La croissance économique a ralenti de 3,3% en 2017 à 2,7% en 2018, puis s’est maintenue à ce niveau en 2019. Cette dernière performance est meilleure que prévu il y a un an. Après une période de ralentissement entre la mi-2018 et début 2019, lié aux tensions commerciales sino-américaines et à l’affaiblissement de la demande mondiale, l’économie taiwanaise a, de fait, trouvé un nouveau souffle. Le secteur manufacturier a rapidement bénéficié de la substitution de certains produits chinois par des biens achetés directement à Taiwan. Le conflit entre les Etats-Unis et la Chine encourage également des entreprises exportatrices taiwanaises à quitter la Chine continentale pour relocaliser leur activité de production sur l’île.
Les perspectives de court terme demeurent bien orientées, et nous tablons sur un taux de croissance de 2,8% en 2020. Le secteur exportateur devrait bénéficier du rebond attendu du marché électronique mondial et continuer de profiter de la réorganisation des chaînes de valeur en Asie. La demande intérieure devrait rester solide, notamment soutenue par la solide croissance de l’investissement et des politiques monétaire et budgétaire accommodantes. À la suite des élections du 11 janvier, qui ont reconduit la présidente Tsai Ing-wen dans ses fonctions pour un second mandat de quatre ans, et permis à son parti, le Democratic Progressive Party (DPP), de conserver la majorité au parlement, les autorités devraient poursuivre le programme économique engagé depuis 2016. Les tensions inter-détroit pourraient s’aggraver, mais leurs effets sur l’activité à court terme devraient rester modérés.
L’économie tient bon
La croissance du PIB réel a ralenti de 3,3% en glissement annuel (g.a.) au S1 2018 à 2,2% au S2 2018 et 1,8% au T1 2019, avant de se redresser progressivement (2,6% au T2 et 3% au T3). Selon les premières estimations du bureau des statistiques taiwanais, elle a atteint 3,4% en g.a. au T4 2019 (ou 1,7% en glissement trimestriel corrigé des variations saisonnières). La dynamique du PIB s’explique principalement par la contribution du commerce extérieur, devenue négative au S2 2018 puis de nouveau positive en 2019, et par la forte accélération de l’investissement. Celui-ci s’est en effet considérablement renforcé à partir de la mi-2018 après plusieurs trimestres de croissance faible ou négative. Il a progressé de 7,4% en g.a. sur les trois premiers trimestres de 2019 (contre 2,5% par an en moyenne en 2014-2018) et a probablement encore accéléré au T4 2019.
Les conséquences du conflit commercial sino-américain ont largement contribué à ces évolutions. De par sa forte dépendance aux exportations de biens de haute technologie et son exposition aux marchés chinois et américain, l’économie taiwanaise a immédiatement souffert des effets de contagion du ralentissement des échanges entre les Etats-Unis et la Chine. Ses exportations de marchandises n’ont augmenté que de 1% en valeur en g.a. au S2 2018 (contre 11% au S1 2018) puis ont chuté de 2% sur l’ensemble de 2019 (graphique 2). Le secteur manufacturier a donc, dans un premier temps, réduit sa production (-1,2% en g.a. sur les
dix premiers mois de 2019). Mais Taiwan a aussi rapidement bénéficié d’autres effets, favorables, du conflit sino-américain.
Le secteur exportateur profite du conflit sino-américain
Premièrement, le secteur manufacturier a profité d’effets de substitution, les importateurs américains remplaçant certains produits en provenance de Chine par des biens achetés directement aux entreprises taiwanaises. Les exportations de Taiwan à destination des Etats-Unis ont ainsi bondi de 17% sur l’ensemble de l’année 2019 (contre une hausse moyenne de 4% par an en 2014-2018). Ceci explique en partie que la baisse des exportations totales de Taiwan ait été beaucoup moins importante que celle, par exemple, de la Corée du Sud (-10% en 2019). La performance du secteur exportateur taiwanais reste toutefois très corrélée à celle des exportations totales de la Chine, qui se sont légèrement redressées depuis deux mois. Les perspectives à très court terme se sont un peu améliorées suite à l’accord de « phase 1 » signé par Pékin et Washington (voir pages 3 et 4), et devraient également être soutenues par le rebond attendu du marché électronique mondial. La production industrielle taiwanaise a pu rebondir en fin d’année 2019 (+6,4% en g.a. en décembre), soutenue par l’amélioration des ventes et la nécessité de reconstituer les stocks (qui se sont réduits au cours des trois premiers trimestres de 2019). Son redressement devrait se poursuivre au cours des prochains mois.
Deuxièmement, et c’est là l’effet positif le plus intéressant, le conflit sino-américain conduit des entreprises taiwanaises à réinvestir dans des usines sur l’île. La hausse des droits de douane américains sur les importations de biens chinois, qui est venue s’ajouter à l’augmentation des coûts salariaux en Chine, incite en effet de nombreux producteurs taiwanais à revoir leurs stratégies de production, pour quitter la Chine continentale et relocaliser leur activité à Taiwan. Cette réorientation est soutenue par les autorités, qui ont mis en place, dès janvier 2019, un plan d’action (« Action Plan for Welcoming Overseas Taiwanese Businesses to Return to Invest in Taiwan ») visant à apporter une aide financière et logistique aux entreprises souhaitant relocaliser leur production. Ce premier programme a été complété depuis juillet 2019 par deux plans supplémentaires visant à encourager l’investissement des petites et moyennes entreprises locales. Mi-janvier 2020, plus de 300 entreprises taiwanaises avaient déjà présenté une demande auprès d’un des trois plans d’aide du gouvernement, dont 169 entreprises produisant jusqu’à présent en Chine (principalement dans le secteur des hautes technologies). L’investissement en « machines et équipements » (à 90% privé) a ainsi fait un bond de 20% en g.a. sur les trois premiers trimestres de 2019 (graphique 3) et devrait continuer de croître rapidement à court terme.
Les dynamiques récentes du secteur manufacturier exportateur (réorganisation des flux commerciaux en Asie, relocalisation de la production) devraient se poursuivre à court-moyen terme. Des risques baissiers subsistent néanmoins. D’abord, les tensions inter-détroit, en hausse depuis l’arrivée au pouvoir du DPP en 2016, pourraient s’aggraver après la réélection de la présidente Tsai Ing-wen. Jusqu’à présent, les échanges de biens manufacturés avec la Chine continentale en ont été peu affectés. Mais Pékin peut adopter des mesures pénalisant certains secteurs, tels que l’agriculture ou le tourisme. Ainsi, depuis la suspension de la délivrance de laissez-passer individuels aux voyageurs chinois en août 2019, les entrées de touristes chinois sur l’île (38% du total en 2018) se sont réduites de moitié. Le secteur du tourisme ne représente cependant que 2% du PIB taiwanais. Les effets des tensions inter-détroit sur l’activité devraient donc être modérés à court terme. En revanche, les pressions de Pékin gênent fortement le développement des liens de Taiwan avec le reste du monde. De plus, Taiwan pourrait devenir une cible directe des mesures protectionnistes américaines en raison de la hausse de l’excédent commercial bilatéral. Enfin, le conflit sino-américain, en se déplaçant de plus en plus sur le terrain technologique, pourrait avoir des conséquences importantes sur ce secteur à Taiwan et dans le reste de la région asiatique.
La demande intérieure est dynamique
Le regain de dynamisme du secteur exportateur a eu des effets positifs sur le marché du travail et la consommation privée, dont la croissance réelle a déjà accéléré de 1,7% en g.a. au S1 2019, à 2,3% au T3. En outre, l’investissement public s’est également redressé (+5,9% en g.a. sur les trois premiers trimestres de 2019), principalement tiré par un large programme de développement des infrastructures. Les conditions monétaires accommodantes restent un autre facteur de soutien à la demande interne.
La bonne santé des finances publiques donne au gouvernement une marge de manœuvre confortable pour conduire une politique budgétaire expansionniste et mettre en œuvre des programmes de soutien à l’investissement privé. Ces politiques, en consolidant l’appareil productif et en élevant la compétitivité de l’économie, apportent une réponse au déclin de la croissance potentielle observé depuis plusieurs années et renforcent donc les perspectives économiques de l’île à moyen terme.