Le bilan des indicateurs conjoncturels publiés ces dernières semaines est mitigé. Dans la zone euro comme aux États-Unis, le signal avancé de la plupart des enquêtes de confiance du mois de décembre est encourageant. Mais il reste prématuré d’en conclure que le point bas a été atteint. Les créations nettes d’emplois salariés non agricoles aux États-Unis sont restées robustes en décembre. Mais l’écroulement de la composante emploi de l’enquête ISM dans le secteur non manufacturier interpelle à tout le moins. Les défaillances d’entreprises remontent. La situation économique reste également vulnérable aux tensions géopolitiques. Il n’y a en revanche pas matière à s’inquiéter du rebond de l’inflation en décembre. Et la dynamique apparaît plus favorable dans la zone euro qu’aux États-Unis.
Le bilan des indicateurs conjoncturels publiés ces dernières semaines reste mitigé. Certes, le signal avancé des enquêtes de confiance est légèrement encourageant, notamment du côté de la zone euro. L’indicateur du sentiment économique de la Commission européenne s’est non seulement nettement redressé en décembre 2023 pour le troisième mois consécutif mais cette hausse est portée par l’ensemble des composantes (climat des affaires sectoriel et confiance des consommateurs), ce qui n’est pas si fréquent. On mettra aussi du côté des bonnes nouvelles la stabilisation en décembre de l’indice composite PMI de la zone euro (47,6), le très léger mieux du climat des affaires dans les services (+0,1, à 48,8) contrebalançant la légère détérioration dans le secteur manufacturier (-0,2, à 44,4, composante production), celle-ci pouvant elle-même être relativisée par le redressement des composantes relatives aux nouvelles commandes et aux nouvelles commandes à l’exportation.
Côté américain, le bilan des enquêtes ISM / PMI est clairement partagé, avec une évolution inverse des secteurs selon l’enquête considérée. Un tel écart n’est pas rare, la corrélation entre les deux enquêtes n’est pas parfaite mais il en résulte un diagnostic brouillé aujourd’hui : hausse nette de l’ISM manufacturier (+0,7, à 47,4) mais baisse marquée du PMI (-1,5, à 47,9), petite hausse du PMI services (+0,6, à 51,4) mais baisse significative de l’ISM (-2,1, à 50,6), le tout entraînant une légère hausse du PMI composite (qui l’élève un peu plus en zone d’expansion, à 50,9) mais une franche baisse de l’ISM composite (qui le ramène juste au-dessus du seuil d’expansion, à 50,2). En revanche, le signal des enquêtes de décembre sur la confiance des ménages est clairement et franchement positif, avec une forte hausse de l’indicateur du Conference Board comme de celui de l’Université du Michigan.
S’il faut voir d’un bon œil la stabilisation du PMI composite de la zone euro depuis quelques mois, comme de celui des États-Unis d’ailleurs, il reste prématuré d’en conclure que le point bas a été atteint, préfigurant un retournement à la hausse. L’évolution des prochains mois reste incertaine. D’un côté, d’après une analyse récente de la BCE, un début de redressement du climat des affaires dans le secteur manufacturier pourrait être envisageable. Il aurait en effet plus souffert que les services du resserrement monétaire[1]. Et, même si les effets négatifs de celui-ci ne se sont pas encore tous fait sentir, on peut penser qu’ils vont aller decrescendo, pesant donc de moins en moins sur le climat des affaires dans le secteur manufacturier. En revanche, compte tenu du décalage de niveau important entre le climat des affaires des deux secteurs et du caractère réputé avancé du cycle manufacturier, le risque plane toujours que les services rejoignent, par le bas, le secteur manufacturier (bien que ce ne soit pas la direction actuelle, le climat des affaires dans les services étant légèrement orienté en hausse depuis quelques mois).
Si les nouvelles restent globalement encourageantes du côté de l’emploi salarié non agricole américain, son ralentissement demeurant progressif, celui-ci ne s’en poursuit pas moins. Les ouvertures de postes sont, notamment, de moins en moins nombreuses ainsi que les démissions, dont le niveau est en passe de retrouver celui prévalant avant la pandémie de Covid-19. S’il ne remonte pas encore de manière nette, le taux de chômage ne baisse plus depuis la mi-2022, à tel point que le signal récessif de la règle de Sahm n’est pas loin d’être atteint[2]. Par ailleurs, l’écroulement d’un peu plus de 7 points, à 43,3 en décembre, de la composante emploi de l’ISM non manufacturier est probablement un point statistique aberrant mais tout de même alarmant.
Si l’on poursuit la liste des indicateurs préoccupants, la remontée des défaillances d’entreprises figure en bonne place[3] : il s’agit certes d’un indicateur retardé, le signe, entre autres, du ralentissement passé, mais qui pourrait aussi avoir une incidence non négligeable sur la situation économique future. Celle-ci reste également vulnérable aux tensions géopolitiques. Comme indiqué dans notre dernier baromètre sur l’inflation[4], « la perturbation du transport maritime en mer Rouge engendre, en ce début d’année 2024, de nouvelles tensions sur le fret mondial et certains indices montre un net renchérissement des coûts d’acheminement début janvier (un doublement selon l‘indice Freightos). Sans générer un choc aussi important qu’en 2021, la situation pourrait, si elle se poursuit, alimenter un surcroit d’inflation importée en 2024 ».
À propos d’inflation, on ne rangera pas le rebond en décembre de son glissement annuel dans la catégorie des indicateurs négatifs. En zone euro comme aux États-Unis, ce rebond était attendu et s’explique par une déflation moindre de la composante énergie liée à des effets de base défavorables. Il masque une poursuite du reflux de l’inflation sous-jacente et un momentum favorable. L’inflation totale devrait reprendre le chemin de la baisse à partir de janvier. Il faut s’attendre toutefois à ce que cette baisse soit moins impressionnante qu’en 2023, une bonne partie du chemin vers la cible de 2% ayant déjà été parcouru.
La question reste de savoir à quelle vitesse le « dernier kilomètre » sera parcouru, celui séparant le rythme actuel d’environ 3% de l’objectif de 2%. D’après nos prévisions actuelles, la zone euro remporterait la course, la cible étant atteinte et franchie à la baisse, une première fois, dès le mois d’avril puis, de manière plus pérenne, à partir de juin au point, qu’en moyenne annuelle, l’inflation totale s’inscrirait à 1,9% en 2024 (2,3% pour l’inflation sous-jacente). Pour les États-Unis, l’inflation totale (mesurée par le CPI) n’aurait toujours pas rejoint la cible à l’horizon de la fin de l’année : elle s’élèverait encore à 2,5% a/a (2,7% en moyenne annuelle). Selon la mesure privilégiée par la Réserve fédérale (le déflateur de la consommation), la cible serait toutefois atteinte en fin d’année sur la base de l’écart moyen de 0,5 point de pourcentage entre les deux mesures.
Ce scénario d’inflation plus favorable du côté de la zone euro explique pourquoi nous nous attendons à ce que la BCE amorce, la première, en avril, le cycle de baisse des taux directeurs. La Fed lui emboîterait toutefois rapidement le pas, en mai, compte tenu de la détérioration de la situation économique que nous prévoyons, qui s’ajouterait à des progrès, passés et anticipés, jugés suffisants sur le front de la désinflation. On peut constater qu’au moment de la dernière hausse de taux de la Fed, en juillet 2023, l’inflation sous-jacente (mesure CPI) était supérieure au taux de chômage (4,7% a/a et 3,5%, respectivement), ce qui n’est pas fréquent comme configuration et qui peut faire craindre un arrêt prématuré du resserrement monétaire. Mais au moment où la Fed procèderait à sa première baisse de taux d’après nos prévisions, l’inflation sous-jacente devrait être inférieure au taux de chômage, légitimant l’assouplissement. Partant de plus haut en termes de niveau de taux directeur, la Fed irait ensuite plus vite que la BCE (une baisse de 25 points de base par meeting pour la Fed, soit 6 d’ici la fin de l’année, contre une par trimestre pour la BCE).
Une assez grande incertitude entoure encore toutefois cette trajectoire de taux anticipée. Le pricing volatile des marchés financiers en atteste. Les espoirs de baisses de taux rapprochées ont alimenté la note euphorique sur laquelle ils ont terminé l’année 2023. Mais ils sont probablement allés un peu vite en besogne et les premiers jours de 2024 ont été marqués par une correction et des prises de bénéfices. Comme évoqué dans notre édito précédent[5], la baisse de l’inflation ouvrant la voie aux baisses de taux est la seule évolution faisant l’objet d’une relative certitude cette année.