Depuis son investiture en mai 2019, le président Volodymyr Zelensky a su s’imposer sur la scène politique intérieure en s’assurant une majorité à la Chambre des députés et en prenant ses distances avec l’oligarque Igor Kolomoisky, l’un de ses principaux soutiens lors de la campagne présidentielle. Sur la scène internationale, il a fait preuve de fermeté vis-à-vis de son homologue russe sur la question du Donbass et de la Crimée lors d’un sommet quadripartite sous la médiation de la France et de l’Allemagne, tout en montrant une volonté de dialogue. Il bénéficie également de la poursuite de l’amélioration de la situation économique. Enfin, la bonne tenue des comptes publics et les engagements de réformes structurelles (projet de loi permettant la levée du moratoire sur la vente de terres agricoles) ont convaincu la direction du FMI d’accorder une nouvelle ligne de crédit au pays.
Une croissance tirée par la demande privée
Sur les neufs premiers mois de l’année, la croissance ukrainienne s’est établie à 3,8% par rapport à la même période de 2018 (+4% au T3 dernier trimestre connu). En termes d’offre, l’ensemble des secteurs y ont contribué, notamment la production agricole – qui représente environ 10% du PIB, soit autant que la production manufacturière – avec des récoltes records de céréales grâce à des conditions météorologiques favorables mais aussi à une amélioration de la productivité dans le secteur.
En termes de demande, la croissance est pour l’instant assez équilibrée et repose sur la demande privée ; la consommation des ménages, l’investissement et les exportations ont progressé sur des rythmes soutenus (respectivement 10%, 13% et 9%) quand, dans le même temps, de la consommation publique reculait de 5%.
La consommation des ménages bénéficie de la progression toujours forte des salaires réels (9,7% en 2019 après 12,6% en 2018), d’un chômage en baisse (7,8% de la population active), malgré une hausse du taux de participation, et d’une forte accélération du crédit à la consommation (+19% en termes réels). En revanche, l’investissement est largement autofinancé, le crédit aux entreprises s’étant tassé après une reprise en 2018. L’accélération de la croissance doit aussi à la vigueur des exportations, notamment agricoles.
Cet élan est probablement retombé au T4 en ligne avec le tassement de l’activité industrielle (graphique 2). Mais l’assouplissement de la politique monétaire et l’annonce du soutien financier du FMI devraient permettre une détente plus sensible des conditions de financement domestiques et externes, et donc un redémarrage des crédits à l’investissement. Même si l’année 2020 devrait être en retrait par rapport à 2019, les fondamentaux macroéconomiques (inflation, comptes extérieurs, comptes publics) sont en amélioration.
Afflux de liquidité
La liquidité extérieure du pays a continué de se renforcer, les réserves offcielles de change ayant atteint USD 25,3 mds fin décembre, soit près de 4 mois d’importations de biens et services. Le déficit courant s’est réduit à USD -3,4 mds entre janvier et novembre 2019 contre -4,2 mds sur la même période de 2018, et les flux nets d’investissements directs ont atteint USD 2,5 mds. Bien qu’en amélioration, la balance de base est donc restée déficitaire. La consolidation des réserves de change s’explique principalement par des investissements de portefeuille des non-résidents qui ont doublé par rapport à 2018, atteignant USD 5 mds entre janvier et novembre, et le versement de USD 2,9 mds de Gazprom à Naftogaz dans le cadre de la renégotiation de l’accord de fourniture de gaz.
Fin 2019, les relations entre Naftogaz et Gazprom se sont en effet normalisées avec des conséquences positives sur la balance des paiements, du moins à court terme. Les deux sociétés ont signé un accord fin décembre au terme duquel Gazprom s’est engagé sur des volumes de livraison de gaz jusqu’en 2024 pour un total de USD 7 mds en cumul sur l’ensemble de la période. En échange, Naftogaz a accepté d’effacer les arriérés de Gazprom, à l’exception de USD 2,9 mds que ce dernier lui a donc versé en décembre. Ce versement compensera largement la baisse des revenus de transit pour Naftogaz en 2020.
Estimant que l’appréciation de la hryvnia tenait plus à des facteurs spéculatifs qu’à une amélioration fondamentale de la balance des paiements, la banque centrale a procédé à d’importants achats nets de devises (USD 7,9 mds), ce qui a facilité le remboursement du service de la dette extérieure du gouvernement et de la banque centrale.
Au-delà de ces évolutions positives à court terme, l’amélioration de la liquidité extérieure a comme contrepartie une augmentation de la vulnérabilité aux investisseurs étrangers (fin décembre 2019, ces derniers détiennent 14,5% de la dette domestiquecontre seulement 1% fin 2018). L’annonce d’un accord avec le FMI pour un mécanisme élargi de crédit (Extended Fund Facility) d’un montant de USD 5,5 mds devrait les rassurer. Mais les réserves de change sont encore faibles comparées au service annuel de la dette extérieure (USD 15 mds de dollars hors dette commerciale et dette intra-groupe en 2020). La fragilité des comptes extérieurs impose une politique budgétaire rigoureuse que les autorités ont maintenue jusqu’à présent.
Objectifs budgétaires respectés
Sur la période janvier-octobre 2019, le déficit du gouvernement central a été contenu à 2% du PIB pour un objectif de 2,3% ; l’excédent primaire s’est un peu réduit à 1,1% contre 1,5% en 2018 mais la charge d’intérêts s’est allégée de 3,3% à 3,1%.
Pour 2020, le parlement a adopté un budget prévoyant un déficit de UAH 94 mds (USD 3,5 mds), soit 2,1% du PIB. Le principal risque pour le gouvernement réside, non pas dans une sous-estimation des dépenses, mais dans une surestimation des recettes en raison de l’appréciation du taux de change ; 30% des recettes sont en dollars contre seulement 5% des dépenses (toutes chose égales par ailleurs, une appréciation accroît donc le déficit). Or, le budget a été construit avec une hypothèse conservatrice de USD/UAH de 27 contre 24 actuellement. Un argument supplémentaire pour limiter l’appréciation de la hryvnia. Les risques de dérapage sont néanmoins a priori très limités et le FMI sera vigilant.
L’appréciation du change a permis une forte baisse du ratio d’endettement du gouvernement central de 62% du PIB (y compris la dette garantie) fin 2018 à 50% en novembre 2019 (près de 60% de la dette est en devises).
Le plan de financement est prudent. Le gouvernment prévoit une émission de dette obligataire internationale pour un montant de USD 5 mds uniquement pour couvrir le remboursement de sa dette extérieure. Compte tenu des déboursements attendus des IFI et de l’UE, le besoin d’émission d’obligations internationales devrait être limité à USD 2 mds.
Dilemme pour la politique monétaire
L’appréciation de la hryvia contre le dollar depuis le début 2019 a généré des gains de désinflation, la hausse sur un an des prix à la consommation est ainsi revenue à 4,1% en décembre contre 9,8% fin 2018. La banque centrale a pu abaisser son taux directeur à 13,5%, contre 18% fin 2018, avec une accélération depuis octobre (la baisse cumulée du taux directeur a été de 300 points de base). Jusqu’à la mi-2019, la politique monétaire était restée très conservatrice avec un taux directeur maintenu au-dessus de 10% en termes réels. L’incertitude politique précédant les élections législatives suffisait à le justifier.
Cette contrainte étant levée, la banque centrale a plus de marge de manœuvre mais elle va rapidement se trouver confrontée à un dilemme classique pour les pays émergents : poursuivre la détente monétaire peut engendrer un risque de surchauffe, notamment de crédit, mais maintenir un écart de taux d’intérêt domestiques très positif attire les investissements de portefeuille et peut conduire à une surévaluation du change.
La banque centrale juge elle-même le rattrapage du crédit à la consommation trop rapide. Heureusement, les crédits se sont fortement dédollarisés ces dernières années. De plus, la banque centrale prévoit d’imposer aux banques une augmentation de la pondération appliquée sur les prêts à la consommation dans le calcul des actifs moyens pondérés pour le calcul du capital prudentiel à partir de 2021.