Eco Emerging

Vents favorables

26/01/2020

Depuis son investiture en mai 2019, le président Volodymyr Zelensky a su s’imposer sur la scène politique intérieure en s’assurant une majorité à la Chambre des députés et en prenant ses distances avec l’oligarque Igor Kolomoisky, l’un de ses principaux soutiens lors de la campagne présidentielle. Sur la scène internationale, il a fait preuve de fermeté vis-à-vis de son homologue russe sur la question du Donbass et de la Crimée lors d’un sommet quadripartite sous la médiation de la France et de l’Allemagne, tout en montrant une volonté de dialogue. Il bénéficie également de la poursuite de l’amélioration de la situation économique. Enfin, la bonne tenue des comptes publics et les engagements de réformes structurelles (projet de loi permettant la levée du moratoire sur la vente de terres agricoles) ont convaincu la direction du FMI d’accorder une nouvelle ligne de crédit au pays.

Une croissance tirée par la demande privée

Prévisions

Sur les neufs premiers mois de l’année, la croissance ukrainienne s’est établie à 3,8% par rapport à la même période de 2018 (+4% au T3 dernier trimestre connu). En termes d’offre, l’ensemble des secteurs y ont contribué, notamment la production agricole – qui représente environ 10% du PIB, soit autant que la production manufacturière – avec des récoltes records de céréales grâce à des conditions météorologiques favorables mais aussi à une amélioration de la productivité dans le secteur.

Une croissance stable depuis 2016

En termes de demande, la croissance est pour l’instant assez équilibrée et repose sur la demande privée ; la consommation des ménages, l’investissement et les exportations ont progressé sur des rythmes soutenus (respectivement 10%, 13% et 9%) quand, dans le même temps, de la consommation publique reculait de 5%.

La consommation des ménages bénéficie de la progression toujours forte des salaires réels (9,7% en 2019 après 12,6% en 2018), d’un chômage en baisse (7,8% de la population active), malgré une hausse du taux de participation, et d’une forte accélération du crédit à la consommation (+19% en termes réels). En revanche, l’investissement est largement autofinancé, le crédit aux entreprises s’étant tassé après une reprise en 2018. L’accélération de la croissance doit aussi à la vigueur des exportations, notamment agricoles.

Cet élan est probablement retombé au T4 en ligne avec le tassement de l’activité industrielle (graphique 2). Mais l’assouplissement de la politique monétaire et l’annonce du soutien financier du FMI devraient permettre une détente plus sensible des conditions de financement domestiques et externes, et donc un redémarrage des crédits à l’investissement. Même si l’année 2020 devrait être en retrait par rapport à 2019, les fondamentaux macroéconomiques (inflation, comptes extérieurs, comptes publics) sont en amélioration.

Afflux de liquidité

La liquidité extérieure du pays a continué de se renforcer, les réserves offcielles de change ayant atteint USD 25,3 mds fin décembre, soit près de 4 mois d’importations de biens et services. Le déficit courant s’est réduit à USD -3,4 mds entre janvier et novembre 2019 contre -4,2 mds sur la même période de 2018, et les flux nets d’investissements directs ont atteint USD 2,5 mds. Bien qu’en amélioration, la balance de base est donc restée déficitaire. La consolidation des réserves de change s’explique principalement par des investissements de portefeuille des non-résidents qui ont doublé par rapport à 2018, atteignant USD 5 mds entre janvier et novembre, et le versement de USD 2,9 mds de Gazprom à Naftogaz dans le cadre de la renégotiation de l’accord de fourniture de gaz.

Fin 2019, les relations entre Naftogaz et Gazprom se sont en effet normalisées avec des conséquences positives sur la balance des paiements, du moins à court terme. Les deux sociétés ont signé un accord fin décembre au terme duquel Gazprom s’est engagé sur des volumes de livraison de gaz jusqu’en 2024 pour un total de USD 7 mds en cumul sur l’ensemble de la période. En échange, Naftogaz a accepté d’effacer les arriérés de Gazprom, à l’exception de USD 2,9 mds que ce dernier lui a donc versé en décembre. Ce versement compensera largement la baisse des revenus de transit pour Naftogaz en 2020.

Estimant que l’appréciation de la hryvnia tenait plus à des facteurs spéculatifs qu’à une amélioration fondamentale de la balance des paiements, la banque centrale a procédé à d’importants achats nets de devises (USD 7,9 mds), ce qui a facilité le remboursement du service de la dette extérieure du gouvernement et de la banque centrale.

Au-delà de ces évolutions positives à court terme, l’amélioration de la liquidité extérieure a comme contrepartie une augmentation de la vulnérabilité aux investisseurs étrangers (fin décembre 2019, ces derniers détiennent 14,5% de la dette domestiquecontre seulement 1% fin 2018). L’annonce d’un accord avec le FMI pour un mécanisme élargi de crédit (Extended Fund Facility) d’un montant de USD 5,5 mds devrait les rassurer. Mais les réserves de change sont encore faibles comparées au service annuel de la dette extérieure (USD 15 mds de dollars hors dette commerciale et dette intra-groupe en 2020). La fragilité des comptes extérieurs impose une politique budgétaire rigoureuse que les autorités ont maintenue jusqu’à présent.

Objectifs budgétaires respectés

Sur la période janvier-octobre 2019, le déficit du gouvernement central a été contenu à 2% du PIB pour un objectif de 2,3% ; l’excédent primaire s’est un peu réduit à 1,1% contre 1,5% en 2018 mais la charge d’intérêts s’est allégée de 3,3% à 3,1%.

Boom du crédit à la consommation

Pour 2020, le parlement a adopté un budget prévoyant un déficit de UAH 94 mds (USD 3,5 mds), soit 2,1% du PIB. Le principal risque pour le gouvernement réside, non pas dans une sous-estimation des dépenses, mais dans une surestimation des recettes en raison de l’appréciation du taux de change ; 30% des recettes sont en dollars contre seulement 5% des dépenses (toutes chose égales par ailleurs, une appréciation accroît donc le déficit). Or, le budget a été construit avec une hypothèse conservatrice de USD/UAH de 27 contre 24 actuellement. Un argument supplémentaire pour limiter l’appréciation de la hryvnia. Les risques de dérapage sont néanmoins a priori très limités et le FMI sera vigilant.

L’appréciation du change a permis une forte baisse du ratio d’endettement du gouvernement central de 62% du PIB (y compris la dette garantie) fin 2018 à 50% en novembre 2019 (près de 60% de la dette est en devises).

Le plan de financement est prudent. Le gouvernment prévoit une émission de dette obligataire internationale pour un montant de USD 5 mds uniquement pour couvrir le remboursement de sa dette extérieure. Compte tenu des déboursements attendus des IFI et de l’UE, le besoin d’émission d’obligations internationales devrait être limité à USD 2 mds.

Dilemme pour la politique monétaire

L’appréciation de la hryvia contre le dollar depuis le début 2019 a généré des gains de désinflation, la hausse sur un an des prix à la consommation est ainsi revenue à 4,1% en décembre contre 9,8% fin 2018. La banque centrale a pu abaisser son taux directeur à 13,5%, contre 18% fin 2018, avec une accélération depuis octobre (la baisse cumulée du taux directeur a été de 300 points de base). Jusqu’à la mi-2019, la politique monétaire était restée très conservatrice avec un taux directeur maintenu au-dessus de 10% en termes réels. L’incertitude politique précédant les élections législatives suffisait à le justifier.

Cette contrainte étant levée, la banque centrale a plus de marge de manœuvre mais elle va rapidement se trouver confrontée à un dilemme classique pour les pays émergents : poursuivre la détente monétaire peut engendrer un risque de surchauffe, notamment de crédit, mais maintenir un écart de taux d’intérêt domestiques très positif attire les investissements de portefeuille et peut conduire à une surévaluation du change.

La banque centrale juge elle-même le rattrapage du crédit à la consommation trop rapide. Heureusement, les crédits se sont fortement dédollarisés ces dernières années. De plus, la banque centrale prévoit d’imposer aux banques une augmentation de la pondération appliquée sur les prêts à la consommation dans le calcul des actifs moyens pondérés pour le calcul du capital prudentiel à partir de 2021.

LES ÉCONOMISTES EXPERTS AYANT PARTICIPÉ À CET ARTICLE

Découvrir les autres articles de la publication

Pays émergents
Naissance de l’Eco : un changement essentiellement symbolique

Naissance de l’Eco : un changement essentiellement symbolique

L’abandon du franc CFA et son remplacement par l’Eco, prévus en juin prochain, répondent à la volonté légitime des pays membres de l’Union économique et monétaire ouest africaine (UEMOA) de gérer leur monnaie commune [...]

LIRE L'ARTICLE
Chine
Répit de début d’année

Répit de début d’année

La croissance économique a ralenti à 6,1% en 2019. Les exportations se sont contractées et la demande intérieure continue de s’affaiblir [...]

LIRE L'ARTICLE
Inde
Des perspectives bien sombres

Des perspectives bien sombres

La croissance indienne reste très inférieure à son potentiel et les indicateurs d’activité ne laissent pas envisager de redressement significatif à court terme. Les marges de manœuvre du gouvernement pour soutenir l’économie sont faibles [...]

LIRE L'ARTICLE
Brésil
En quête de rythme

En quête de rythme

Malgré un contexte externe plus difficile, la reprise économique brésilienne semble gagner du terrain, tirée par une demande interne qui se raffermit [...]

LIRE L'ARTICLE
Russie
Une économie de surplus

Une économie de surplus

En 2019, en dépit d’une croissance faible et d’une baisse des revenus du pétrole, l’économie russe génèrent des surplus courant et budgétaire [...]

LIRE L'ARTICLE
Mexique
L’investissement en panne

L’investissement en panne

Après avoir quasiment stagné en 2019, la croissance devrait légèrement rebondir en 2020, soutenue par la consommation privée et les exportations nettes [...]

LIRE L'ARTICLE
Chili
Temps de crise

Temps de crise

Les violentes manifestations qui se déroulent au Chili depuis le mois d’octobre dernier ont poussé le gouvernement à annoncer un ensemble de mesures destinées à lutter contre les inégalités et une nouvelle version de son projet de réforme du système de retraites. Surtout, le gouvernement a signé un accord avec les principaux partis d’opposition, afin d’élaborer une nouvelle constitution. Cela dit, les tensions politiques et sociales restent vives et pèseront sur la croissance. Les perspectives pour les deux années à venir sont largement revues à la baisse. En outre, le déficit et la dette publics augmenteront au cours des cinq prochaines années.

LIRE L'ARTICLE
Taïwan
L’économie trouve un nouveau souffle

L’économie trouve un nouveau souffle

Si le secteur exportateur taiwanais a souffert du ralentissement des échanges entre la Chine et les Etats-Unis dès le printemps 2018, il a aussi rapidement bénéficié d’autres effets, positifs, du conflit commercial sino-américain [...]

LIRE L'ARTICLE
Israël
La politique monétaire au défi du shekel fort

La politique monétaire au défi du shekel fort

La croissance économique est restée soutenue en 2019 malgré un environnement local et international moins favorable [...]

LIRE L'ARTICLE
Arabie Saoudite
Une orientation budgétaire favorable à la croissance

Une orientation budgétaire favorable à la croissance

Le PIB non pétrolier a retrouvé une croissance soutenue en 2019 après trois années de résultats décevants. La consommation des ménages et les dépenses d’investissement du secteur public sont les principaux moteurs de cette reprise [...]

LIRE L'ARTICLE
Algérie
La transition économique, l’autre chantier

La transition économique, l’autre chantier

Entre une croissance atone, l’érosion de la rente pétrogazière et des déficits jumeaux significatifs, la situation macroéconomique inquiète [...]

LIRE L'ARTICLE
Ethiopie
Changement de stratégie

Changement de stratégie

Pour soutenir la croissance économique, le gouvernement éthiopien abandonne son modèle économique centré sur l’investissement public financé par la dette, pour adopter une stratégie d’ouverture aux capitaux étrangers [...]

LIRE L'ARTICLE