Au cours des quinze dernières années, l’Ethiopie a connu une croissance très forte (supérieure à 10% en moyenne depuis 2005) essentiellement liée à l’investissement public. Ce modèle a atteint ses limites et conduit à une pénurie de devises et à une forte augmentation de l’endettement extérieur. Pour y remédier, le gouvernement compte sur une nouvelle « stratégie de réforme économique locale » (Homegrown Economic Reform Plan) et sur le soutien financier du Fonds monétaire international (FMI). Ceci pourrait accélérer la transition vers un régime de taux de change plus flexible. Mais dans un contexte d’inflation élevée et à l’approche d’élections générales, il est probable que la prudence sera le maître-mot de la mise en œuvre de cette nouvelle stratégie.
Fléchissement de la croissance et pressions inflationnistes
Après une croissance à deux chiffres dans les années 2004-2017, l’économie éthiopienne ralentit depuis 2018 en raison notamment de la détérioration continue des termes de l’échange. En effet, la chute des prix du café (environ 40% des exportations totales) et la hausse des prix du pétrole brut (+31% en 2018 pour le Brent) ont fortement pesé sur les comptes extérieurs. En raison de leur fragilité, les restrictions à l’accès à la devise pèsent sur l’activité économique et contribuent à affaiblir la croissance industrielle. L’activité résiste néanmoins grâce au dynamisme de la consommation privée, stimulée par une forte croissance démographique[1] et par la réduction progressive de la pauvreté[2].
L’investissement constitue un autre moteur de l’activité économique. Des investissements publics importants dans les infrastructures sont en cours de réalisation, tandis que les investissements directs étrangers (IDE) restent solides malgré un récent fléchissement. Ils dépassent actuellement 4% du PIB et profitent notamment aux industries manufacturières. Le secteur de l’énergie concentre, quant à lui, l’essentiel de l’effort d’investissement national. Dans un pays où seulement 30% de la population est raccordé au réseau électrique, les besoins sont importants. Depuis 2018, de nombreux projets de production d’énergie ont été lancés pour un montant estimé à USD 6 mds. Par ailleurs, un accord d’un montant d’USD 1,8 md a été conclu avec une entreprise publique chinoise pour compléter le réseau de distribution électrique.
L’inflation des prix à la consommation a atteint 20% en novembre, son taux le plus élevé depuis cinq ans, en raison notamment d’une baisse de la production agricole. En moyenne, l’inflation devrait rester supérieure à 10% en 2020.
Appel à une participation accrue du secteur privé
Le gouvernement a bâti sa politique économique selon deux axes : stimuler la participation du secteur privé grâce à son nouveau programme économique, et réduire les déséquilibres macroéconomiques grâce au soutien du FMI.
L’ouverture de l’économie aux investisseurs étrangers est une priorité. Le parlement finalise la nouvelle loi sur l’investissement qui autorise les sociétés étrangères à détenir jusqu’à 49% du capital des sociétés éthiopiennes. Les secteurs concernés sont le transport aérien, l’énergie, la logistique et les télécommunications. Fin novembre, le gouvernement a annoncé la levée des obstacles à l’investissement dans le secteur minier et la privatisation de six projets sucriers au premier trimestre 2020. L’industrie bénéficiera également de l’amélioration de l’alimentation électrique ainsi que de certaines incitations, telles que la suppression des droits de douane à l’importation sur les biens d’équipement, et l’exonération de l’impôt sur le revenu et des taxes à l’exportation pour les sociétés qui exploitent ou aménagent des parcs d’activité industrielle.
Dans le secteur financier, la règle imposant aux banques de consacrer 27% de leur portefeuille de prêts au secteur public a été abolie.
En outre, le 20 décembre dernier, le FMI a approuvé un financement de USD 3 mds sur trois ans (environ 3% du PIB), dont environ USD 308 mn disponibles immédiatement. Ce soutien vise, dans un premier temps, à réduire les pénuries de devises, à accompagner la réforme des entreprises publiques et à accroître les recettes fiscales (seulement 10% du PIB actuellement).
Du côté des finances publiques, le déficit budgétaire s’est sensiblement accru depuis 2016. Il était en moyenne de 2,8% du PIB entre 2016 et 2018. Il devrait légèrement se réduire en 2019, grâce à une gestion plus prudente des dépenses courantes et à la maîtrise des dépenses de développement qui devraient se limiter à l’achèvement des projets déjà engagés. Cela devrait aider à la réduction du ratio de dette publique (61% du PIB à fin 2018) qui pourrait aussi bénéficier de la privatisation de certaines entreprises publiques.
Diminution des tensions sur la liquidité extérieure
Si les déficits budgétaires semblent être sous contrôle, les comptes extérieurs restent le principal élément de fragilité de l’économie. L’important déficit de la balance commerciale (-14% du PIB) pèse sur le solde courant, qui est largement déficitaire malgré la contribution positive des transferts publics et privés. En termes net, le total des transferts représente en moyenne 55% des recettes totales du compte courant. Malgré ces flux, le déficit courant s’élevait en moyenne à 8,6% du PIB entre 2014 et 2018.
Si l’Ethiopie est le pays d’Afrique de l’Est qui attire le plus d’IDE, ces derniers diminuent depuis 2017 et ne couvrent qu’environ 70% du déficit courant. Le reste est financé par l’endettement extérieur, principalement à des conditions concessionnelles. Par conséquent, les tensions sur la liquidité extérieure sont significatives. Une partie des devises est destinée au service de la dette extérieure (environ 8% du total des recettes en devises en 2018).
Pour contenir la dépréciation du taux de change et limiter les pressions inflationnistes, la banque centrale intervient sur le marché des changes en puisant dans ses réserves en devises. Le Birr (ETB) s’est déprécié d’environ 10% contre le dollar en 2019. Les moyens de la banque centrale sont limités, et les réserves de change sont inférieures au niveau d’alerte de trois mois d’importations de biens et de services. À la fin de l’année 2019, ces réserves s’élevaient à USD 3,6 mds, soit 2,2 mois d’importations de biens et services. Parallèlement à la politique de change, des contrôles des capitaux sont donc en place, ce qui contraint fortement les importations. Dans ce contexte, l’écart entre les taux de change officiel et parallèle est d’environ 40%.
Le soutien du FMI devrait permettre de débloquer des financements concessionnels d’autres institutions financières internationales. Ainsi, une aide supplémentaire de USD 3 mds de la Banque mondiale est envisagée. Par ailleurs, pour favoriser l'entrée de devises dans le pays, le gouvernement a décidé de mobiliser la diaspora éthiopienne, estimée à environ 3 millions de personnes. Pour encourager leurs investissements dans différents secteurs de l’économie, un fonds gouvernemental a été créé en octobre 2018, l’Ethiopian Diaspora Trust Fund. En outre, la banque centrale a assoupli le contrôle des changes s’appliquant aux non-résidents pour faciliter leurs transferts d’argent dans le pays. Pour le moment, les montants récoltés sont symboliques (USD 5,4 m en 2019).
Si la situation macroéconomique reste fragile, le soutien financier international devrait permettre au moins temporairement d’alléger la pression sur la liquidité en devises. En 2020, les réserves de change de la banque centrale devraient atteindre USD 4,3 mds, soit 3,2 mois d’importations. Cette tendance positive devrait continuer en 2021. Néanmoins, les comptes externes resteront vulnérables aux variations des cours des matières premières et aux besoins importants en importations du pays.