En matière de balance commerciale, 2023 a, dans une large mesure, détricoté l’année 2022 qui, avec son lot de charges et de chocs, avait constitué une annus horribilis pour le commerce extérieur français. En 2023, le prix du pétrole a en partie reflué, la production d’électricité de la France est redevenue excédentaire et le pays n’a pas connu de grève dans ses raffineries de pétrole. Les besoins en biens intermédiaires ont été moins importants qu’en 2022 (les pénuries avaient alors été comblées par une forte hausse des achats). Autant d’éléments qui, avec la reconstitution de l’excédent commercial du secteur aéronautique (à un niveau proche de celui de 2019), ont permis de réduire sensiblement le déficit de la balance commerciale française (graphique 1).
Réduire, mais pas combler. Les déficits liés aux hydrocarbures bruts et raffinés (EUR 69 mds) et aux biens manufacturés (EUR 54 mds) demeurent majeurs. Si le premier dépend des prix du pétrole (que la France ne contrôle pas, et qui se stabiliseraient en 2024 selon nos prévisions), le second a augmenté ces dernières années en raison de nouveaux déterminants.
Investissement et électrification : deux nouveaux déterminants du déficit commercial français
À partir de 2007, la balance commerciale sur les biens manufacturés de la France s’est d’abord détériorée au rythme de la désindustrialisation du pays, et de la baisse des capacités de production industrielles1. Ainsi, en 2016, le déficit sur les biens manufacturés atteignait EUR 32 mds.
À l’issue d’une période où la désindustrialisation avait semblé enrayée, il a peu évolué jusqu’en 2019 (EUR 36 mds). En 2023, néanmoins, il s’est élevé à EUR 54 mds.
La période du Covid-19 a été marquée par nombre de ruptures, dont la plus évidente a touché l’activité économique avec une très forte volatilité de la croissance. D’autres ruptures sont de nature plus structurelle. Le plan européen Next Generation EU et sa déclinaison française (France Relance, puis France 2030) prévoient de nouveaux financements importants, afin notamment d’accélérer l’adaptation de l’économie au changement climatique. En France, cela a permis de poursuivre l’impulsion donnée en termes d’investissement au cours de la période pré-Covid, dès 2016 (en raison de taux d’intérêt bas et d’incitations fiscales, après plusieurs années de sous-investissement). Toutefois, ce surcroît d’investissement s’est traduit par une hausse des importations de biens d’équipement. À la suite de la pandémie de Covid-19, davantage d’incitations (un bonus écologique notamment) ont incité les consommateurs à acheter davantage de véhicules électriques, eux aussi largement produits à l’étranger.
Ces deux dynamiques, en matière de biens d’équipement et en matière d’électrification du parc automobile, expliquent près de 80% de la détérioration du déficit de la balance sur les biens manufacturés entre 2019 et 2023 (graphique 2).
Avec la montée en puissance du véhicule électrique et de ses intrants, la balance commerciale sur l’automobile (véhicules et équipementiers confondus) s’est détériorée de EUR 8,5 mds entre 2019 et 2023. Or, toute avancée vers davantage de véhicules électriques s’accompagnera d’un creusement de ces déficits sectoriels. En effet, si le bonus écologique a été révisé pour pénaliser davantage les véhicules importés de loin (coût carbone du transport) et produits avec une électricité carbonée, ce durcissement ne concerne pas ceux fabriqués dans l’Union européenne. Or, si la montée en puissance de la Chine a beaucoup fait parler d’elle, le déficit bilatéral sectoriel de la France avec ce pays s’est creusé de EUR 1,1 md en 2022 à 2,9 mds en 2023, tandis que celui avec l’Allemagne est passé de 2,4 à 5,9 mds (notamment après l’ouverture de l’usine Tesla de Berlin en septembre 2022).
L’autre détérioration majeure concerne l’augmentation structurelle des importations de biens d’équipement qui a conduit à un creusement du déficit sur ce poste : il oscillait entre EUR 20 et 25 mds par an jusqu’en 2016 et il n’a cessé d’augmenter depuis pour atteindre EUR 39 mds en 2023. Certes, l’investissement des entreprises a marqué le pas fin 2023 et des sous-jacents conjoncturels dégradés (taux d’intérêts élevés, demande atone) suggèrent que ce sera encore le cas au 1er semestre 2024, ce qui modèrera les importations de biens d’équipement. Toutefois, le maintien d’aides conséquentes avec France 2030 et France industrie verte (dont le lancement du crédit d’impôt au titre des investissements dans l’industrie verte, C3IV) laisse anticiper une reprise de la dynamique d’investissement et, avec elle, la détérioration du déficit sur les biens d’équipement.
Au 2e semestre 2023 et au 1er semestre 2024, la mauvaise conjoncture atténue le déficit extérieur
Une réduction notable des échanges de biens intermédiaires a été observée ces derniers mois, un poste sur lequel la France est déficitaire. La diminution des échanges réduit donc le déficit commercial global. Toutefois, il s’agit également d’un indicateur avancé négatif en termes de conjoncture.
En effet, l’ampleur des importations d’intrants pour d’autres secteurs (les biens intermédiaires) peut permettre d’anticiper l’évolution de la production industrielle. Lorsque, comme en 2022, des pénuries d’intrants empêchaient nombre d’entreprises de répondre à leurs carnets de commande, elles ont dû, lorsque cela a été possible, en importer beaucoup plus. Ce regain d’importations pouvait ainsi laisser penser que la production allait suivre. Par la suite, lorsque le retard a été comblé, les importations d’intrants se sont normalisées, prémices d’une croissance plus réduite de la production.
En volume, les importations « d’autres produits industriels » (au sens du PIB et comprenant les biens intermédiaires) ont retrouvé au 4e trimestre 2023 (graphique 3) leur niveau du 4e trimestre 2019 (un niveau bas, car la croissance du PIB atteignait à l’époque de -0,4% t/t).
De plus, les variations de stocks (au sens du PIB également) ont contribué négativement, en cumulé, pour 1 point à la croissance française aux 3e et 4e trimestres 2023. La décomposition de ces variations en valeur (statistique non disponible en volume) montre que les biens intermédiaires auraient expliqué près de la moitié de cette contribution négative. La réduction des importations de ce type de biens expliquerait cette baisse.
Les données de la balance commerciale de janvier 2024 suggèrent que les importations ont continué de se contracter. Des tensions sur l’offre pourraient être réapparues en raison de la situation en mer Rouge. Si un impact au moins transitoire est probable, les indicateurs relatifs aux délais de livraison des enquêtes PMI ne sont pas aussi dégradés qu’en 2022.
Un moindre dynamisme des importations de biens intermédiaires serait cohérent avec une croissance de l’économie française qui devrait rester très modérée en début d’année 2024.
Si l’effet de la réduction des échanges de biens intermédiaires va dans le sens d’une réduction du déficit commercial français, il se passe aussi quelque chose du côté plus précisément des exportations, notamment en lien avec l’Allemagne.
L’économie allemande stagne avec une croissance de -0,1% en 2023 et qui devrait rester nulle en 2024. L’économie française y est exposée via deux canaux : le fait que le consommateur allemand achète moins de produits finis (notamment français) et la baisse des intrants français incorporés dans l’industrie allemande. L’évolution des exportations françaises vers l’Allemagne suggère que ce deuxième risque a déjà commencé à se matérialiser en 2023. Si la baisse de ces exportations n’a été, au global, que de EUR 250 millions en 2023 par rapport à 2022, cela cache une augmentation de près de EUR 2 mds au 1er semestre, et une perte légèrement supérieure au second, sur fond de contraction du PIB allemand (-0,3% t/t au 4e trimestre 2023). Les biens intermédiaires cumulent les principales baisses au niveau des exportations françaises vers l’Allemagne (graphique 4), notamment les intrants de l’industrie chimique, ainsi que ceux utilisés principalement dans l’automobile (composants électroniques) ou également dans la construction (plastiques, métaux). Cela fait écho à la faiblesse de la production industrielle allemande, particulièrement perceptible dans la chimie ou l’automobile, tandis que l’activité dans le secteur de la construction connait également un repli marqué.
Qu’attendre pour 2024 et quelles sont les perspectives pour 2025 ?
En 2024, dans l’hypothèse d’une stabilisation du prix du pétrole, peu de changements sont à attendre concernant la balance énergétique française. Concernant les biens manufacturés, l’amélioration du déficit sur les biens intermédiaires et la stabilisation des importations de biens d’équipement envisageable au 1er semestre (liée au reflux transitoire de l’investissement des entreprises) permettraient une légère amélioration de la balance commerciale à EUR 95 mds (nonobstant une dégradation de la balance sur l’automobile qui, elle, semble se poursuivre).
Pour 2025, notre scénario anticipe à la fois un retour de la croissance du PIB français (1,4% après une prévision à 0,7% en 2024) et un rebond de l’investissement des entreprises (+1,1% en 2025 après -0,7% en 2024), deux éléments qui devraient porter les importations françaises de biens intermédiaires et de biens d’équipement. En conséquence, le déficit commercial pourrait de nouveau dépasser la barre symbolique des EUR 100 mds, ce que l’augmentation prévisible des exportations aéronautiques n’empêcherait pas, dans la mesure où elles nécessitent des intrants importés, ce qui atténue l’augmentation de l’excédent sur l’aéronautique, comme cela a été le cas notamment en 2023 (graphique 1).