une production totale égyptienne de 6,6 mds c.f./j) que l’Égypte dégage un surplus exportable. À moyen terme, le maintien des capacités d’exportation israéliennes dépend en partie de la mise en production du champ gazier Karish qui est actuellement sujet à des incertitudes géopolitiques.
Par ailleurs, tant l’Égypte qu’Israël connaissent des pics de consommation énergétique en été qui limitent significativement les capacités d’exportation égyptienne. Enfin, à plus long terme, les capacités d’exportation dépendront de la découverte et de la mise en œuvre de nouveaux champs gaziers en Égypte.
Le besoin de financement extérieur devrait augmenter
Quel que soit le montant du financement du FMI (un total de USD 3-5 mds est actuellement évoqué avec un déblocage de USD 1 md la première année), le bouclage du besoin de financement nécessitera d’importantes entrées nettes d’investissements de portefeuille et d’investissements directs (au moins USD 15 à 20 mds). Une partie de ces flux continuera de provenir des pays du Golfe. Ces derniers devraient continuer de prendre des participations dans les entreprises locales et participer à l’ouverture du capital d’entreprises publiques (malgré un calendrier en soit pour le moment incertain).
Plus généralement, l’environnement international est différent de celui de 2016, lors du premier plan de financement du FMI qui avait déclenché un flux important de capitaux. La remontée des taux d’intérêt dans les pays développés, les pressions inflationnistes mondiales et la persistance de tensions géopolitiques vont continuer de jouer négativement sur l’attractivité de la dette émergente en monnaie locale.
En Égypte, le besoin de financement augmentera à moyen terme, étant donné le montant de l’amortissement de dette prévu en 2024 et 2025 (respectivement USD 13,3 mds et USD 19 mds) et un déficit courant qui devrait s’élever à environ USD 15 mds par an.