Croissance bien inférieure à son potentiel
Au deuxième trimestre de l’exercice budgétaire en cours (juillet à septembre 2019), la croissance indienne a fortement décéléré pour n’atteindre que 4,5% en glissement annuel (g.a.). Ainsi, au S1 2019/20 qui s’achèvera le 31 mars 2020, la croissance n’a atteint que 4,8% alors qu’elle s’établissait à 5,4% à la même époque un an plus tôt. Une telle décélération n’avait pas été enregistrée depuis 2013 alors que les conditions étaient jusqu’à présent beaucoup plus favorables qu’en 2013. Sur les six premiers mois de l’année budgétaire, les pressions inflationnistes sont restées maîtrisées (+3,3% vs +11,3% en 2013/14) et les autorités monétaires ont abaissé leurs taux directeurs de 135 points de base (pb), bien que la baisse n’ait été que très partiellement répercutée sur les taux des nouveaux prêts. Par ailleurs, les prix du pétrole sont restés très inférieurs à ceux de 2013 (-43%) et les investisseurs étrangers ont manifesté leur confiance dans le nouveau gouvernement Modi. Or, en dépit des mesures prises par le gouvernement et la banque centrale, la croissance reste lourdement pénalisée par la forte décélération de la consommation des ménages (premier moteur de la croissance) et, dans une moindre mesure, par celle des investissements. Par ailleurs, bien que la contribution des exportations nettes à la croissance reste positive (en raison de la baisse des importations), les exportations se sont contractées au T2 de l’exercice budgétaire en cours. Pour finir, les indicateurs d’activité du troisième trimestre ne laissent pas entrevoir de rebond sensible de l’activité à court terme. En octobre, les productions d’électricité et de charbon se sont contractées pour le troisième mois consécutif. Les taux d’utilisation des capacités de production dans le secteur manufacturier ont atteint un point bas jamais enregistré depuis 2013 et les productions de biens d’investissement et de biens de consommation ont reculé respectivement de 21,9% et 18% en g.a.
Peu de moyens pour soutenir la croissance à court terme
Les marges de manœuvre monétaires et budgétaires pour soutenir la croissance sont extrêmement réduites.
Le problème majeur des autorités monétaires est le faible degré de transmission de la politique monétaire. De plus, la hausse des pressions inflationnistes depuis le mois de septembre (+5,5% en g.a. en novembre 2019 vs cible de 4% +/- 2pp) les contraint aujourd’hui dans leur politique de soutien à la croissance. Lors du dernier comité de politique monétaire de décembre, elles ont maintenu leurs taux directeurs inchangés au regard de la hausse des prix.
Elles doivent par ailleurs soutenir le financement des sociétés financières non bancaires, à l’origine de la forte hausse du crédit depuis 2017.
La politique budgétaire de soutien à la croissance est, elle aussi, fortement limitée par les risques de dérapage du déficit pour l’exercice en cours et la perspective de voir la note souveraine dégradée par les agences de notation. Sur les huit premiers mois de l’année budgétaire (avril à novembre), le déficit budgétaire a atteint 115% de sa cible annuelle. En outre, même s’il est courant que le gouvernement dégage un surplus au dernier trimestre de l’exercice budgétaire, celui-ci ne devrait pas être suffisant pour permettre d’atteindre l’objectif de déficit à 3,3% du PIB.
Compte tenu de ces contraintes, le gouvernement a adopté d’autres mesures fortes, parmi lesquelles : la baisse significative du taux d’imposition sur les sociétés, la privatisation de quatre importantes entreprises publiques et la réforme du marché du travail. Cependant, bien que ces mesures constituent des avancées majeures, elles ne soutiendront pas la croissance à court terme. Les investissements des entreprises resteront conditionnés à la reprise de la consommation des ménages, qui dépend elle-même d’une amélioration sensible des conditions de crédit, en particulier des sociétés financières non bancaires.
Dans ces conditions, les prévisions de croissance ont été sensiblement révisées à la baisse pour les deux prochains exercices budgétaires. La croissance pourrait être inférieure à 6% alors qu’elle s’établissait à 7,5% au cours des cinq dernières années. Or, un ralentissement durable de la croissance pourrait non seulement contraindre les créations d’emplois déjà insuffisantes pour accueillir les nouveaux entrants mais aussi peser sur les finances publiques, sur la consolidation des entreprises indiennes (en cours depuis 2014) et sur celle du secteur bancaire. En l’occurrence, la crainte d’une croissance durablement plus faible a incité l’agence de notation Moody’s à mettre la notation de l’Etat indien en perspective négative.
Quels risques sur la soutenabilité de la dette ?
La dette publique pourrait excéder 70% du PIB dès l’exercice 2019/20. Néanmoins, les risques de refinancement restent, à ce jour, encore contenus.
A la fin de l’exercice 2018/19, la dette publique s’élevait déjà à 69,8% du PIB (i.e. 285% des recettes annuelles du gouvernement et des Etats), en hausse de 2,8 points de pourcentage (pp) par rapport à 2013/14 et ce, en dépit de la baisse du déficit budgétaire de l’ensemble des administrations publiques (à 6,3% du PIB en 2018/19 vs 7,5% du PIB en 2013/14). Cette augmentation reflète la hausse des dépenses « hors budget », en particulier de la part des Etats.
Dans son programme de consolidation des finances, le gouvernement a pour objectif de réduire le ratio de dette publique rapportée au PIB à seulement 60% d’ici 2024/25. Mais cet objectif ne semble pas tenable au regard des perspectives de croissance.
Si la croissance restait inférieure à 6% en moyenne d’ici 2022/23, alors la dette rapportée au PIB excèderait 70% du PIB au cours des trois prochains exercices en supposant que le gouvernement parvienne à contenir le déficit primaire sous le seuil de 2% du PIB (1,4% du PIB en 2018/19).
Néanmoins, même si la dette publique indienne est l’une de plus élevées au sein des pays émergents, sa structure est peu risquée et les risques de refinancement sont contenus. Sa maturité est élevée (10 ans en moyenne), elle est détenue par les résidents (à plus de 96%) et libellée en monnaie domestique (à 97%). Cependant, les besoins de financement du gouvernement restent importants et pèsent sur la croissance. Ils sont estimés par le FMI à 11,4% du PIB en 2019. Sur l’exercice budgétaire 2018/19, le paiement des intérêts s’élevait à 5,3% du PIB, soit 21,7% de l’ensemble des recettes. En outre, même si le risque de refinancement est limité, toute hausse des besoins de financement du gouvernement pourrait peser sur le financement du reste de l’économie. En effet, les banques sont les principaux acquéreurs des émissions de dette publique (39,1%) et le financement des sociétés non-bancaires s’est durablement réduit.
Secteur bancaire et financier : nouveau risque induit par le retournement du marché immobilier
Face à la forte hausse des coûts de financement, induite notamment par le désengagement des mutual funds depuis la faillite de IL&FS en septembre 2018, les crédits octroyés par les sociétés financières non-bancaires (NBFC) ont fortement diminué depuis le T3 2019 (-36% en g.a.). Globalement, leur situation financière reste pour autant solide et bien meilleure que celle des banques publiques. Au T3 2019, la part de créances douteuses, bien qu’en hausse, était encore contenue à 6,3% des prêts et le ratio de solvabilité s’élevait à 19,5% (bien au-delà du seuil réglementaire de 15%). Par ailleurs, la banque centrale a adopté une nouvelle règlementation afin de contraindre les NBFC au respect d’un ratio de liquidité de 100% dès décembre 2020. Le principal risque, hormis un ralentissement prononcé et durable de la croissance, porte sur le retournement du secteur immobilier. En effet, même si les NBFC dans leur ensemble restent peu exposées (6% des crédits), ce n’est pas le cas des Housing Financing Companies (HFC) spécialisées dans l’offre de crédit au secteur immobilier. De même, les banques commerciales, encore très fragiles, ont une forte exposition au secteur immobilier (22,5% du crédit), en plein retournement. En 2018/19, les nouvelles mises en chantier se sont contractées pour la troisième année consécutive. Par ailleurs, les ventes enregistrées par les sociétés immobilières cotées ont reculé de 27,8% au T3 2019 et les prix des logements ont continué de décélérer (+2,8% en g.a. au T3 2019).